Fam Ape Zwenn – Shirin Aumeeruddy-Cziffra : « Maurice recule de plusieurs années avec la loi modifiée sur la citoyenneté »

Sheila Bunwaree : « La voix des Mauriciennes doit être entendue pour effectuer des changements majeurs »

Le mois de mars est un mois très chargé pour le collectif Fam Ape Zwenn (FAZ)/Women Meet. Après le forum-débat autour de la thématique de la citoyenneté, lundi, ce mouvement a souhaité marquer à sa manière la Journée de la Femme. Le temps d’un moment d’échanges, de dialogues et de vécus dans la salle municipale de Parisot Lane, à Mesnil, plus d’une centaine de Mauriciennes de tout âge, et venant de tous les coins du pays, ont participé à une journée fructueuse en savoir et en partages.

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L’un des temps forts de cette rencontre a été l’Immigration Act de 2022, soit les modifications apportées « qui confèrent au seul Premier ministre la prérogative de décider et s’il n’est pas content de tel époux ou épouse d’origine étrangère ayant contracté le mariage avec un Mauricien, il peut le/la déporter illico, sans avoir à fournir quelque justificatif », comme l’ont résumé les membres de FAZ. Nalini Burn a évoqué son propre parcours, non sans émotion et douleur pour expliquer, devant l’assistance présente, comment la précédente mouture d’une loi similaire, en l’occurrence l’Immigration Act de 1977 & la Deportation Act de la même année, avait fortement impacté sa vie familiale.

L’activiste sociale a expliqué comment elle avait dû « quitter le pays, quitter mes parents et proches, prendre mes enfants, parce que celui que j’avais épousé, un ressortissant étranger, avait été déclaré persona non grata ». Cet affreux cauchemar, cette déchirure, Nalini Burn pensait sincèrement qu’après le combat mené par Shirin Aumeeruddy-Cziffra et d’autres Mauriciennes, ici au pays, « ce serait du passé ».

« Cependant, avec la nouvelle version de la loi sur la citoyenneté mauricienne, modifiée l’an dernier, nou revinn a lakaz depar », se sont exclamées les animatrices du mouvement. Shirin Aumeeruddy-Cziffra, qui, avec un groupe de Mauriciennes, avait porté le cas en Cour et gagné la cause, soutient : « Cette nouvelle mouture fait reculer notre pays ! Le combat que nous avons mené et les avancées qui ont ponctué cette victoire deviennent désormais caducs. »

« Inacceptable »

Cette situation est inacceptable  ont soutenu ces femmes. « De nos jours, dans pratiquement chaque famille, il y a au minimum un membre qui a épousé un étranger. Nous ne pouvons pas laisser faire une telle loi discriminatoire ! » Ce qui a fait dire à Nalini Burn : « Malgre tou konba ki nou’nn amene, zordi nou’nn retourn an arier ! Nou pe viv dan enn diktatir kot dimin si PM desid li pa kontan tel madam ou tel misie, li desid pou deporte li koumsa ! Me sa nou na pa kapav les fer. »

De son côté, Pooba Essoo a également rappelé qu’elle avait été partie prenante de la grève des étudiants de mai 1975. « Quand j’ai été arrêtée et détenue, avec d’autres Mauriciennes, dont de nombreuses sont ici, dans FAZ, nous luttions contre les injustices de cette époque. Mais aujourd’hui, la situation est devenue pire qu’en ces années-là ! Il y a cette loi sur la citoyenneté, et il y a les violences de toutes sortes : verbales, physiques, psychologiques et morales, que subissent les Mauriciennes. Ce sont des atrocités ! Partout où nous sommes allées, nous avons été témoins de réalités terribles dans lesquelles nombre de citoyennes sont forcées de survivre »n, dit-elle.

« Nou bizin renouvele nou konba ! Dans le travail, il y a une période où on prend sa retraite. On peut même penser prendre sa retraite de son mari, par exemple. Mais dans cette lutte que nous menons, il n’y a aucune retraite », souligne-t-elle.

« Nouvel ordre politique »

Politicienne, sociologue, consultante et ancienne chargée de cours à l’Université de Maurice, Sheila Bunwaree a pour sa part été très claire : « zordi zour, seki pe pase dan sa pei-la bien grav. D’où mon appel : il faut que de plus en plus de femmes s’engagent dans la politique active. Plus nous serons nombreuses, mais aussi avec une présence de qualité, c’est-à-dire dans la réflexion, dans la prise de décisions, dans l’élaboration de projets pour changer la donne, plus nous pourrons amener notre pays vers de meilleurs lendemains. »
Elle précise : « si nous votons éternellement pour les mêmes personnes, peut-on s’attendre à un changement dans le fond et qui se répercutera sur le pays de la bonne façon ? Il faut un nouvel ordre politique. Et cela passe par nous, les femmes. » Pour Sheila Bunwaree, « il est clair qu’avec plus de femmes de qualité en politique, nous pourrons changer beaucoup de choses, et pour le meilleur ».

Amita Boolauky, éducatrice et responsable d’un établissement secondaire, a fait un vibrant plaidoyer. Évoquant ses propres exemples, de son lieu de travail, elle a déploré comment nombre des institutions nationales ne répondent pas adéquatement aux demandes.
Elle a donné plusieurs exemples de jeunes filles et de femmes victimes d’hommes de leur entourage. « Comme cette fille dont le propre père est un “bye looke”. Imaginez-vous ce que doit subir cette enfant entre les quatre murs de sa maison ! Et pourtant, quand j’ai fait les démarches nécessaires pour la soustraire de l’emprise de ce père pervers, celui-ci a eu recours à des agences gouvernementales et des autorités pour que l’enfant lui soit restitué ! Quel traumatisme pour cette fille. »

La pédagogue souhaite « la présence d’une psychologue à plein temps dans chaque poste de police afin que, lorsque des cas similaires sont rapportés, ces victimes se sentent en confiance ».

Former la relève

Plusieurs autres personnalités féminines, à l’instar de la syndicaliste Jane Ragoo, l’épouse du capitaine Bheenick disparu dans le naufrage du tug Sir Gaëtan, Neena Ramdenee, et Patricia Hookoomsing étaient également présentes à Mesnil. Autour de sessions de travail (écrire sur des papiers bristol leur date de naissance, des événements de leur vie, des difficultés rencontrées dans leur univers professionnel, des expériences personnelles marquantes, positives ou négatives, des engagements personnels ou collectifs pour des causes, leurs souhaits pour une meilleure vie, ce qu’elles voudraient changer dans le pays, etc.). « Ces Mauriciennes de tous âges et de tout horizon ont retrouvé un peu de signification », a conclu Joceline Minerve, une des fondatrices de FAZ. « Un peu d’amour, d’écoute, de joie de vivre et d’ondes positives pour reprendre goût à la vie et continuer ce long cheminement ensemble. »

Elle était accompagnée d’Ellen, un groupe d’adolescentes de la côte ouest, qui a animé la fin de cette journée de solidarité et de partage. « Leur présence est pour qu’elles aient ce frottement avec des aînées de tous horizons et de tous les combats. Et aussi pour leur montrer qu’il n’y a pas que les frontières de leurs régions, de leurs établissements scolaires. Un de nos buts, c’est de former les plus jeunes afin qu’elles soient des relais dans la société », précise Joceline Minerve.

Les membres de FAZ ont réitéré leur souhait pour que « les voix des Mauriciennes soient entendues, pour que des changements concrets soient opérés face à l’échec des institutions qui ne fonctionnent plus, et ce qui fait que ces citoyennes voient leurs droits alors bafoués ».

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