Féminicides en série – Kunal Naik : « Un gros travail à faire avec les hommes à Maurice… »

«… pour bien comprendre c’est quoi une relation, c’est quoi la communication et aussi comment respecter l’autre »

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Un cas de trop. La semaine dernière, un homme a une fois de plus tué une femme. Quelques semaines auparavant, un autre brûlait une mère de famille, après avoir publié une vidéo d’eux en pleine dispute sur les réseaux sociaux. Des mots crus avec des actes de violence extrêmes qui suscitent colère, indignation et surtout incompréhension. Si l’on parle souvent de l’acte, de la finalité de cette violence vécue au sein du couple ou encore de la victime, quid de l’agresseur, de l’homme ? S’agit-il d’un trouble du comportement, d’un manque d’éducation adéquate dans un système où l’on n’apprend pas aux individus de gérer correctement et normalement leurs émotions, d’accepter un refus, de comprendre et de respecter l’autre ? Week-End s’est entretenu avec le psychologue, addictologue et fondateur de la plateforme d’aide SoluPsy Moris, Kunal Naik, pour essayer de comprendre ce phénomène.

Alors que plusieurs familles s’apprêtent à célébrer les fêtes de fin d’année, d’autres pleurent la mort de leurs filles. Crimes “passionnels” ou crimes tout court, en tout cas, le scénario est le même : un homme violent a décidé d’ôter la vie à une femme qui a dit « non ». En l’espace de trois semaines, deux crimes atroces ont été commis. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette soudaine montée de la violence ? « Je ne pense pas que ce soit un phénomène isolé et que cela se passe uniquement en cette fin d’année. Bien sûr, il y a eu des crimes atroces où deux femmes ont perdu la vie récemment, et cela démontre justement la présence d’une violence quasiment quotidienne dans plusieurs foyers et sous plusieurs formes, car il ne faut pas oublier qu’il existe plusieurs violences, notamment physiques, verbales, psychologiques et émotionnelles que les gens subissent parfois en silence. Ces gens-là n’ont souvent pas l’occasion de parler ou de chercher de l’aide par rapport à ce qu’ils vivent, donc, il y a beaucoup de personnes qui vivent des situations de violence en silence », dit-il. Pour le professionnel de la santé mentale, ce qui est rapporté dans la presse, c’est souvent le « bout, la finalité de cette violence-là », alors qu’il y a encore beaucoup, beaucoup trop d’autres cas…

« L’on ne peut pas justifier ces actes »

Mais alors, qu’est-ce qui pousserait justement un homme à arriver à un tel extrême ? S’agit-il d’une violence innée ou acquise ? Du point de vue du psychologue, il est important de comprendre ce qui se passe dans la tête d’une personne violente. « Il y a différentes choses à prendre en compte. Il y a des personnes perverses, dans le sens où, pour elles, la violence est un moyen de dominer l’autre. Il y a aussi des individus qui ont l’inhabilité de gérer leurs émotions, d’accepter que d’autres leur disent “non” et qui peuvent ressentir des humiliations très profondes et ne peuvent pas se contrôler », dit-il. Il ajoute que ce genre de comportement très violent peut être dû à des problèmes psychiques de personnes psychotiques « qui, au-delà de ce qu’on peut qualifier de normal, ont une capacité à la violence qui dépasse les normes. »

Voir un psy reste difficile pour les hommes

Kunal Naik explique aussi que dans certains cas, ces personnes peuvent souffrir de troubles mentaux, « où elles sont prédisposées à la violence, notamment dans des cas de psychopathie, ou d’autres maladies psychiques que si elles ne sont pas traitées adéquatement, peuvent déboucher sur des actes de violence, jusqu’à tuer une personne. » Il explique qu’il y a aussi des cas où ces personnes, « ces agresseurs, ont eux-mêmes vécu une violence quotidienne pendant leur enfance et qui ont appris à réagir ainsi dans un espace violent. Ici, cela concerne la théorie de l’apprentissage social avec une violence présente dans son entourage et cette violence n’est pas que physique, mais aussi verbale, psychologique, émotionnelle et même sexuelle. » Toutefois, Kunal Naik insiste que malgré tout ce qui a été dit, « l’on ne peut pas justifier ces actes en disant que l’agresseur était malade, car nou pa kapav ek nou pena drwa pran lavi enn lot dimounn ! »

De plus, cette violence extrême, elle est souvent associée aux hommes, même si les femmes aussi peuvent être capables d’abus. « Oui, ce sont surtout des hommes qui manifestent ce genre de violence, mais parfois elle existe au sein des couples et il y a aussi des cas de violence envers les hommes, mais pas d’une telle violence », dit-il. « Ce sont des hommes qui sont souvent les perpétrateurs de crimes aussi violents et atroces. C’est peut-être parce qu’à Maurice, selon moi, il y a un problème par rapport à l’éducation des hommes, à comment nous les élevons dans la société avec les systèmes qui sont en place. Il est temps de revoir nos systèmes éducatifs pour comprendre comment l’on gère une émotion, comment gérer un refus, comment accepter avec dignité qu’un couple peut ne pas fonctionner, et comment accepter cela dans le respect de l’autre ! »

