ReA a été débouté en Cour suprême s’agissant de sa plainte constitutionnelle contestant la déclaration ethnique obligatoire des candidats aux élections générales. Week-End est allé à la rencontre d’Ashok Subron pour connaître son état d’esprit après cet échec légal et ce que ses amis et lui vont faire maintenant.
l Quel est votre sentiment face au jugement de la Cour suprême vendredi ?
La Cour suprême, avec un bench de cinq juges, a tristement abdiqué devant ses responsabilités que lui donne la Constitution pour se prononcer sur une question brûlante d’intérêt public, de pertinence pour la démocratie, pour les droits humains et une question qui a une incidence directe sur notre nation-building. Naturellement, nous respectons le jugement de la cour, mais nous ne sommes pas d’accord.
l Il vous est reproché, entre autres, d’avoir failli de mettre en avant quelles dispositions spécifiques de la loi vous contestez et qualifiez d’anticonstitutionnelles. Cela ne semble pas toucher aucunement au fond de votre combat pour que tout candidat aux élections n’ait plus à s’autodéterminer autrement qu’en tant que Mauricien. Qu’en dites-vous ?
La Cour suprême, vendredi, ne s’est pas prononcée sur le fond de la question à l’effet si un citoyen mauricien qui se porte candidat doit obligatoirement déclarer une quelconque appartenance communale selon la classification qui existe dans notre Constitution, héritée depuis 1967. Elle a fait usage de “technicalité”. Là où je differ avec la Cour suprême, c’est que je pense qu’il y a deux questions centrales qui ont été omises. Premièrement, ce case a été référé à la Cour suprême à la demande du Privy Council. Il y a donc une histoire antérieure. Je ne ferai aucun jugement sur ce que les juges ont lu ou pas, mais le jugement du Privy Council, qui ne s’est pas prononcé en 2011, nous demandant de référer l’affaire à nos cours locales est très clair. Deuxièmement, la Cour suprême n’a pas donné suffisamment la dimension nécessaire au caractère exceptionnel de tout ce combat épique, juridique qui a eu lieu depuis 2005. Elle a fait abstraction de l’amendement constitutionnel temporaire qui a été fait en 2014 et traduit par un règlement stipulant qu’il ne faut pas rejeter les candidatures. D’ailleurs, nous avons été candidats en 2014. J’ai moi-même été candidat. Mais cet amendement, une fois les élections passées, est devenu caduc. Raison pour laquelle nous nous retrouvons dans une situation exceptionnelle, avec un amendement constitutionnel qui avait lapsed, mais dont le règlement qui en découlait étant toujours valable. Nous avons entré ce case en Cour suprême quelques semaines avant les élections générales de 2019. Je suis navré et triste de dire que la Cour suprême a choisi de regarder le problème d’un angle étriqué au lieu de la grandeur de la question qui été posée devant elle. Et si la Cour suprême abdique devant son rôle de se prononcer sur les questions de droits humains, sur les potentielles violations des droits constitutionnels des citoyens, sur des questions d’ordre démocratique, alors nous avons à avoir peur pour notre pays.
l Sentez-vous que c’est un coup d’arrêt pour votre combat pour lequel vous aviez en 2014, pour les élections, eu un début de gain de cause ?
Ce combat fait partie du processus de l’histoire du pays, de la construction de ce Mauricien avec une identité multiple et indivisible. Et cela, aucune “technicalité” ne pourra le changer. Or, depuis 2005, l’establishment fait tout pour empêcher la marche de l’histoire. Dans une société démocratique, la question d’appartenance ethnique ne peut pas être un critère de qualification pour qu’un citoyen puisse être candidat à des élections. Le juge Balancy avait rendu un jugement qui dit que c’est anticonstitutionnel et une violation de la section 1 de la Constitution. Mais en novembre 2005, l’establishment a renversé ce jugement sans que ni nous ni le juge Balancy n’aient leur mot à dire et toutes nos candidatures ont été rejetées. La juge Rehana Gulbul, aujourd’hui chef juge, a donné un raisonnement juridique pour dire que le jugement Balancy était valide, mais puisque trois juges entre-temps ont dit que ce raisonnement de Balancy n’était pas valide, alors le rejet des candidatures a été confirmé. En 2019, nous nous sommes opposés à cela. Et les juges nous disent aujourd’hui que nous n’avons pas démontré comment cela nous affecte et représente une violation de nos droits constitutionnels. Mais que doit-on faire pour montrer cela ?
