FONCTION PUBLIQUE: La Banque mondiale relève un déficit inquiétant de compétences pointues

Une Draft Technical Overview Note de la Global Expert Team de la Banque mondiale (BM) sur la performance de la fonction publique dresse un constat critique de la disponibilité et de la gestion des ressources humaines à Maurice. Les auteurs de ce rapport s’inquiètent du manque cruel d’expertise dans des domaines de haute technicité, avec pour conséquence que l’économie du pays peine à passer à un niveau supérieur, affectant par là même la qualité du service public et le bien-être de la population. Ce rapport, soumis au gouvernement en août dernier, a été présenté récemment au Top Management de la fonction publique par Nick Manning, responsable de l’équipe d’experts de la BM. Une des retombées des discussions a été la nomination, en début de semaine, de 18 Permanent Secretaries et de cinq Senior Chief Executives.
Intitulé From Program Based Budgeting to Delivering Results : Improving the Performance of the Civil Service, ce rapport de la Banque mondiale souligne le manque conséquent de compétences et de personnel dans la fonction publique. Les contraintes identifiées sont : taux élevé de départs (high turnover rate) ; incapacité à retenir les compétences techniques pointues ; longues procédures de recrutement ; mauvaise planification des ressources humaines et financières année après année ; déphasage entre les politiques départementales et les ambitions individuelles. Autant de problèmes qui constituent un obstacle majeur à l’amélioration du service offert au public, condition sine qua non, estime la BM, pour que Maurice puisse atteindre le statut de “high income country”.
La fonction publique est confrontée à moyen terme à de gros défis, constate la BM. Sa survie, souligne l’équipe d’experts, dépend notamment de sa capacité à offrir des opportunités de carrière attrayantes et gratifiantes à un moment où le secteur privé ne lésine pas sur les moyens pour attirer les meilleures compétences. À mesure que le pays progresse, évoluant d’une économie agraire à une basée sur le tourisme, ensuite sur les technologies de l’information et des communications, puis sur les services financiers, la fonction publique devra, indique le rapport, livrer une rude bataille au secteur privé pour recruter les diplômés les plus compétents. D’autre part, après la phase initiale de mise en réseau des différents services et ministères, la fonction publique est appelée à passer à un stade plus avancé de son informatisation. Cette étape, souligne le rapport, ne pourrait être franchie sans une approche holistique incluant de meilleures procédures administratives et un personnel capable de soutenir cette transition. Ce qui est loin d’être le cas actuellement, constate la BM.
Répercussions
Les auteurs du rapport font un constat détaillé des répercussions du manque de ressources humaines qualifiées sur l’avancement de projets d’infrastructures publiques impliquant de gros investissements, tant dans l’élaboration que dans l’exécution. Un des secteurs qui en souffre le plus, souligne le rapport, est celui de l’énergie et des services publics : « Inadequate capacity for project and contract management and limited expertise in the field of wastewater treatment plants, radiation protection and in conducting energy audits in the Ministry of Energy and Public Utilities seriously limit much needed public investment in the sector. » De même, un manque cruel de personnel ayant les compétences requises en informatique pour l’utilisation de logiciels spécifiques (Autocad, VISUM, VISIM) au ministère des Infrastructures publiques, de la National Development Unit, Land Transport & Shipping, retarde les projets. Ce manque de personnel qualifié a eu pour conséquence que ce ministère n’a pu utiliser que 60 % de son budget d’investissement en 2009. Ce scénario se répète presque au même taux (70 %) dans la majorité des ministères à vocation technique. Cette situation influe négativement, par exemple, sur le trafic routier et les projets de décongestion routière. L’aménagement d’un corridor Curepipe/Port-Louis requiert un renforcement des compétences au ministère du Transport ; de même qu’il y a un besoin urgent de techniciens tels un Transport Economist, un Environmental Specialist et éventuellement un Traffic Modeler dans la perspective de la création d’une Land Transport Authority. « The impact of this shortfall in infrastructure provision is evident on congested road and limited coverage of public sewerage. » En annexe, la BM rappelle que le coût annuel de la congestion routière a atteint Rs 2 milliards, et souligne le risque que représentent des “on site waste water disposal systems” sur les nappes aquifères et la santé publique.
