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Éducation – filière tertiaire : des étudiants désillusionnés dénoncent les abus de cours en ligne

À l’UoM, les cours en ligne s’enchaînent sur plusieurs semaines avec des étudiants déprimés et démotivés

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Ils s’attendaient à vivre une belle expérience de vie de campus après le collège. Mais beaucoup ont été refroidis en apprenant que la moitié de leurs cours sont en ligne… Conséquence : ils se retrouvent cloîtrés chez eux pendant plusieurs semaines avant de pouvoir enfin revenir sur le campus pour une ou deux semaines. Ces étudiants de l’Université de Maurice (UoM) déplorent le fait de ne pas avoir été prévenus du système en place. Certains affirment même que leur santé mentale est affectée.

Depuis quelques années, l’UoM offre la moitié des cours dans chaque programme en ligne. Exception faite pour les programmes impliquant des aspects pratiques. Si dans une ère dominée par la technologie, une telle approche n’a rien de plus normal, des voix s’élèvent aujourd’hui pour parler « d’abus » et de leurs d’impacts négatifs sur la santé mentale et la motivation des étudiants.

Bhavna*, étudiante inscrite en première année, fait état de sa déception face à cette situation. « J’attendais de commencer l’université avec impatience. Lors de la journée d’intégration, j’ai reçu mon Timetable, où il était écrit que nous aurions deux jours de cours en ligne. J’ai trouvé cela acceptable, car sur une semaine de six jours de cours, j’avais toujours quatre jours sur le campus. Or, au cours de la deuxième semaine, une Lecturer nous a appris qu’en fait, nous n’avions que les trois premières semaines sur le campus, après quoi nous allions passer en ligne »fait-elle comprendre.

Ce qui a eu l’effet d’une douche froide pour de nombreux étudiants, qui s’attendaient à socialiser avec d’autres sur le campus et à profiter des différentes activités. Selon le Timetable disponible en ligne, dans le programme de Bhavna, il y a dix semaines de cours pour ce premier semestre de 2024/2025. Les semaines 1, 2 et 3 sont en présentiel. Puis les étudiants passent en ligne pour les semaines 4 et 5, pour ensuite revenir sur le campus la sixième semaine. Ensuite, s’enchaînent trois autres semaines de cours en ligne, soit 7, 8 et 9. Ce n’est qu’à la dixième semaine que ce groupe d’étudiants reviendra sur le campus.

Si sur papier, cette alternance entre cours en ligne et en présentiel semble simple, dans le concret, ce n’est pas le cas pour certains étudiants. « Après avoir été confinée à la maison et suivi des cours en ligne pendant la pandémie de Covid-19, je ne m’attendais pas à revivre une telle expérience. Je suis déprimée et je n’ai plus la motivation pour suivre mes cours. Pourtant, j’attendais l’université avec impatience », confie-t-elle.

Ce sentiment est partagé par de nombreux étudiants rencontrés sur le campus. Ils dénoncent un « abus » des cours en ligne et plaident pour un meilleur système où ils pourront s’épanouir. Sonia*, en deuxième année d’études à l’UoM, se dit également déçue de la tournure des événements. « Moi aussi j’étais très découragée quand j’ai appris, en première année, que mes cours allaient être à moitié en ligne. D’autant que je n’avais pas été prévenue. Ni mes amis non plus. À aucun moment, dans les appels à candidatures il avait été mentionné que les cours seraient 50% en ligne. Aujourd’hui, en deuxième année, j’essaie de m’adapter, mais ce n’est pas évident. Parfois la motivation n’y est pas », dénonce-t-elle.

Elle ajoute que beaucoup d’étudiants sautent les cours en ligne, car ils trouvent cela ennuyeux. « Si nous voulions suivre des cours en ligne, nous serions partis à l’Open University. Au moins, nous aurions pu travailler en même temps. Là, nous avons été mis devant les faits accomplis. Nous ne pouvons plus faire marche arrière. D’autant que si nous quittons ici pour aller dans une autre université publique, nous n’aurons pas droit aux études gratuites. On va nous dire que notre Free Scholarship était pour l’Université de Maurice. »

 

Manque de place

Le découragement est un mot qui revient sans cesse au sein de la communauté des étudiants sur le campus du Réduit. Dinesh* affirme que pour sortir de l’isolement, il s’est arrangé avec ses amis pour venir sur le campus, même les semaines où les cours sont en ligne. « Nous nous retrouvons sur le campus pour suivre les cours en ligne et nous passons un moment ensemble. Autrement, on ne va pas tenir le coup », dit-il.

