Harcèlement sexuel dans le cadre d’une formation : L’Equal Opportunities Commission “invitée” à solliciter le DPP pour un procès contre un superviseur

Dans une décision qu’il a prononcée, l’Equal Opportunities Tribunal (EOT) a, conformément à la procèdure, «invité» l’Equal Opportunities Commission (EOC) à référer au Directeur des poursuites publiques (DPP) le cas d’un Supervising Engineer d’une institution d’Etat pour cause de harcèlement sexuel sur la personne  d’une stagiaire dont il était responsable de la formation. Le tribunal présidé par Denis Vellien, avec pour assesseurs M. K. Lotun et Mme M. Bali, avait été mis en présence de deux allégations portées par la stagiaire contre son superviseur, nommément discrimination sur la base du genre et harcèlement sexuel.

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L’EOT n’a pas été convaincu qu’il y a eu discrimination, mais, par contre, il a conclu que, en plusieurs occasions, le superviseur a effectivement fait à l’adresse de la plaignante des commentaires de nature sexuelle. Toutefois, puisque sa juridiction ne lui permettant pas de sanctionner les actes de harcèlement sexuel, le tribunal a retourné le dossier à l’Equal Opportunities Commission pour un suivi au terme de la section 27 (4) (b) de l’Equal Opportunities Act.

Cette affaire, dans laquelle la stagiaire a refusé toute conciliation et a insisté pour obtenir réparation, aura longtemps traînée lorsqu’on tient en compte la date à laquelle elle avait débuté devant l’Equal Opportunities Commission, soit le 27 novembre 2014. Donc, six ans déjà à l’époque où l’avocat Brian Glover présidait la commission.

Initialement, à cette date précise, la plaignante, Melle V. S, avait porté plainte contre M. Nasser C.uniquement pour discrimination sur la base du sexe, mais le 24 avril de l’année suivante, elle devait alourdir la charge en y ajoutant des allégations d’actes pouvant constituer du harcèlement sexuel. Le 15 août 2015, après avoir complété son enquête, la Commission Glover avait remis l’affaire entre les mains de Denis Vellien et de ses assesseurs.

Pour le tribunal, sur la base de la plainte l’affaire se résumait à ce qui suit :

— en 2014, la stagiaire suivait un cours à l’Université de Maurice pour l’obtention d’un BSc Engineering (Hons) en mécatronique. Dans le cadre de ses études, il lui fallait compléter une formation pratique d’une durée de cinq mois au sein d’une institution spécialisée d’Etat. Elle s’est plainte que, dès le premier jour qu’elle y avait mis les pieds, la personne assignée pour la supervision de son travail pratique a commencé à lui faire des remarques désagréables, et le lendemain, il s’est mit à lui poser des questions personnelles concernant son état civil et son âge;

— le troisième jour, le superviseur s’est mis à parler des collègues de la stagiaire qui échangeaient des baisers («french Kiss») sur leur lieu de travail, ce qui a choqué la stagiaire qui ne savait quoi répondre;

— l’accusé a fait des commentaires à propos de l’âge approprié pour se marier et avoir des enfants, et il a exprimé l’opinion que c’était pour elle l’âge idéal pour avoir des relations sexuelles avec son partenaire, autrement celui-ci pourrait se désintéresser d’elle;

Problèmes conjugaux

— le superviseur s’est mis ensuite à étaler ses propres problèmes conjugaux avec sa femme. Puis, il a fait aussi des commentaires à connotation sexuelle sur des légumes du genre «sousou tan» et «sousou pikan». La stagiaire affirme que ces commentaires n’avaient absolument aucun lien avec la formation qu’elle était censée recevoir et n’étaient seulement destinés qu’à la harceler sexuellement;

— le superviseur a fait des commentaires rudes et humiliants à l’égard de la stagiaire la traitant, en plusieurs occasions, de «brède» signifiant ainsi qu’elle était une ignorante. Il a fera ensuite des remarques négatives sur son degré universitaire, lequel, selon lui, ne serait pas décisif dans sa vie et sa carrière et qu’il serait préférable pour elle de s’occuper de son mari, car tel est le premier devoir d’une femme;

— des remarques similaires avaient été adressées devant d’autres membres du personnel de l’institution, ce qui a été pour la stagiaire un harassement quotidien, une victimisation et une humiliation publique;

— ne pouvant plus supporter cette situation, la stagiaire a rapporté l’affaire à son superviseur de l’Université de Maurice. Le 5 octobre 2014, celui-ci lui a demandé d’arrêter sa formation. Ensuite, le 6 octobre 2014, elle a intégré une autre institution du Nord du pays ;

— selon la plaignante, le traitement qu’elle a reçu de son superviseur a eu des conséquences sur sa santé. Elle a perdu l’appétit, a développé des problèmes gastriques sévères et de d’insomnie ;

— pour tout ce qu’elle estime avoir subi, la stagiaire réclame des compensations d’un demi-million de roupies sous forme de dommages moraux.

