– « Les cigarettes de drogues synthétiques sont hélas devenues un élément banal du quotidien… »
Samedi 1er juillet, l’Ong DRIP (Développement, Rassemblement, Information et Prévention) et l’association Future Hope ont démarré une campagne de sensibilisation et de prévention contre les stupéfiants, s’échelonnant sur plusieurs semaines. La cible identifiée est des enfants de cinq ans et plus. Les régions: Roche-Bois, Sainte-Croix, Cité-La-Cure et Petite-Rivière. Une initiative menée en collaboration avec la Fondation Currimjee.

directrice de DRIP
Isabelle David-Philippe, directrice de DRIP, explique d’emblée que « démarrer un travail d’éducation et de prévention auprès de la petite enfance, c’est prouvé scientifiquement, cela permet à ces jeunes, en grandissant, de faire preuve de discernement quant aux produits nocifs qui circulent dans leur entourage direct et d’arriver à dire non, tout en sachant pourquoi ils le font, parce qu’ils sont conscients des dégâts que ces produits vont causer à leurs corps, leur métabolisme et leur environnement ».
Reprenant les chiffres publiés dans le rapport de l’Observatoire national des drogues, datant de 2016-2017, elle souligne que « c’est désormais un fait que des enfants de 10 à 14 ans sont déjà consommateurs, et d’autres encore, impliqués dans le trafic. Nous avons donc, depuis ces années-là, démarré un travail auprès des enfants encore plus jeunes ».
DRIP intervient auprès des enfants de cinq ans et plus. « Idéalement, nous devrions pouvoir toucher les futures mères, c’est le propre de la prévention de la petite enfance. Néanmoins, Maurice ne dispose pas d’une structure adaptée pour ce faire. Nous faisons donc avec ce que nous avons appris », affirme-t-elle.
Les principes inculqués par Ligue Vie & Santé figurent ainsi parmi les paramètres les plus utilisés par l’ONG. Pour ce qui est de la campagne qui a démarré à Roche-Bois et qui s’étendra à Sainte-Croix, Cité-La-Cure et Petite-Rivière, la directrice de l’ONG avance: « nous allons procéder par des groupes d’âge : les cinq ans et plus, les pré-ados et les ados. Chaque groupe bénéficiera d’interventions différentes et adaptées à leur tranche d’âge ».
Elle élabore : « auprès des plus jeunes, par exemple, ce sont des interactions plus ludiques, avec des jeux, des objets, des explications soutenues par des illustrations, des dessins que nous leur demandons de réaliser ou de reproduire. Pour les plus grands, il y a un amalgame de théorie et de travaux pratiques. »
Isabelle David-Philippe attire l’attention sur plusieurs « idées reçues qui sont totalement démystifiées. Que ce soit avec les tout-petits comme les 10 à 14 ans, une fois le contrat de confiance établi, ils sont très attentifs et révèlent beaucoup de choses. Ce qui revient surtout auprès de la grande majorité, c’est le fait que les premiers contacts avec l’alcool et les cigarettes se font… à la maison ! Contrairement à ce que la plupart des parents pensent. Eux sont d’avis que c’est le Negative peer-pressure qui cause leurs enfants à avoir de mauvaises fréquentations et ainsi prendre de mauvaises habitudes. Pas du tout ! »
Elle poursuit : « quand nous démarrons des sessions d’éducation et de prévention avec les enfants, la toute première chose, c’est de les assurer que nous n’allons pas raconter à leurs parents ou amis ce qu’ils nous ont révélé pendant les conversations. Parmi les questions que nous leur posons, il y a inévitablement “quand ou comment tu as découvert l’alcool, la cigarette ?” La grande majorité explique qu’ils ont vidé les restes des bouteilles et des verres lors des fêtes à la maison. Certains disent que “mama ti donn moi enn gorge divin li dir mwa mo pou dormi pli byen.” D’autres que “papa inn tramp so ledwa dan ver wiski inn dir mwa goute… ” Pour la cigarette, c’est un peu le même schéma : les enfants nous expliquent que, par curiosité, ils ont surveillé quand un adulte a éteint le sien dans un cendrier, avant qu’elle ne soit totalement éteinte, ils l’ont récupéré et tiré une taffe. »
Danny Philippe, responsable de plaidoyer et de prévention de DRIP, abonde dans le même sens : « ce que nous retenons, surtout, quand nous questionnons ces enfants et ces jeunes ados, c’est qu’ils disent qu’ils sont curieux de goûter à ces produits – cigarettes et alcool – parce qu’ils voient que les grands qui en consomment paraissent heureux ! Zot dir nou ki zot trouv zot papa, mama, tonton, etc. riye, koz for for, sante ek zot panse automatikman, be sa bann zafer la donk, sipa divin, wiski, rom, sigaret… pou fer zot osi reazir parey ek donn zot mem plezir. »
Mais le résultat est tout autre, dit Dany Philippe : « les enfants nous disent, en toute confiance, que la première gorgée d’alcool bue est amère, elle brûle la bouche et le gosier ! Et ils ne comprennent pas qu’est-ce qui est bon, dans ce cas. Pour la cigarette, c’est la même chose. Ces enfants ne voient jamais un adulte qui fume pour la première fois et qui donc, tousse, manque de s’étouffer, entre autres. Eux font cette expérience quand ils tirent une première taffe. Et se disent que si les grands trouvent cela bon, ils finiront eux aussi par le faire ! »
Les responsables de DRIP se donnent ainsi pour mission de « briser cette spirale vicieuse en dispensant l’éducation et les informations à ces enfants. Nous leur expliquons comment l’alcool de même que la cigarette, à quelque âge qu’ils sont consommés, font des ravages sur le corps, l’esprit, le métabolisme et comment ils affectent tout leur environnement et leur attitude envers leur entourage ».
