Géraldine Baptiste (enseignante et slameuse) : « Beaucoup de vérités qui font mal méritent d’être entendues »

À l’occasion de la Journée de la Femme, Géraldine Baptiste, enseignante et slameuse, déclame que : Si kouraz ti ena enn visaz, li ti pou resamble twa Fam ! Ayant des origines chagossiennes et habitant Roche-Bois qui l’a vue grandir, la jeune femme de 25 ans a la fibre militante. Le slam est devenu sa voix, mais aussi celle des femmes silencieuses qui se reconnaissent dans son art. La puissance du verbe, elle la déclame sur scène en toute liberté.

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Le 8 mars est décrété l’année internationale de la femme. Quel message souhaitez-vous véhiculer ?
Comme Stromae le dit dans sa chanson “Déclaration” : « Si le courage avait un visage, il aurait le tien (la femme)… » Mon message va dans le même sens : « Si kouraz ti ena enn visaz, li ti pou resanble twa Fam ! »

Être slameuse, est-ce un engagement féministe ou le besoin de s’exprimer sur des sujets variés ?
C’est plus un besoin de m’exprimer sur des sujets plus ou moins tabous dans notre société. Je ne parle pas simplement de la condition féminine mais aussi de l’hypocrisie qui règne autour de ce sujet. Souvent, ce sont nous, les femmes, qui sommes les premières à juger les autres femmes.
Aussi, j’aborde des thèmes comme la discrimination sociale, la dégradation de la nouvelle génération que ce soit sur le plan académique ou sociétal. Il y a quelques jours, j’avais posté une vidéo sur Facebook où je parlais de l’évolution de la musique et cela a récolté plus de 20 000 vues. Pas mal de personnes ont réagi et même des artistes ont partagé la vidéo sur leurs pages.

Vos écrits portent sur la société mauricienne avec en substance une touche d’humour pour relativiser. Comment slamer quand on est femme ?
Quand je slame, je suis juste une voix. Certes, des fois, ce n’est pas évident, surtout si on vient avec des termes tabous comme la prostitution, les règles ou la condition féminine. Certaines personnes diront : « Vire tourne mem zafer » ou « Fam nek res plegne mem », alors que beaucoup de femmes sont victimes de harcèlement au quotidien.
Beaucoup de femmes vivent le martyre avec leurs partenaires violents. Il n’y a qu’à voir l’actualité pour constater les faits. Malgré les critiques, cela ne m’empêche pas de dire haut et fort ce que je pense et ce que je vois. Il est vrai que l’humour aide à relativiser car nous les Mauriciens, on aime bien tout ce qui est comique et satirique.

Quel regard portez-vous sur le slam à Maurice ? Et quelles sont les plateformes qui favorisent cet art ?
Le slam commence à gagner de la valeur dans la société mauricienne. Il y a pas mal d’organisations qui proposent des tournois ou même des scènes ouvertes pour donner un espace aux slameurs. Sur les réseaux, il y a Slamup Poésie et Slam.mu qui sont très actifs dans la promotion de cet art.

Ayant des origines chagossiennes, comment vivez-vous le déracinement de vos proches ?
Je suis issue de la troisième génération de Chagossiens. Mes grands-parents sont nés sur l’archipel des Chagos. Mon grand-père vit désormais en Angleterre et d’autres membres de ma famille aussi. Cela me chagrine à chaque fois que mon grand-père raconte la manière dont ils ont été traités à leur arrivée ici à Maurice. Leur condition de vie était déplorable. Quand ils ont débarqué à Maurice, ils ont eu du mal à s’adapter car dans leurs îles, ils n’utilisaient pas la monnaie puisqu’ils vivaient par un système d’échange. De plus, ils avaient des difficultés à chercher un travail car ils n’avaient pas de carte identité.
Aujourd’hui, ceux ou celles qui sont d’origine chagossienne ont droit à la citoyenneté britannique grâce aux Chagossiens qui ont durement milité pour leurs droits. D’ailleurs, il y a quelques semaines, je suis partie à la cérémonie pour l’obtention de la citoyenneté britannique. Cela peut m’être utile à l’avenir si je souhaite partir travailler en Angleterre ou poursuivre des études plus poussées.

