ÉDUCATION : La photographie pour combattre l’échec scolaire

À La Montagne RCA, école à performance moyenne, l’ensemble d’une classe de Std I a réussi cette année à maîtriser les lettres de l’alphabet et à construire des phrases. Mieux : les enfants ont réalisé un livre dont ils ont trouvé le titre eux-mêmes (« Le livre de l’Alphabet »), tandis qu’à la maison, ils prennent plaisir, sous les yeux ébahis de leurs parents, à retrouver des mots qu’ils connaissent dans des journaux. Un « exploit » qui s’est réalisé sans bourrage de crâne, ni leçons particulières. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture s’est fait à travers la… photo, et ce d’après un projet de l’Association Sidina. De sorte que ce qui n’était au départ qu’une simple activité extrascolaire dans cette école port-louisienne est désormais intégré à la pédagogie. Le Bureau de l’éducation catholique est d’ailleurs émerveillé des résultats et a décidé d’étendre le programme à une dizaine de ses écoles l’année prochaine. Cette expérience concluante de Sidina en milieu scolaire mérite d’être mise en lumière à l’heure des bilans…
La Montagne RCA, située à Bell-Village, accueille généralement des enfants issus de milieux socio-économiques modestes. Même si l’école n’a pas l’habitude de produire des “A+”, elle enregistre un taux de réussites honorable aux examens du CPE. Et cette année, la performance a été de… 68,83%. A l’entrée au primaire, une base de la maternelle fait défaut chez bon nombre des élèves de cet établissement. D’où les hésitations devant plusieurs lettres de l’alphabet. Sans compter les difficultés à s’exprimer, même dans la langue maternelle. On comprend alors la fierté des parents de cette classe de Std I, qui a bénéficié du projet Sidina, devant les progrès réalisés par leurs enfants à la fin de leur première année de scolarité. Quand on prend la peine de faire apprendre les enfants autrement, les résultats sont là, palpables et visibles. Présents à la réunion convoquée par la directrice de l’établissement le dernier jour d’école, les parents de ces enfants ont été émus jusqu’aux larmes…
Les témoignages parlent d’ailleurs d’eux-mêmes. « Mo zanfan konn ekrir, pran zournal lir, eple bann mo », « Emmanuel inn fer boukou progre, sa bann aktivite ki zot inn fer la inn fer li debrouye », « Mo byen fier seki Nadia pe fer dan lekol, mo trouve ki li enn zanfan byen epanwi », « Aster-la mo zanfan anvi vinn lekol ». Ou encore : « Mo sirpris li finn pran zournal san ki mo espere », « Dan lekol maternel Priyanka pa ti konn ekrir so non ditou, azordi li konn ekri li ek li konn ekir so ladres », « Okenn mo bann lezot zanfan pa ti konn ekrir kan zot ti dan First… so papa inn plore letan li trouve li pe lir », « Ma fille, c’est ma fierté. Que ce soit au niveau de l’écriture ou du langage parler, elle a fait de gros progrès ».
Pour encourager les enfants dans leurs efforts, Karine Gougerot, photographe professionnelle et responsable de Sidina, leur avait remis un diplôme ce jour-là, et ce en présence de leurs parents. L’excitation était à son comble parmi ces enfants de six ans en recevant le petit carton sur lequel on peut lire : « L’association Sidina certifie que l’élève XX a suivi avec assiduité le “projet photographique Diraloin” et lui délivre ce diplôme. » Les yeux écarquillés, ils essayaient de déchiffer ce qui y est écrit, mais en étant conscients de leurs limites. « Ayo, c’est un peu difficile. Quand on sera plus grand, on pourra lire tout ca… » laisse échapper une petite voix. Ces enfants sont donc déterminés à aller plus loin dans leur apprentissage, comme le souhaite d’ailleurs le titre du projet.  Marie-Anne Gopaul, la directrice, avoue avoir été prise au dépourvu par les témoignages émouvants des parents et pour leurs propos élogieux vis-à-vis de l’école. Mais elle a le ton modeste. « Nous n’avons pas fait de miracles. On nous a dit qu’on peut faire des merveilles dans l’apprentissage par le biais de la photo, on y a cru et cela a fonctionné. Les enfants sont heureux et épanouis. Ils s’expriment avec facilité et c’est ce que nous voulons dans nos écoles », dit la Head Teacher. Pour rappel, l’organisation travaille sur l’utilisation de la photo comme méthode d’expression et d’apprentissage. Si l’intérêt principal chez les enfants est le maniement de l’appareil photographique, ils sont appelés aussi à un travail d’écriture, de dessin, de communication et d’expression corporelle. Et tout cela couplé à l’imagination et au sens de la créativité de l’enfant. Autant d’éléments ayant conduit à la réalisation de ce magnifique “Livre de l’Alphabet”, que les petits apprenants de l’école La Montagne RCA  ont réalisé et qui a été présenté à leurs  parents.  
Le BEC s’est intéressé au projet “Diraloin” depuis 2008 et l’a inclus dans ses activités extrascolaires. Mais après quatre ans, l’organisme catholique a voulu donner une autre dimension à cette collaboration. « Ce n’est plus une simple activité extrascolaire », explique Alain Doolub, responsable des écoles primaires catholiques. « La technique de Diraloin est intégrée dans le processus d’apprentissage et, depuis cinq ans, nous travaillons sur ce projet pour la Std I. La Montagne RCA est la première école où nous l’avons adoptée. L’expérience est concluante et les résultats vont au-delà de nos espérances. C’est pour cette raison que nous avons décidé d’en faire profiter une dizaine de nos écoles à performance moyenne », poursuit A. Doolub. Ce choix du BEC s’inscrit dans une démarche multiple : d’une part de combattre l’échec scolaire et, de l’autre,  de promouvoir le développement intégral de l’enfant. Objectifs atteints à La Montagne RCA.
A l’heure du bilan, les enseignants impliqués dans le projet évoquent eux aussi les changements qui se sont opérés chez « leurs » enfants. Ils sont formels : « La méthode a plu aux enfants. Ils sont épanouis et ont retrouvé la confiance en soi. » Il n’y aurait plus de blocages dans l’apprentissage.  
Tout aussi important que la maîtrise de l’écriture et de la lecture : la nouvelle attitude notée chez les enfants face à l’école et à l’apprentissage. « Aster-la mo zanfan anvi al lekol », dit une maman. « Mo nepli bizin dir Ezekiel al pran so liv lekol, parfwa li pran lagazet par limem », renchérit une autre. Preuve que les enfants sont devenus autonomes dans leur apprentissage, et c’est bien là le but visé par le BEC.
La mise en pratique de cette nouvelle pédagogie nécessite beaucoup d’énergie et de temps, et sa réussite à la Montagne RCA est le fruit d’un travail collectif impliquant profs, chef d’établissement et collaborateurs extérieurs. « Sans la participation et la conviction des profs, on ne va pas loin », admet Karine Gougerot, qui salue l’implication du personnel de La Montagne RCA.
Pour l’heure, Diraloin, en milieu scolaire, ne concerne que l’apprentissage du  français et le BEC voudrait transposer la méthode pour l’enseignement de  l’anglais. « Sidina » est un mot malgache qui signifie « l’oiseau qui prend son envol ». Sans aucun doute, ces enfants, à La Montagne RCA, ont commencé à prendre leur envol dans le domaine de l’apprentissage au bout de leur première année de scolarité. Leurs efforts méritent d’être soutenus. Ceux qui sont à la recherche de moyens pour faire reculer l’échec scolaire ne devraient pas ignorer « Diraloin ».

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