Avec la présence des drogues synthétiques, avance encore Dany Philippe, « la donne est devenue encore plus compliquée. Les enfants voient les adultes rouler ces cigarettes ou les préparer, ou mettre de l’argent ensemble pour en acheter ». Isabelle David-Philippe souligne : « La situation s’est tellement banalisée que pour ces enfants, la présence des drogues synthétiques dans leurs foyers, au quotidien, ne les surprend nullement. Les adultes qui vivent auprès de ces enfants ne prennent aucune précaution et tout se déroule sous leurs yeux. C’est donc automatiquement qu’eux aussi tentent de goûter et d’essayer ces drogues synthétiques. »
Le travail démarré par DRIP et Future Hope auprès des jeunes de Roche-Bois et incidemment les autres quartiers concernés par cette présente campagne soutenue par la fondation Currimjee « ne se cantonne pas à une unique intervention auprès des différents groupes ciblés. Nous aurons une série de sessions de travail et de travaux pratiques. Dans le même souffle, nous faisons la transmission de savoir à des personnes-ressources au sein de ces communautés. Le but étant de s’assurer que le travail continue même après les mois d’intervention de DRIP auprès d’eux. C’est comme cela que nous allons autonomiser les citoyens dans le pays graduellement. Mais nos ressources sont limitées. Si le gouvernement avait un plan d’action national, soutenu par d’autres agences et ONG, le travail serait plus productif », affirment les responsables de DRIP.
« Depi dan vant mama travay la koumanse »
Responsable du plaidoyer et de la prévention de DRIP, Danny Philippe fait remarquer que « la sensibilisation de la petite enfance démarre, en réalité, depi ki baba la ankor dan vant so mama. Il y a toute une structure qui est mise en place à cet effet, avec l’aide du personnel soignant et aide-soignant. Ces personnes viennent soutenir l’action des travailleurs sociaux que nous sommes auprès des futures mères et pères, consolidant la base d’informations à propos des consommations et des comportements qui vont directement et indirectement affecter et impacter l’enfant qui va naître dans les années qui vont suivre ».
Le travailleur social précise : « cependant, à Maurice, nous n’avons pas autant de moyens et de personnes formées dans les centres de santé à cet effet. C’est la raison pour laquelle DRIP est l’unique ONG qui fait de la prévention de la petite enfance. Mais en même temps, notre action est relativement limitée. »
Ce qui amène I. David-Philippe et D. Philippe à militer pour « une politique nationale de prévention. Comme nous, il y a plusieurs autres ONG et associations qui abattent un travail formidable dans le pays, auprès des enfants, des ados et des adultes. Mais nous travaillons chacun de notre côté, sans aucun plan d’action ni de concertation. Si le gouvernement met sur pied une politique nationale de prévention, cela permettra d’amener toutes ces ressources à œuvrer dans une même direction. D’une part, ce sera une action concertée. Et de l’autre, avec la reconnaissance de l’État, nous n’aurons pas à aller à chaque fois solliciter des sponsors et des parrains pour financer nos campagnes ».
Ils concluent : « Ensemble, nous pouvons changer la donne. Certes, nous ne pourrons pas éradiquer la drogue dans notre société : la situation a tellement dégénéré et atteint des proportions bien graves. Mais certainement, nous parviendrons à diminuer le nombre de personnes accros aux substances dangereuses. Ce qui aura des répercussions directes sur l’économie et la santé sociale du pays ! »