Impact social
Les projets à caractère social de plusieurs ministères sont tout autant retardés, affectant le bien-être de la population, indique la Banque mondiale. Elle cite le cas de la Santé qui fait face à un manque aigu de médecins spécialistes, ainsi que de personnel de maintenance d’équipements de pointe, résultant en de longues attentes de patients pour des interventions chirurgicales (voir encadré). Le manque de compétences et de personnel qualifié retarde également des projets au ministère du Logement, dont un jugé majeur : l’élaboration du Housing Policy and Strategy Paper. Une situation qui, soulignent les auteurs du rapport, devrait affecter l’objectif du gouvernement de construire de 10 000 logements sociaux en cinq ans.
S’agissant du “high turnover rate” (taux élevé de départs et de remplacement), le rapport cite la force policière, le National Assembly Audit, le bureau du Directeur des Poursuites publiques et celui de l’Attorney General, comme étant les départements les plus affectés. Les raisons en sont les « limited career prospects, morale/staff welfare, over-qualification, and uncompetitive pay particularly at the upper echelon ».
Au chapitre du retard dans le recrutement, le coeur du problème se situe au niveau de la Public Service Commission. La BM évoque des procédures complexes et le nombre élevé de personnes impliquées dans le processus d’embauche à divers niveaux, avec pour résultat qu’un exercice de recrutement peut prendre entre 8 et 36 semaines.
L’absence de planification des ressources humaines, même à court terme, est due à un manque de compétences techniques. Les cadres responsables de la gestion du personnel sont surchargés de tâches qu’ils doivent accomplir manuellement dû à l’absence d’un Human Ressource Management Information System. « Unpredictability in the staffing complement has undermined the planning process », ajoutent par ailleurs les auteurs du rapport. Celui-ci fait mention d’un système de gestion de personnel datant de plus de dix ans qui était en usage dans 26 ministères et départements avant d’être mis hors service en septembre 2010.
Le retard dans l’informatisation des “personal records” des fonctionnaires et du paiement des salaires est aussi critiqué. « Payroll and personnel records (…) are maintained manually at each ministry/department. (…) The Payroll is not linked to Treasury Accounting System – that is used for recording all government financial transactions (…) » Enfin, la Draft Technical Overview Note de la BM préconise une série de recommandations au gouvernement pour une amélioration du « senior civil service management effectiveness » (voir encadré).
La présentation du rapport par l’équipe d’experts de la Banque mondiale, en présence du Financial Secretary Ali Mansoor, des responsables de la PSC et de représentants des principales centrales syndicales, a donné lieu à des discussions animées.
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PS : nécessité d’évoluer
vers le rôle de gestionnaire

Alors que 18 Permanent Assistant Secretaries (PAS) viennent d’être promus au rang de Permanent Secretaries (PS), il est intéressant de relever les observations contenues dans la Draft Technical Overview Note de la Banque mondiale sur les rôles que devraient assumer ces hauts fonctionnaires. Il souligne la nécessité d’évoluer davantage vers le rôle de gestionnaire au lieu de se limiter aux tâches administratives quotidiennes. Cette nouvelle approche devra passer par une redéfinition du cadre institutionnel, clarifiant les rôles respectifs du ministre de tutelle et de l’administrateur (PS). Les PS devront adopter une nouvelle mentalité, passant de l’establishment traditionnel à une approche moderne et proactive dans le contexte du concept de Performance Based Budgeting.
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Extraits du rapport
• Attorney General’s Office
Retention of staff and lack of professional staff made more acute by the separation of the Office of the Director of Public Prosections.
• Communications extérieures
Lack of local competency to exercise regulatory oversight. This is being complemented by resorting to highly qualified foreign expertise.
• Judiciaire
Lack of support staff with expertise to implement decisions.
• Prisons
Need to motivate officers and change mindset of Officers through provision of regular training. Need to increase manpower, intensify training and encourage better participation of Officers through trade unions. Schemes of service need to be approved in time to enable promotion of staff.
• Ministère de l’Education et des Resources humaines
Lack of in-house technical capacity or implement specific programs such as the setting up and operationalization of the Special Needs Development and Resource Centre. Institutional/procedural hurdles hamper the successful recruitment of qualified human resources needed to kick-start the implementation of quality measures within the organisations.
• Ministère de l’Environnement
The technical implementing capacity of Living Environment Unit at the inspectorate level is being seriously undermined as recruitment at this level has been impossible due to the wide salary gap between the public and the private sector. It is proposed to recruit Inspectors with civil engineering background on a contractual basis with similar salary as offered in the private sector.