Pour le psychologue, il est clair qu’il y a « un gros travail à faire avec les hommes à Maurice pour bien comprendre c’est quoi une relation, c’est quoi la communication, comment traiter une autre personne dans une relation et aussi comment respecter l’autre ou encore comment discuter des problèmes au lieu d’utiliser la violence. » Ayant créé la plateforme SoluPsy Moris il y a un an, ce dernier partage d’ailleurs sur les plateformes sociales des conseils pour comment mieux gérer ses émotions. « J’ai créé une page sur Facebook et Instagram dans le but d’éduquer et de partager des choses par rapport à la psychologie, et je le fais en kreol, car j’ai envie de démocratiser les concepts psychologiques pour que les gens comprennent en langage simple, ces concepts et études qui n’étaient avant pas accessibles. Ils peuvent ainsi comprendre pourquoi ils vivent certaines choses au sein de leur couple, quoi faire dans un premier temps et voir s’ils ont besoin d’aide. »

Une question d’ordre national

Une aide que les Mauriciens ont, d’ailleurs, encore du mal à demander, car en 2022, même après la pandémie, aller voir un psy reste tabou. « Malheureusement oui, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes. Ils ont peur du qu’en-dira-t-on ou encore de l’étiquette “fou-folle”. Bien sûr, c’est encore plus compliqué pour les hommes qui ne partagent pas leurs émotions, qui ont des difficultés à accepter et comprendre les émotions et de les partager. Cela est associé à une image de vulnérabilité, alors que l’on sait que l’image de l’homme c’est celle de l’être fort, du macho et cela ne correspond pas avec l’image d’une personne qui cherche une aide avec un professionnel de la santé mentale… malheureusement. »

Un travail d’éducation qui devrait se faire à tous les niveaux, donc. Par ailleurs, lors de notre entretien, Week-End a demandé à Kunal Naik s’il n’y avait pas une corrélation entre ce que les professionnels de santé appellent la “contagion suicidaire” et ces récents crimes qui ont été commis dans une si courte période de temps. En effet, selon le site du gouvernement français de la Santé, cette contagion se définirait comme les personnes exposées directement ou indirectement à un événement suicidaire sont plus à risque d’avoir des idées suicidaires, ou même de passer à l’acte. Au niveau individuel, être exposé à un suicide multiplierait de 2 à 4 fois le risque de passage à l’acte.

« Par rapport à ce qui est rapporté, évidemment la presse a un devoir de prévention, d’expliquer ce qui se passe pour tenir les personnes informées, et je sais que ces sujets sont souvent parfois difficiles à traiter dans l’espace médiatique, car il y a beaucoup de sensationnalisation, mais, là, il s’agit d’une question d’ordre national, parce que cela devient un phénomène trop fréquent », dit le psychologue. Pour lui, la presse a un rôle extrêmement important à jouer « dans la prévention, mais aussi pour mettre de l’avant des sujets qui ne sont pas traités, et la presse a une fonction d’éducation pour prévenir ce genre de cas. »

À Rose-Hill hier — Des femmes des quatre coins du pays se mobilisent pour se faire entendre

Pari réussi pour la nouvelle plateforme Women Meet, Fam ape Zwenn qui voulait réunir des femmes de tout milieu socio-économique et professionnel rencontrées sur le terrain pour leur donner l’occasion de s’exprimer sur les sujets et problèmes qui les concerne. Et qui sont rarement, voire jamais, résolus. Quelque 250 femmes, âgées de 18 à 80 ans, venues des quatre coins du pays, ont répondu présentes à l’appel de Women Meet, Fam ape Zwenn, au collège Lorette de Rose-Hill, hier matin.

Ce grand rendez-vous, une première en son genre, est le résultat d’un travail exhaustif mené sur le terrain à travers l’île et qui a duré trois mois. L’initiative a été pensée après un constat peu reluisant sur la représentativité féminine dans la société et que notamment — la voix des femmes reste encore trop silencieuse — vu que beaucoup ne connaissent pas leurs droits au travail et ailleurs, elles sont régulièrement tributaires de décisions qui émanent d’un système profondément patriarcal… Dans l’optique de faire entendre l’opinion des femmes, Alix Inassee, Sheila Bunwaree, Pouba Essoo, Saffiyah Edoo, Annie Lise Louis Coralie, Marie-Michèle Étienne, Anuradha Nunkoo, Geneviève Tyack, Nalini Burn, Jocelyne Minerve, Shirin Aumeeruddy-Cziffra, Marlène Ladine, Lovania Pertab, Chamilah Rughony et Priscilla Sambadoo, de Women Meet, Fam ape Zwennont décidé de conjuguer leur expérience respective.

Après avoir été à la rencontre des femmes, chez elles, dans des organisations non-gouvernementales, associations, syndicats, entre autres, l’atelier de travail d’hier a été une deuxième étape dans le cheminement du groupe. Regroupées en carrefours thématiques, elles ont discuté des sujets qui les interpellent directement, entre autres l’accès au logement, la violence, la stigmatisation, les droits au travail, les Chagos et Agalega, l’économie non rémunérée…  La parole a été essentielle dans cette activité. Elle a permis aux femmes de partager leur opinion et leur expérience, de même que de découvrir la réalité des unes et des autres. Women Meet, Fam ape Zwenn ne compte pas s’arrêter là. Après avoir recueilli les données des carrefours, la plateforme diffusera un communiqué cette semaine. Elle réfléchit sur les prochaines actions qui devront suivre après la session de travail d’hier.

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