l Deux sondages récents mettent en avant le mauricianisme. 83% des Mauriciens affirment accorder préséance à leur identité nationale au détriment de leur affiliation ethnique (13%) ou de leur appartenance communale (5%) et un Mauricien sur 4 affirme avoir des origines mixtes. Le combat que mène ReA depuis 17 ans n’est donc pas vain…
Savez-vous combien de personnes viennent vers nous pour nous dire qu’avec notre combat nous évitons à leurs enfants de choisir entre leur maman et leur papa ? Pour nous, il n’y a pas de choix qui s’impose. Dan nou, dan sak Morisien, ena tou. Quand on me dit, lorsqu’arrivent les élections, d’enlever une partie de moi et de mettre ça sur la nomination paper, on porte atteinte au Mauricien, au pays.
l Les catégories traditionnelles définies dans notre Constitution pour le Best Loser System ne reflètent plus la perception que certains Mauriciens ont de leur identité aujourd’hui. À quoi doit-on s’attendre ?
Nous avons un dual system à Maurice. Un système de la représentation politique, c’est-à-dire le peuple vote un député pour représenter sa localité et pour gérer les affaires du pays. Mais en même temps, un député d’après le système de représentation communale. Ce système est désuet depuis longtemps, depuis les 60-0 en 1982. D’ailleurs, le Parlement n’a pas tout le temps été constitué de 70 députés à l’Assemblée nationale. Car le système est basé sur un census effectué en 1972. Comment peut-on avoir un système de représentation qui est basée sur un census de 1972 avec des catégorisations spécifiques faites pour les besoins politiques en 1972 ? Selon les calculs que j’ai faits récemment, si on tient compte de la population actuelle, 80% de la population n’étaient pas en âge de se classifier ou n’étaient pas encore nés à cette époque. Effectivement, la société mauricienne évolue, le mauricianisme s’épanouit et je crois que nous arrivons à une société où le Mauricien se forge et s’affirme. Mais l’État et la structure, c’est-à-dire les partis politiques traditionnels qui sont au pouvoir, peu importe qui et les institutions d’État, incluant le State Law Office et même le judiciaire, sont en déphasage. Et cela risque de provoquer des clashes générationnels, institutionnels…
l Au sein des partis politiques traditionnels, on continue de privilégier l’ethnocastéisme pour savoir qui sera le Premier ministre et partager les postes de ministres… Et pourtant, c’est eux que vote le peuple. À quoi est dû ce paradoxe ?
Ce paradoxe, c’est le décalage entre les aspirations profondes que la société mauricienne exprime de temps à autre et les partis politiques traditionnels qui n’arrivent pas à s’incorporer dedans. Nous avons une population qui, at different moment in time, exprime son appartenance à la société en masse. La dernière en date est le Wakashio. C’était formidable de voir, dans une catastrophe, qu’il y avait un espoir et le mauricianisme, ce que j’appelle moi l’écomauricianisme, a émergé. Cela s’est produit plusieurs fois dans l’histoire de Maurice : dans les années 1937-43, dans les années 1970, en mai 1975, en 1982, pour les Jeux des îles… La dernière tentative pour essayer un changement c’était l’épisode Ramgoolam-Bérenger. Le PTr-MMM ont tristement fait un mini-amendement constitutionnel, mais ils ont utilisé le premier aboutissement du combat de ReA pour mettre leur propre projet de changement constitutionnel en vue de partager les pouvoirs entre le Premier ministre et le président, entre Bérenger et Ramgoolam. Et quand ils mettent les questions de partage de pouvoir entre deux partis politiques, deux personnes, de deux postes, ils entament l’intégrité de ce combat. Pravind Jugnauth s’était lui porté candidat sans se classifier en 2014. Et il est venu avec une réforme pour qu’il n’y ait pas de réforme. ReA a entamé un combat et continuera tant que nous ne réussissons pas à faire évoluer les choses.
l Quelle sera la marche à suivre de ReA désormais ?
Depuis vendredi, nous avons été en conversation avec nos conseillers légaux qui nous recommandent d’aller devant le Privy Council assez vite et de contester ce jugement avant les prochaines élections générales. Mais ReA étant un parti politique, nous allons discuter de ces premiers conseils et de leurs implications dans nos différentes instances pour décider. C’est une issue de public interest. Le Privy Council est la seule autre cour d’appel que nous avons et nous allons sans doute vers cette option.
Propos recueillis par
Kathleen Pierre