L’étape des plaidoiries dans le litige opposant le commissaire de police, Anil Kumar Dip, et le Directeur des Poursuites Publiques (DPP), Me Rashid Ahmine, a pris fin hier devant le Full Bench de la Cour suprême. Le jugement est attendu au plus tôt avant la fin de l’année ou début 2025. Mais des hommes de loi spéculent qu’il est quasiment inévitable que le Privy Council soit saisi en appel.
Par ailleurs, les conseils légaux, engagés dans cette affaire, dont trois King’s Counsels britanniques, ont jusqu’au lundi 30 septembre pour soumettre leurs Replies en écrit au regard des points avancés par leurs confrères durant les plaidoiries. Le Full Bench de la Cour suprême constitué pour trancher ce différend entre le commissaire de police et le DPP, deux Constitutional Creatures, comprend la cheffe-juge, Bibi Rehana Mungly-Gulbul, de la Senior Puisne Judge, Nirmala Devat, et la juge Sulakshna Beekarry-Sunassee.
Après les affaires impliquant Akil Bissessur, Sherry Singh, Bruneau Laurette et Chavan Dabeedin, le commissaire avait logé une plainte constitutionnelle en Cour suprême, alléguant que le DPP empiétait sur ses prérogatives sous la section 71 de la Constitution, en ce qui concerne les charges provisoires et les remises en liberté. Le DPP maintient quant à lui que selon la section 72 de la Constitution, la décision d’initier, d’arrêter ou de prendre en charge toute poursuite au pénal relève de lui, et cela inclut les Pretrial Matters, comme les charges provisoires ou les Bail Motions.
Lors de la séance d’hier, Me Mark Rainsford, King’s Counsel, représentant la Financial Crimes Commission (FCC), succédant à Me Geoffrey Cox, KC, assurant les intérêts du DPP et Me Paul Ozine, KC, pour le CP, a confirmé que cet organisme s’aligne sur la position du commissaire de police. Il a soumis que la Constitution de Maurice repose sur deux principes fondamentaux, l’État de droit et la séparation des pouvoirs.
Le conseil légal de la FCC avance que la section 71 au sujet des pouvoirs du CP) et la section 72, consacrée à ceux du DPP, de la Constitution tracent une ligne de démarcation claire entre l’étape où les enquêtes sont menées et celle où les poursuites sont logées en Cour. La séparation des pouvoirs implique que le commissaire de police est en charge des Pretrial Matters, tandis que la responsabilité du DPP n’est engagée qu’au niveau des tribunaux, au moment où l’accusation formelle est logée.
Me Rainsford soutient que les pouvoirs dévolus au commissaire de police sous la Constitution sont renforcés par des lois, comme la Police Act 1964 ou la Bail Act 1999. Le commissaire de police est responsable de la détection des délits et de leurs investigations. Il est dans une meilleure position que le DPP pour apprécier les risques de fuite d’un suspect, ceux de la manipulation de preuves ou des témoins, et les risques portant préjudice à la sécurité du public. Autant d’éléments qui doivent être pris en considération durant l’étape des investigations, dit-il, ajoutant que le DPP ne peut ainsi s’arroger le droit de s’ingérer dans les enquêtes policières. Il est seulement responsable des poursuites devant les tribunaux.
Par ailleurs, l’accent est mis sur une ligne de démarcation distincte entre les charges provisoires et les accusations formelles, ce qui est dans l’intérêt public. Malgré qu’une formalité entoure les accusations provisoires, il faut les distinguer des accusations formelles. L’accusation provisoire intervient au moment où il n’y a qu’une suspicion contre un prévenu, ce qui est une situation très différente du moment où le DPP est armé de preuves contre le prévenu, moment où une accusation formelle peut être logée. Il a ainsi maintenu que c’est durant une mise en accusation formelle que le DPP entre en jeu. C’est là une proposition qui évite aussi les conflits d’intérêts entre la police et le parquet, et c’est là un principe constitutionnel qu’il faudrait maintenir, selon l’homme de loi.
En ce qui concerne les demandes de remises en liberté, malgré que le DPP avait affirmé que le CP n’est pas son client, Me Raisnford affirme qu’une relation analogue à celle qui existe entre un client et son avocat existe bel et bien entre le CP et le DPP.
Me Dinay Reetoo, du State Law Office (SLO) représentant l’Attorney-General et l’État mauricien, a, pour sa part, soumis que ni le commissaire de police ni le DPP ne peuvent « control or direct each other ». Il a fait état du Scheme of Service du DPP, dont le paragraphe 2 indique qu’il n’est là que pour « advise the police in all criminal matters ». Pour lui, ce terme « advise » ne veut pas dire « superintend ». « The CP cannot direct the DPP on the conduct of criminal trials, and the DPP cannot direct the CP as to the conduct of any police inquiry », s’appesantit-il.