Comment le slam parvient-il à exprimer vos sentiments face à cet exil des Chagossiens ?
Concernant le slam, j’ai eu la chance de participer au festival kreol où j’ai déclamé des textes sur la culture chagossienne. Le slam m’aide à m’accrocher à mes origines puisque dans mes textes, je parle des traditions, de la cuisine chagossienne et même de leur condition de vie là-bas. C’est une façon aussi de transmettre la mémoire de mes grands-parents aux autres.

Enseignante de profession, vous militez beaucoup pour les enfants défavorisés. Comment l’enseignement peut changer une vie ?
Avant de devenir enseignante, je travaillais dans une ONG, le Mouvement pour le progrès de Roche-Bois. Cela a forgé mon caractère, j’ai appris à travailler avec les enfants de divers profils tout en ayant la chance de participer à des ateliers pour mieux comprendre cette nouvelle génération et l’aider du mieux qu’on peut. Les deux années passées dans l’ONG m’ont donné l’envie de poursuivre mon cheminement vers l’enseignement où j’essaie de mettre en pratique ce que j’ai appris. L’éducation est la clé pour nous sortir de la pauvreté, et mes grands-parents m’ont encouragée dans mes études.
Aujourd’hui, je suis fière de la personne que je suis devenue. Mes parents n’ont pas eu la chance de terminer leur scolarité car ils n’avaient pas les moyens. C’est important de savoir lire, écrire et compter pour devenir autonome et cela nous rend plus armé pour affronter la vie. Enseigner pour moi c’est être une source d’inspiration pour les autres et les aider à trouver leur voie.

Géraldine Baptiste, comment êtes-vous devenue la fierté de Roche-Bois ?
Je suis une petite femme de 25 ans qui aime bien rire et partager. Généralement, quand les gens parlent de Roche-Bois, c’est toujours sur une note négative du genre : « Ena zis drogue ou marsan ladrog laba ». Alors que nous avons déjà eu un lauréat, il y a pas mal de jeunes de Roche-Bois qui font des études universitaires, il y a des sportifs et même des artistes. Je pense que tout cela fait la fierté de Roche-Bois. D’ailleurs, le pionnier du seggae, Kaya, vient de Roche Bois.

Votre inspiration de slameuse découle d’où ?
Je m’inspire de mon environnement social, des personnes qui m’entourent et tout ce qui se passe dans l’actualité.

En tant que citoyenne, quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique actuelle ?
Sur la situation sociopolitique, je dirai que cela fait peur. En tant que jeune, je ne sais plus quoi penser. Il y a de plus en plus de corruption. On parle de méritocratie, mais je crois que cela est devenu plus un mythe ici dans notre pays. J’espère que cela changera un jour.

Si vous aviez un mot à dire aux politiciens et aux décideurs pour la promotion du slam, ce serait quoi ?
Le slam, c’est la voix du peuple. C’est une façon de s’exprimer en toute liberté. Il y a beaucoup de vérités qui font mal certes mais qui méritent d’être entendues.

Racontez-nous l’idée de votre slam sur les guérisseurs qui vous a valu un prix en 2023…
C’est un texte qui a marqué les esprits de mes amis. D’ailleurs, à chaque fois on me demande de repasser le texte. Le titre du texte est Week-end, cela parle du quotidien d’une guérisseuse dite “longanis” ou “treter”. Je fais la satire de ce métier qui fait beaucoup de polémique dans notre île. J’ai aussi ajouté de l’humour pour divertir le public, mais en même temps pour dénoncer certaines pratiques entourant ce sujet. Je me suis inspirée des vidéos et des histoires que j’ai vues et entendues sur les réseaux sociaux. Ce texte m’a permis de remporter mon premier tournoi dans la ligue de slam en 2023 à Grand-Baie.

Vous déclamez sur scène, et toute déclamation est l’aboutissement de plusieurs heures de dur labeur. Avez-vous un projet de proposer des œuvres littéraires à des lecteurs ?
Pourquoi pas écrire une histoire sur le fameux slam Week-end ? J’ai déjà réfléchi au titre du texte qui sera Ti fam kaba.

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