Expérience vécue au Sud-Est : L’eau balaie tout sur son passage

Un phénomène climatique qui interpelle les météorologues ou encore ceux qui luttent pour la protection de l’environnement. En l’espace de dix heures ce vendredi 16 avril, la région du Sud-Est, et plus particulièrement les environs du Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport, a reçu l’équivalent de deux mois de pluies en cette fin d’été. Cette situation n’a pas été sans conséquence pour ceux qui habitent la région et qui ont été affectés par ces tonnes d’eau, qui ont tout balayé sur leur passage. Et sans avertissement aucun. Pour d’autres, loin de la catastrophe naturelle, et bien calés dans le confort de leur sofa, le spectacle retransmis sur les réseaux sociaux était beau à voir.
En tout cas, pour ces étudiantes devant se rendre à leurs centres d’examens pour des épreuves académiques de fin de cycle secondaire, ou encore ces travailleurs aux champs, emprisonnés par la montée soudaine des eaux, les mettant en danger à tout instant, l’expérience aura été des plus traumatisantes. Des témoignages qui en disent long…

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INONDATIONS  | Expérience inédite :  En route pour les examens de HSC dans des blindés de la SMF

Mary Jane Goder, qui ne souhaite pas revivre une nouvelle fois cette situation: « Pa ti fasil ditou. Nou finn bien strese»

Jearuth Celeste, d’Olivia: « Mo pa anvi vwayaz dan vehikil blinde e eskorte ankor »

Mary Jane Goder, habitante d’Anse-Jonchée, et Jearuth Celeste, d’Olivia, fréquentent toutes les deux le collège Lorette de Bambous-Virieux. Elles devaient se rendre ce vendredi fatique au collège Lorette de Mahébourg pour prendre part aux examens du Higher School Certificate (HSC). Mais en raison de la route impraticable, suite aux intempéries ce jour-là, les deux élèves ont dû voyager à bord d’un blindé de la Special Mobile Force pour se rendre au centre d’examens de Mahébourg. Une expérience inédite pour ces deux étudiantes d’autant plus que le confinement de la deuxième vague de Covid-19 leut avait déjà compliqué le quotidien.

Vers 7h ce jour-là, Mary Jane Goder attendait à un arrêt d’autobus non loin de chez elle, pour prendre le van, qui devait la conduire au centre d’examens à Mahébourg. S’y trouvaient, dans le véhicule, d’autres élèves du même établissement scolaire, venant de différentes régions de l’Est et qui devaient eux aussi participer aux examens. Trente minutes après, soit vers 7h30, le conducteur, qui devait être à hauteur d’Anse-Jonchée, ne donnait toujours pas signe de vie.

« J’ai commencé à être très inquiète. La pression montait, car les examens allaient débuter à 7h45. J’ai alors appelé mes amies, qui se trouvaient dans le van, pour prendre les dernières nouvelles. J’ai appris par la suite qu’en raison des averses, la route était impraticable, que les drains étaient inondés et que le conducteur avait téléphoné à la directrice de notre collège, Roselyne Thomas, pour lui faire savoir qu’il ne pouvait se rendre à Anse-Jonchée pour venir nous récupérer », raconte-t-elle.

Elle poursuit : « Mo’nn komans panike. Un camion de sapeurs-pompiers, qui circulait dans la région, est passé en même temps à Anse-Jonchée. J’ai couru après eux pour leur mettre au courant de notre situation et leur dire qu’il fallait absolument que nous nous rendions au centre d’examens. Nous avons ensuite appris que notre directrice faisait elle aussi des démarches pour trouver une solution. Quarante minutes après, un véhicule blindé de la SMF est arrivé. Nous étions cinq élèves à y avoir pris place. » Direction le collège Lorette de Mahébourg avec un retard considérable.