• Ministère des Finances et du Développement Économique
Current Civil Service recruitment procedures prevent Ministry of Finance and Economic Development from filling posts even when funds are available.
Ministère de l’Égalité des Genres, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille
Acute shortage of staff. Inability to set up a Child Protection Register for successful follow-up because of lack of human ressources.
• Ministère de la Santé
The ministry is faced with an acute shortage of specialists in specific fields, such as general medicine, general surgery, obstetrics and gynecology, pediatrics, ophtalmology, cardiology and in fields of biomedical engineering and health economics. For this reasons, implementation of many projects are being delayed. For exemple, medical equipement is not properly maintained and clinical interventions are delayed. Implementation of the Cost Centre and the National Health Accounts Projects have been delayed because of an acute scarcity of staff in the Health Economics and Planning Unit.
• Ministère du Logement et des Terres
(…) Lack of expertise in-house to operate the LAVIMS Information Management System.
• Ministère des Administrations régionales
Inadequate technical expertise to monitor major solid waste management projects, thus leading to continued reliance on consultants.
• Ministère des Infrastructures publiques
Lack of technical manpower on the market.
• Ministère de l’Intégration sociale
Lack of professional social workers and life-skills trainers.
• Assemblée nationale
Lack of in-house specialised skills in IT for maintenance and runnign of e-parliament services is being addressed by secondment of staff from CISD.
• National Audit Assembly
The Quality Assurance Unit is not being set up properly as recommended by INTOSAI and AFROSAI-E because of lack of staff. Proposals for new posts to staff the Unit not being acceded. (…)
• Bureau du Directeur des Poursuites publiques
Retention of staff and lack of professional staff. Lack of professional expertise for prosecution.
• Police
The number of the police officers leaving the Mauritius Police Force before attaining the age limit of retirement is relatively high. Skills shortage in specialised fields investigation and policing.
• PSC/DFSC
Proposals have been made to the Ministry of Civil Service & Administrative Reform s for the filling of existing vacancies at various levels at the PSC/DFSC to be able to meet objectives set with regard to recruitment and promotion in the civil service.
NdlR : Les caractère gras dans les commentaires sont ceux de la BM
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Quelques recommandations saillantes
• Work on building a consensus around the shift of orientation of the leadership from that of administrator to a focus-on-results. (…) Work may be necessary to set out some codes of conduct which identifies the key accountabilities of all involved.
Clarify the roles and responsibilities of Advisers and revisit norms on their usage.
• The government should accelerate the roll out of the computerised pay roll systems in all ministries/departments to reduce the administrative work being done to ensure maintenance of accurate information.
• Determine the key drivers for the high turn-over and work to address the main issues (limited career prospects, morale/staff welfare, over qualifications, uncompetitive pay).
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Éventuels recrutements bientôt sans passer par le CEO 2012
Les observations de la Draft Technical Overview Note de la BM augurent un recrutement massif dans la Fonction publique d’ici l’année prochaine. Le rapport ne concerne pas les corps para-étatiques mais le “core civil service”, qui devrait, selon les prévisions, compter en 2013 un nombre de 57 129 fonctionnaires, représentant une hausse de 7,8 % comparée à 2010. De même, les prévisions pour l’enveloppe salariale en 2013 indiquent un montant de Rs 24,154 milliards contre Rs 17,784 milliards en 2010. Ces recrutements viendraient renverser la tendance, depuis ces dix dernières années, à procéder à des coupes budgétaires drastiques à l’item “ressources humaines” des ministères et départements.
Dans une circulaire datée du 13 avril dernier et adressée aux Supervising Officers des ministères/départements, le ministère de la Fonction publique rappelle que le Programme Based Budget 2012/2014 fait provision pour un certain nombre de nouveaux postes dans la fonction publique. Selon la procédure, ces “filling of vacancies/additional posts” doivent figurer dans un Civil Establishment Order (CEO) 2012 qui doit être soumis au vote du Parlement. Il compte le faire « at the first convenient opportunity after the resumption of the National Assembly ». Mais en attendant, « in order not to delay the filling of the vacancies », le ministère dit avoir recherché un avis légal sur la question. Ce qui lui permet d’autoriser les Responsible Officers à « initiate action and make recommendation to the appropriate service commission for the filling of approved new posts (…) and additional posts, in a temporary capacity, pending the publication of the CEO 2012 ».

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