Il conseille ainsi aux autres étudiants de s’organiser pour se retrouver sur le campus au lieu de rester cloîtrés chez eux. « Le seul problème, c’est que quand vous n’avez pas de classe, vous n’avez aucun endroit où vous réfugier s’il pleut. Il nous est arrivé de nous faire chasser de la cantine à plusieurs reprises. Le responsable nous a dit qu’il fallait laisser la place à ceux qui vont manger. »

Sollicité sur les raisons ayant poussé l’UoM à adopter un tel système, un ancien membre du Board explique : « Il y a trop d’étudiants. Surtout depuis l’application de la gratuité des études au niveau du tertiaire. L’idée étant de permettre à un maximum d’étudiants de profiter de l’université gratuite. Cependant, il n’y a pas la capacité physique d’accueillir tous ces étudiants en même temps. »

Il défend toutefois le mode d’enseignement hybride, estimant que dans le monde moderne, c’est désormais la norme. « S’il n’y avait pas de cours en ligne, les étudiants n’auraient pas pu poursuivre leurs études pendant la pandémie. Les étudiants devront s’adapter. Nous avons vu d’ailleurs ce qui s’est passé au secondaire, où il a fallu changer le calendrier scolaire et renvoyer les examens », rétorque-t-il.

Les étudiants se demandent pourquoi le ministère de l’Éducation n’investit pas dans de nouveaux bâtiments. « Le gouvernement est en train d’injecter beaucoup d’argent dans de grands projets ailleurs, alors pourquoi ne pas construire, voire louer, plus de salles de cours pour les étudiants ? » ajoutent-ils. D’autant que la cybercité d’Ébène, avec ses Towers à n’en plus finir, est juste à côté. « Il y a déjà des cours qui sont dispensés à Ébène », précisent-ils.

La question de salles disponibles est un argument qui revient sans cesse. Ce qui semble se confirmer quand on analyse les différents Timetables des différentes facultés. Il a ainsi été noté que pour certains cours, les étudiants de deuxième année ont débuté le semestre directement en ligne pendant trois semaines. Cette période correspond aux trois semaines en présentiel des étudiants de première année. Il semble qu’il y a une alternance entre les deux groupes concernant leurs présences sur le campus. 

QUESTIONS A… Pr Sanjeev Kumar Sobhee (vice-chancelier) : « Une approche alignée sur les tendances mondiales »

 Pourquoi les cours à l’UoM sont à moitié en ligne ?

Depuis plus de deux décennies, la politique de l’université vise à promouvoir l’utilisation des TIC dans l’apprentissage. Cela inclut l’intégration de la technologie dans les salles de classe – par exemple, vidéoprojecteurs et connexion Wi-Fi/Internet –, l’adoption du mode d’apprentissage hybride (Blended Learning), c’est-à-dire une combinaison de cours en ligne à travers différents outils disponibles. Nous proposons également des cours entièrement en ligne dans certains cas.

Les étudiants ont-ils été avisés de ce mode d’enseignement avant de s’enregistrer ?

Tous les programmes de premier cycle à l’université sont offerts en mode hybride, comprenant d’interventions à la fois en ligne et en présentiel. Cette politique était déjà en place avant la pandémie de Covid-19 et a été renforcée par la suite. C’est une approche alignée sur les tendances mondiales, qui prônent l’utilisation des TIC pour améliorer l’environnement d’apprentissage.

De plus, l’enseignement en ligne/hybride/numérique corrobore avec le Learner Centred Credit System (LCCS), qui est l’équivalent de l’ECTS (European Credit Transfer System). Le LCCS introduit en 2018 met beaucoup d’emphase sur le Self Learning ou Self Study, entre autres les TICS.

Dans la lettre d’admission (lettre d’offre), les étudiants sont informés comme suit : « UoM programmes are normally offered on a blended mode (lectures and tutorials can be held both online and face to face) and lecture notes are also shared online. » À ce jour, nous n’avons reçu aucune plainte à ce sujet, et nous collaborons étroitement avec l’union des étudiants.

Avez-vous réalisé un sondage pour déterminer si ce mode d’enseignement convient à tout le monde ?

L’instrument Student Feedback Questionnaire (SFQ) que nous administrons régulièrement aux étudiants ne révèle rien d’anormal en ce qui concerne l’apprentissage numérique/hybride. Bien que les retours soient généralement positifs, nous reconnaissons que la transition peut être difficile pour certains. 

Aucun mode d’enseignement, qu’il soit en présentiel, hybride ou entièrement en ligne, ne peut convenir à tous les étudiants. Chaque apprenant a des préférences et des styles d’apprentissage uniques. Le mode hybride, en combinant l’enseignement traditionnel à des innovations pédagogiques soutenues par les Tics, offre une flexibilité qui s’adapte à une variété de préférences individuelles. Par exemple, un étudiant peut suivre des cours magistraux en ligne tout en participant à des tutoriels en présentiel sur le campus, ou l’inverse. 