Pour sa défense, l’ingénieur superviseur a soutenu que son accusatrice était de mauvaise foi et qu’elle était motivée par le fait qu’il lui avait été reproché de ne pas se conformer aux conditions de son cours de formation et aux règles qui avaient été dictées par l’Université de Maurice. Malgré une timidité apparente, lors de son contre-interrogatoire, la stagiaire a pourtant maintenu toutes ses allégations. Elle n’a pas semblé intimidée par Me. Nargis Bundhun, l’avocate de la partie adverse. Elle a résisté même lorsque cette dernière lui a lancé sèchement: «Vos accusations ne tiennent pas debout. Vous ne faites pas honneur à la cause des femmes !» Après avoir écouté les deux protagonistes, le tribunal a affirmé n’avoir rien trouvé qui puisse établir que le superviseur ait pratiqué de la discrimination de genre au travail. «Certes, il a fait plusieurs déclarations contre le choix de la stagiaire de concourir, en tant que femme, pour un degré universitaire en mécatronique, qui est un domaine dominé par les hommes. Il aussi fait des déclarations concernant la femme qui devrait se marier et de s’occuper de son mari. Nous n’avons aucune hésitation à conclure que le superviseur ne partage pas le même point de vue de la stagiaire pour ce qui est des femmes exerçant comme ingénieurs ou un quelconque  métier ou profession. Mais, à notre point de vue, utiliser uniquement ces commentaires verbaux à connotations sexuelles pour se plaindre d’avoir subi un traitement inférieur, comparer à des collègues mâles dans des circonstances similaires, mais sans en apporter la preuve n’est pas un acte de discrimination. Il n’y a pas de preuve que si la stagiaire était de sexe différent elle n’aurait pas été traitée de la même manière. Il n’a pas été établi que durant son stage elle ait reçu un traitement moins favorable qu’une personne de sexe différent, tel que cela est interdit sous la section 5 de la loi sur l’égalité des chances», a observé le tribunal.

La signification du mot «conduite» 

L’affaire s’est toutefois véritablement corsée pour le superviseur pour ce qui a trait aux allégations de harcèlement sexuel. «Nous avons pris en considération les dépositions de la stagiaire à ce sujet et nous avons trouvé que le superviseur n’a pu prouver que les allégations étaient infondées et résultaient du fait que la stagiaire était insatisfaite de son accréditation à l’institution où elle avait été placée. Au contraire, le superviseur a admis avoir fait des déclarations verbales, mais, a-t-il expliqué, c’était en présence de ses collègues. A ce sujet, il faut faire ressortir que sous la section 25 (2) de la loi sur l’égalité des chances, le mot «conduite» comprend également des paroles et des propos en écrits malvenus de nature sexuelle envers une personne ou en présence d’une personne», a déclaré le tribunal.

Me. Nargis Bundhun a vite plaidé que «les relations entre la stagiaire et son superviseur ne tombaient pas dans les catégories de mauvaises conduites, telles que définies dans la section 26 de la même loi». En désaccord avec cette ligne de défense, le tribunal a dit préférer le point de l’avocate de la stagiaire, Me. Teelockdharry-Sookun qui, elle, avait soutenu «qu’il y avait une étroite relation entre les deux parties sous la section 26 (7) de la loi. Cette section prévoit qu’aucune personne, identifiée sous la section 18, c’est-à-dire aucune personne qui offre des services, ne doit harceler sexuellement une autre personne à laquelle ces services sont offerts». 

«Nous acceptons le témoignage de la stagiaire à l’effet que, à plusieurs reprises, des propos verbaux l’invitant à choisir entre “sousou pikan” ou “sousou tan” ont été tenus par le superviseur dans le contexte où celui-ci racontait ses propres déboires conjugaux et opinait sur l’âge idéal pour se marier. Ces propos pourrait être de nature sexuellement offensive», a statué le tribunal.

Cependant, comme l’a souligné Me. Bundhun, le tribunal n’a pas de pouvoir pour imposer une amende ne dépassant pas Rs 100 000, ni non plus un terme d’emprisonnement excédant cinq ans dans le cas d’une personne trouvée coupable de harcèlement sexuel. Pour Me. Bundhun, sous la section 26 (4) (b), seule l’Equal Opportunities Commission peut, dans la présente affaire, saisir le DPP. Denis Vellien et ses assesseurs ont effectivement reconnu que leur tribunal n’avait pas de juridiction pour juger ce genre de délit. Mais, saisissant la balle que leur a envoyée au passage le plaidoyer de Me. Bundhun, ils l’ont passé à la commission…

Ce qui fait que, valeur du jour, le sort du superviseur se trouve entre les mains de cette commission que préside, mais avec une inégalable discrétion, l’avocat Khalid Tegally depuis qu’il a été nommé. Va-t-il agir selon le souhait du tribunal ? Telle est la question qui se pose. Mais, sans doute aussi, il lui faudra attendre le verdict de la Cour suprême, puisque le superviseur, mis le dos au mur, a déjà donné avis d’appel devant cette instance contre la décision du tribunal.

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