Arrivant sur place, trempés jusqu’aux os, les élèves ont été pris en charge par le personnel du collège, parmi la directrice Roselyne Thomas, qui les dirigeait ensuite vers une salle d’isolation, aménagée spécialement pour les élèves qui participaient aux examens, en raison de la propagation de la COVID-19. Ils ont eu droit à une boisson chaude, et ce la peur au ventre avant d’entrer dans la salle d’examens. « J’ai fait de mon mieux. Mais ce n’était pas facile. Il faut attendre les résultats », dit Nathalie, qui ne souhaite pas revivre une nouvelle fois cette situation. « Pa ti fasil ditou. Nou finn bien strese. » Elle remercie tout le personnel du collège Lorette de Mahébourg et les éléments de la SMF, qui les ont conduits jusqu’à Mahébourg.

Par ailleurs, Jearuth Celeste, habitant Olivia, est elle aussi élève du HSC fréquentant le collège Lorette de Bambous-Virieux. Elle dit avoir aussi voyagé en véhicule blindé de la SMF pour se rendre au centre d’examens de Mahébourg. Tout a commencé lorsque son père l’avait déposée à 6h30 sur un arrêt d’autobus, à Bel-Air-Rivière-Sèche, pour qu’elle prenne le van, qui devait l’emmener au collège Lorette de Mahébourg, où elle allait prendre part aux examens.

À 6h45, le van s’arrête sur l’arrêt d’autobus où son père l’avait déposée. Elle prend place à bord du véhicule, qui traverse d’abord les villages de Quatre-Sœurs et Deux-Frères, pour aller récupérer d’autres candidats, dont Nathalie Goder, qui prennent part eux aussi aux examens du HSC. Le temps était couvert et Jearuth ne faisait pas trop attention à cela, ayant l’espoir que le ciel s’éclaircisse plus tard et qu’elle puisse participer aux examens en toute quiétude.

Arrivant à Grand-Sable, grosse déception pour Jearuth. C’était le déluge. Il pleuvait des cordes. « Premie fwa mo trouv lapli tonbe komsa », raconte-t-elle. Elle ajoute : « Arrivant à Anse-Jonchée, sofer ti pe gagn bokou difikilte pou roule. Il a alors décidé de mettre la directrice Roselyne Thomas au courant de la situation dans laquelle nous étions et qu’il ne pouvait prendre de risque en mettant en danger la vie des élèves sous sa responsabilité. »

Avec les autres élèves, elle a dû prendre place à bord du véhicule blindé de la SMF pour aller prendre part aux examens. Elle s’est dite très satisfaite de l’accueil qu’elle a reçu au collège Lorette de Mahébourg lorsqu’elle est arrivée complètement trempée. « C’est la première fois que je vis une expérience aussi traumatisante. Cela restera pour longtemps gravé dans sa mémoire », dit-elle. Elle remercie la directrice Roselyne Thomas, qui a tout fait pour les récupérer en route afin de les emmener au centre d’examens de Mahébourg. « J’étais très touchée par cette démarche. » Jearuth Céleste remercie aussi les hommes de la SMF et les policiers qui l’ont déposée chez elle, à Olivia, après les examens. Pour rien au monde, dit-elle en rigolant, « mo pa anvi vwayaz dan vehikil blinde e eskorte ankor ».

Sauvées des eaux de Bambous-Virieux

« Enn sel kou delo anvair. Nous n’avions pas le choix. Nous étions
accrochés l’un à l’autre à une branche »

Marie-Noëlle Apollon, Clivi Ecumoir et Miletta Souci habitent Bambous-Virieux. Elles se trouvaient parmi les dix personnes (dont neuf femmes), travaillant dans la matinée de ce vendredi dans un champ de cannes au pied de la montagne Lion. Tout d’un coup, les champs ont été envahis par la montée des eaux. Elles ont fait appel à leurs proches, qui ont ensuite sollicité les éléments de la Special Mobile Force et les sapeurs-pompiers pour les évacuer. Elles ont été ramenées saines et sauves après cette opération de sauvetage. Elles racontent au Mauricien cette expérience traumatisante.

