Esclavage à Madagascar : une histoire complexe et un tabou qui s’estompe

L’université de Maurice et le Centre for Research on Slavery and Indenture (CRSI) lancent conjointement, mais à distance avec l’université de Toamasina (Tamatave), le premier livre de l’historien Chaplain Toto, « Esclavage, dépendance et hiérarchie sociale à Madagascar : réflexions sur quelques faits dans les représentations contemporaines ». Illustré de quelques photographies, cet ouvrage d’une quarantaine de pages présente les différentes formes de domination qui sont apparues au cours de la longue histoire de la Grande Île, évoque le silence qui l’entoure et le place en miroir d’un phénomène nouveau de revendication et d’affichage de l’origine africaine, dans les expressions artistiques et la culture populaire actuelle.

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L’Abolition de l’esclavage à Madagascar a connu plusieurs épisodes avant que le gouverneur colonial Galliéni ne l’entérine en 1896. En 1817, Radama 1er promet la libération des esclaves lors de son premier passage à Tamatave. Puis dans les années 1840, la Reine Ranavalona s’implique directement dans cette cause et œuvre pour la libération des Masombikas, qui va, dès lors, se faire progressivement… Peut-être que la mise au jour de l’héritage lié à l’histoire de l’esclavage et de son impact sur la société actuelle connaît les mêmes difficultés à s’affirmer, tant ils sont encore bannis des discussions publiques.

« La discrimination sociale liée à l’histoire de l’esclavage et de la traite reste largement un sujet tabou dans la Grande Île, malgré le temps écoulé depuis le processus pour la fin de la traite à Madagascar », souligne Chaplain Toto en préambule. Or, malgré cela, « des phénomènes socioculturels nouveaux se manifestent comme des prémices d’un changement plus profond d’une mentalité collective envers les descendants des classes dites subalternes. »

Le titre de ce livre « Esclavage, dépendance et hiérarchie sociale à Madagascar : Réflexion sur quelques faits dans les représentations contemporaines », reflète deux réalités contrastées : d’un côté, les différentes formes de domination et de soumission dans l’histoire et le silence qui est fait dessus, et de l’autre côté, les nouvelles représentations de la culture africaine apparues dans la culture populaire et les expressions de la jeunesse actuelle…

Origines africaines multiples

Au cours de sa longue histoire, qui remonte aux débuts de notre ère, Madagascar a connu des formes différentes de dominations et de soumissions, tant et si bien que l’Abolition de l’esclavage stricto sensu n’a pas permis de venir à bout de toutes les formes de dépendances présentes dans la société, qui n’étaient d’ailleurs pas forcément identifiées comme des formes d’esclavage. « À travers le temps, commente l’auteur pour nous, quelques formes de dépendance résistent, qui semblent bien ancrées dans les pratiques sociales et culturelles à Madagascar. J’estime qu’à travers cet ouvrage, on comprend mieux l’esclavage et ses séquelles sociales, ainsi que les autres formes de hiérarchie qui existent à travers le pays. »

Il donne ainsi plusieurs exemples dans une première partie édifiante, de propriétaires terriens spoliés par des envahisseurs, qui les repoussaient et marginalisaient, à l’instar des Zafindrabay, qui sont devenus maîtres de la baie d’Antongil au XVIIIè siècle après avoir réduit différentes tribus qui y vivaient, en esclaves. Quelques siècles plus tôt, des groupes islamisés pillaient et soumettaient les villages littoraux, comme l’illustrent les légendes des Darafify et le passage des Anjoatsy, qui se présentaient comme des voyageurs divins.

Il subsiste aujourd’hui des pratiques héritées de cette histoire, qui font par exemple qu’on n’épuise jamais la réserve d’eau potable de la maison, en référence aux Anjoatsy, qui pouvaient jadis venir en réclamer à n’importe quel moment, et s’ils n’étaient pas satisfaits, qui s’en prenaient à la famille. Chaplain Toto évoque aussi les razzias du XVIIè siècle que perpétraient certains groupes malgaches très organisés, dans leur pays et à l’étranger, comme aux Comores. Il reste, par exemple, des Zafindrabay divers instruments de musique directement importés d’Afrique.

Les Africains déportés à Madagascar dans le strict cadre de la traite des esclaves de l’océan Indien arrivent en fait en troisième position dans les apports de population africaine dans ce pays. Contrairement à l’histoire de l’esclavage à Maurice, qui semble linéaire et relativement simple, on ne peut à Madagascar, relier à la traite négrière tous les éléments constitutifs de la présence africaine. De fait, la traite est venue bouleverser le système esclavagiste traditionnel de Madagascar, et souvent d’anciens esclaves devenaient eux-mêmes les soldats ou les complices des nouveaux esclavagistes dans la soumission d’autres populations du pays au système servile.

Réparation culturelle ?

S’attachant à l’analyse du langage, Chaplain Toto relève qu’une abondante culture populaire orale illustre le terme andrianana, qui signifie la noblesse à la malgache, tandis que le terme andevo, qui signifie esclave, en est quasiment absent. Ainsi dans un recueil de plus de mille proverbes betmimisaka, seulement quatre mentionnent ce dernier terme. Ce qui a justement incité l’auteur à s’en emparer pour les analyser et les interpréter… Aussi s’attarde-t-il sur différents mots du vocabulaire, hérités de l’esclavage, qui sont venus jusqu’à nous aujourd’hui et qui ont même connu un regain d’intérêt ces dernières décennies. Mboty ou Imboty comme incarnation de la beauté féminine africaine en est un. Le terme est réapparu dans des chansons d’un groupe des années 90, puis de manière de plus en plus fréquente à partir des années 2000.

Jao, que l’on retrouve dans le nom du musicien le plus célèbre de la Grande Île, le roi du salegy Jaojôby, incarne quant à lui la virilité masculine. L’auteur développe aussi son argumentation sur d’autres termes, directement hérités de l’esclavage, mais dont le sens et la perception ont évolué dans la conscience collective. Dans la troisième partie de ce livre, Chaplain Toto se penche particulièrement sur l’héritage de l’esclavage dans les traditions musicales, pour y constater un véritable renouveau dans la façon dont on manifeste, et même revendique l’origine africaine, qui s’affiche désormais dans les expressions artistiques de la jeunesse malgache.

La culture populaire joue ici pleinement son rôle d’avant-garde de la pensée, dans une société où le sujet de l’esclavage est encore tabou. « La sensibilité du sujet de l’esclavage et de ses séquelles, explique Chaplain Toto, empêche les chercheurs de l’aborder ouvertement, ce qui explique la rareté des publications sur le sujet à Madagascar. Mais ce refus d’en parler ouvertement contribue à entretenir le problème pour longtemps. En réalité, la société malgache n’est pas aussi paisible qu’on l’imagine. Et la discrimination à la malgache puise vraisemblablement ses sources dans l’histoire de l’expansion territoriale d’un royaume pour unifier le pays, en réduisant les autres groupes en esclavage, avec la participation des anciens chefs des pays conquis, au profit du groupe dominant. L’histoire de l’esclavage et plus tard de la traite des esclaves s’est toujours déroulée en parallèle avec celle des formations politiques à Madagascar. »

 

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