De plus, les étudiants continuent de profiter pleinement de la vie sur le campus, avec de nombreuses activités organisées par leurs pairs. Tous disposent d’une carte étudiante et bénéficient du transport gratuit grâce au Bus Pass de la NTLA. Nous avons aussi un centre dédié à l’apprentissage numérique, le Centre for Innovative and Lifelong Learning. Des études internationales montrent un intérêt croissant pour l’apprentissage numérique.

Avez-vous réalisé une étude sur l’impact de ce mode d’enseignement sur la santé mentale des étudiants ?

Nous n’avons pas encore mené d’étude spécifique sur l’impact de l’apprentissage numérique sur la santé mentale des étudiants à l’UoM. Cependant, les recherches globales n’indiquent pas de manière concluante un effet négatif significatif de l’apprentissage numérique sur la santé mentale. 

À ce jour, nous n’avons reçu aucune demande de soutien psychologique liée à l’apprentissage numérique. Une étude menée en 2010 par l’US Department of Education conclut notamment que l’impact de l’apprentissage hybride sur l’engagement et la satisfaction des étudiants est plus facile à cerner que son impact sur la santé mentale, qui reste variable et largement dépendant des circonstances individuelles. Des études similaires menées en 2007, 2008, 2012 et 2019 arrivent à des conclusions comparables.

Comment pouvez-vous vous assurer que les cours sont dispensés dans les meilleures conditions et qu’il n’y a pas de laisser-aller ?

Nous disposons d’un système d’assurance qualité rigoureux. Les mêmes standards s’appliquent pour l’enseignement en ligne qu’en présentiel. Nous avons adopté une Technology-Enabled Learning Policy, des Guidelines pour l’apprentissage en ligne, le Teaching Standard Framework, et une politique académique encadrant les modes d’évaluation alternatifs. De plus, les étudiants ont accès à divers mécanismes pour signaler tout problème éventuel. Nous avons également un système d’évaluation externe qui garantit la qualité de l’enseignement dispensé à l’UoM. 

Nous mettons aussi l’accent sur la formation continue de notre personnel enseignant dans les matières d’apprentissage numérique, l’ingénierie pédagogique et le Student-Centred Learning, entre autres. Ces mesures ont contribué à notre classement mondial dans le Times Higher Education Ranking et à notre amélioration continue sur plusieurs indicateurs liés à l’environnement d’apprentissage.


À l’UTM aussi…

Les cours à l’Université de Technologie (UTM) sont également à 50% en ligne. Toutefois, l’approche semble être différente de l’UoM. Selon le Semester Timetable disponible en ligne, il y a une semaine de cours en présentiel, suivi d’une semaine de cours en ligne, et ce, pour chaque programme.

Sollicité sur ce mode d’enseignement, le directeur de l’UTM, le Dr Dinesh Kumar Hurreeram, indique : « les cours en ligne permettent une certaine flexibilité à la fois aux étudiants et aux chargés de cours. Ils peuvent étudier confortablement à la maison, tout en évitant deux heures de route chaque jour. » Quant à savoir si les étudiants ont été avisés à ce sujet au moment de s’enregistrer, il précise que le mode hybride a été approuvé par l’Academic Council et le Board, où les étudiants sont représentés. 

Dans certains cas, les modules 100% en ligne sont même encouragés. Cependant, dit-il, si le mode hybride est privilégié pour le moment, des changements pourraient intervenir, dépendant de la situation et des attentes. « Rien n’est permanent à l’université. »

De même, il avance que des exercices de feedback anonymes sont réalisés chaque semestre pour évaluer le degré de satisfaction des élèves. « Depuis juin 2021, les résultats sont constants dans nos quatre facultés. Soit un taux de satisfaction de 75%. » (le Dr Hurreeram a fait parvenir une copie des résultats de ce Student Anonymous Feedback, Ndlr). Il dit ainsi son étonnement d’apprendre, par la presse, que des étudiants se plaignent des cours en ligne. Il concède cependant que l’UTM n’a pas mené d’études concernant l’impact des cours en ligne sur la santé mentale des étudiants. 

Pour maintenir le niveau, ajoute-t-il, les cours sont dispensés sur une plateforme de Learning Management System. Ce qui permet de relever la présence et la participation des élèves. Ce système permet aussi de tenir des sessions interactives.

 

Motus et bouche cousue

Il est où le temps où la Students’ Union de l’UoM prenait position, organisait des conférences de presse, voire des manifestations sur le campus, pour faire entendre la voix des étudiants. Le Mauricien a contacté des membres de l’union des étudiants ainsi que des Students’ Representatives des facultés concernant les cours en ligne, mais personne n’a voulu répondre aux questions. Ils ont tous avancé qu’ils doivent avoir l’autorisation du Management avant de pouvoir parler à la presse.

L’un d’eux a déclaré ne pas être au courant que des étudiants sont démotivés par le mode d’enseignement, mais les invite à venir faire leurs plaintes, car « ce sont des adultes maintenant ». Et si leurs représentants commençaient par donner l’exemple?

 

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