« Nou ti nef o total. Nou ti al donn kou de min enn planter dan la rezion. Nou ti abitie antrede. Enn sel kou delo anvair. Nous n’avions pas le choix. Nous étions accrochés l’un à l’autre à une branche. Nous étions tétanisées par la peur. Mo lev mo latet ver lesiel, mo dir bon die nou met tou dan to la min. On est restées solidaires dans ces moments-là », raconte Marie-Noëlle Apollon, mère de cinq enfants.

Et de poursuivre : « J’avais appelé un membre de la force policière pour lui expliquer dans quelle difficulté on se trouvait. En attendant, nous sommes restées accrochées à une branche, malmenées par le fort courant. C’était des moments très pénibles pour nous. Je n’arrêtais pas de penser à mes filles. Personne ne s’attendait à ce que nous allions nous retrouver dans une telle situation. Heureusement que les éléments de la Special Mobile Force et les pompiers qui se trouvaient dans les parages sont venus nous secourir pour nous ramener chez nous. Je ne souhaite à personne de vivre cette très mauvaise expérience. Mo pou fer bien atansion avan mo kit mo lakaz aster. Mo pou gete si letan bon avan », confie la quinquagénaire. Elle n’arrête pas, dit-elle, de repasser dans sa tête cette expérience. « Sa zour la res dan mo latet. »

Miletta Souci avait accompagné ce jour-là ses voisines qui l’avaient sollicitée jeudi, soit à la veille des inondations, pour aller donner un coup de main à un planteur qui habite lui aussi la localité. « Nous avions l’habitude de nous entraider », confie cette mère de famille « ki bat bate kouma labourer kot li gagne » et qui, parfois, va travailler dans un champ de cannes dans la localité par un moyen de transport mis à la disposition par un employeur pour que ses voisines et elles n’aient pas à parcourir un kilomètre à pied chaque jour.

« Je n’oublierai jamais ce jour-là. On s’était retrouvées subitement face à la montée des eaux et de la boue. J’ai heureusement eu le temps moi aussi de m’accrocher à cette branche. Mo santi mo lavi pe ale. Mo diman bon die fer nou rant lakaz. Je ne sais où nous avions puisé de la force ce jour-là. » Elle a vu, dit-elle, la mort en face elle aussi. « Se travay bon die si nou ankor an vi », croit-elle. Cette journée restera gravée longtemps dans sa mémoire. Elle est toujours sous le choc. « Je revis chaque jour cette scène lorsque je traverse cet endroit pour aller travailler. Je suis encore traumatisée. »

« Nou finn pass pre ek la mor sa zour la », rappelle Clivi Ecumoir qui, elle aussi, a failli être emportée par les pluies diluviennes qui se sont abattues sur la région côtière du sud-est, charriant des torrents de boue à Bambous-Virieux, Rivière-des-Créoles, Anse-Jonchée, Ferney et Bois-des-Amourettes. « Je ne m’attendais pas à vivre une expérience aussi traumatisante. » Prise de panique, elle a cherché à sauver sa vie à tout prix.

« Vous ne pouvez pas imaginer la peur de mourir d’autant plus lorsque vous êtes mère de famille. Ena la min bondie ladan », ne cesse de répéter cette mère de quatre filles. « Je vais réfléchir à dix fois et prendre toutes les dispositions avant de m’aventurer. » Elle ne pourra pas faire autrement, concède Clivi, femme laboureur qui doit elle aussi « bat bate kot gagne » pour subvenir aux besoins de sa famille.

Clivi, Marie-Noelle et Miletta remercient infiniment toutes celles et ceux qui les ont aidées dans ces moments difficiles. « Nous sommes très reconnaissantes envers eux. Nou pa kapav blie zot », disent les trois rescapées.

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