Entretien exclusif avec Colossal Biosciences – Le dodo : il est (presque) ressuscité !

Dans un entretien exclusif accordé à Week-End, Ben Lamm, le fondateur et PDG de l’entreprise américaine Colossal Biosciences, accompagné de la biologiste moléculaire de renom Dr Beth Shapiro, nous explique comment leur est venue l’idée folle de faire revivre le dodo. Deux semaines après que la nouvelle est diffusée dans le monde entier, une équipe de Colossal Biosciences s’apprête à venir à Maurice pour démarrer la première phase sacro-sainte du projet : ouvrir le dialogue et constituer une équipe de chercheurs et scientifiques mauriciens. Bien qu’il puisse relever de la science-fiction, ce projet reste avant toute chose un projet de conservation 2.0.

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“Ne vous en faites pas, nous n’avons pas encore de dodo en poche. En vérité, nous sommes encore à des années d’en voir un en vrai”, nous lance d’un ton enjoué Ben Lamm, le fondateur de la société américaine de biotechnologies et de génie génétique Colossal Biosciences, qui a décidé de “de-extinct” l’oiseau emblématique de l’île Maurice, le dodo. C’est sur Google Meet que l’entretien s’est déroulé, et ce, malgré le décalage horaire. En effet, lorsque nous avons pris contact avec la société il y a deux semaines, Colossal Biosciences nous a répondu le lendemain même. L’engouement et le désir de parler de ce projet de 150 millions de dollars récoltés auprès d’investisseurs variés, dont l’In-Q-Tel, la société de capital-risque de la Central Intelligence Agency (CIA), était quasi palpable !

Le site web dédié au projet explique clairement les ambitions de l’équipe de chercheurs en biotechnologie et autres

Si le projet semble relever de la science-fiction, voire de l’insolite, Ben Lamm et son équipe ont, eux, hâte de tout mettre en marche, d’autant qu’il s’agira d’une aventure scientifique de très longue haleine et de nombreux paramètres doivent être scellés avant toute tentative de… réanimation. “Je devais venir à Maurice, mais avec le cyclone, impossible de se déplacer”, nous dit-il. Le PDG de Colossal Biosciences, grand passionné de recherches scientifiques, explique avoir pris contact avec les autorités mauriciennes du secteur public et du secteur privé, et que depuis, le “feed-back est fabuleux ! On a travaillé sur de nombreux projets de conservation à travers le monde et je dois avouer que l’accueil que nous avons reçu à ce jour est incroyable.” Une équipe devrait faire le déplacement d’ici quelques mois. “Nous avons encore quelques détails logistiques à régler”, dit Ben Lamm.

Pour info, et pour les curieux, il existe un site entièrement dédié au projet, où tout est expliqué dans les moindres détails. La société compte ainsi créer des génomes aviaires de haute qualité et si la culture de cellules germinales primordiales (PGC) d’oiseaux sauvages peut constituer un obstacle au progrès, elle compte adopter une approche de dépistage à grande échelle. Diverses conditions seront testées pour optimiser les paramètres de croissance des PGC de pigeons Nicobar. Que de technicités qui restent toutefois intéressantes…

Après le mammouth et le loup de Tasmanie

En effet, la société n’en est pas à sa première tentative de faire revivre des animaux longtemps, très longtemps disparus, avec notamment le projet de vouloir créer des hybrides de mammouth laineux ou ressusciter le thylacine, également appelé loup marsupial ou loup de Tasmanie ! Par ailleurs, Ben Lamm nous explique, avant d’entrer dans des explications techniques avec une terminologie en biotechnologie difficile à digérer pour le commun des mortels, que “notre entreprise travaille en étroite collaboration avec la communauté locale. Avant même de commencer quoi que ce soit, il est essentiel d’aller à la rencontre des autorités, de la communauté scientifique locale et des habitants eux-mêmes.”

Au bout de quelques minutes, nous lui posons la question que tout Mauricien se pose : “pourquoi diable le dodo ?” À laquelle répond d’emblée la biologiste moléculaire, Dr Beth Shapiro. Elle est l’épine dorsale de ce projet “phénoménal”. Beth Shapiro n’est pas une novice dans le domaine du dodo. Elle a en effet travaillé sur le dodo et publié de nombreuses recherches à ce sujet, dont un en 2002 sur les analyses génétiques du dodo. “J’ai aussi récemment participé aux récents travaux d’excavation à Mare-aux-Songes », ce lagerstätte vieux de plus de 4 000 ans qui a fasciné des chercheurs du monde entier. Sa fascination pour le dodo ne date pas d’hier, donc.

Tout un symbole pour la conservation

“Le dodo est l’animal parfait pour montrer l’impact de l’homme et des activités humaines sur nos écosystèmes. Le dodo revêt tout un symbolisme, surtout dans le domaine de la conservation, et l’on s’est dit pourquoi pas !” Beth Shapiro souligne ainsi que ce projet est avant tout un projet de conservation.

Toutefois, depuis que la nouvelle est tombée, les critiques n’ont pas tardé à pleuvoir sur les nombreuses plateformes internet et parmi la communauté des scientifiques, reprochant à Colossal Biosciences de vouloir relever les morts, alors qu’il existe à ce jour de nombreuses espèces d’animaux, d’oiseaux vivants menacées d’extinction. “À cela, je répondrai par « oui » ces gens ont parfaitement raison de dire cela. Il faut savoir que les projets de conservation ont beaucoup de mal à trouver des investisseurs et là, nous avons reçu des fonds d’une entreprise totalement différente et qui a à coeur de faire avancer les choses. Pourquoi pas saisir l’occasion et utiliser cette opportunité pour faire avancer la science ?”

Colossal Biosciences, société américaine de génie génétique, relèvera le pari fou de ressusciter notre dodo national

Beth Shapiro poursuit qu’en “entamant les recherches poussées pour faire revivre le dodo, nous arriverons à comprendre les mécanismes d’extinction et à développer des outils en biotechnologie pour la stopper”, dit-elle. Un grand pas dans le monde de la conservation, si cela devait se produire ! D’ailleurs, Ben Lamm souligne que lui et son équipe restent ouverts aux critiques. “Nous en avons besoin. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises, nous devons savoir ce qui ne va pas avant de démarrer concrètement le projet.”

L’expertise locale est cruciale

Ainsi, faire ressusciter le dodo est avant tout un acte salvateur. “Il faut savoir aussi que ce projet de désextinction a commencé en vérité en 1662 ! Sans rigoler, l’envie et la volonté de vouloir réparer les dégâts de l’homme a toujours été là, et il y a deux mois, en recevant les fonds nécessaires, on a tout lancé”, ajoute Ben Lamm. “On a hâte de tout démarrer. C’est un projet fabuleux.” Aussi, Beth Shapiro explique que si le dodo devait effectivement revoir le jour dans les années à venir, “il est extrêmement important de comprendre l’environnement et le climat de l’île qui ont tous les deux évolué. D’où l’importance de mettre sur pied cette équipe de chercheurs et scientifiques locaux. Leur expertise est cruciale dans ce projet, car le but n’est pas de détruire, bien au contraire.”

En attendant l’arrivée de Colossal Biosciences, les Mauriciens, notamment les internautes, sont eux très inquiets : “Et si le dodo devait ressusciter, allons-nous encore une fois tous les manger comme les Hollandais l’ont fait ?” Une réflexion humoristique certes, mais qui reste selon Ben Lamm la première question que tout le monde se pose lorsqu’un projet de désextinction est évoqué. Comme quoi, nous aurons la réponse dans quelques années !

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