HENNESSY PARK—LES SAMEDIS DE PÉTRUSMOK: Dans l’antre de la petite histoire

À la mi-novembre, l’hôtel Hennessy Park, à Ébène, accueillait pour la première fois Les Samedis de Pétrusmok : une rencontre avec l’écrivain et photographe Philip Lim à l’heure du déjeuner. L’occasion pour les invités, dont la plupart l’ont côtoyé ou ont connu son père, François Lim, photographe également, de se remémorer des souvenirs et de partager quelques anecdotes dont certaines se trouvent dans son ouvrage Nostalgies, récemment édité par les Éditions Vizavi.
Animée par Finlay Salesse, cette première rencontre a été un succès non par le nombre de personnes présentes mais plus par la qualité des interventions venues apporter leurs pierres à la construction de l’histoire d’une ville, Rose-Hill, « en vedette dans l’ouvrage » comme le soulignait l’animateur un peu plus tôt, et des relations entre ses communautés, et par extension celle de Maurice. Après une présentation succincte de l’ouvrage et de son auteur, les témoins privilégiés de la période où la famille Lim s’est installée à Rose-Hill et a commencé à développer ses activités économiques ne se sont pas fait prier pour relater leurs petites histoires, à commencer par celle d’Alain Gordon-Gentil, journaliste, écrivain et un des instigateurs du concept Les Samedis de Pétrusmok. Originaire de Pamplemousses, il devait tous les jours prendre l’autobus pour se rendre à l’école primaire St-Enfant Jésus et ensuite au collège du St-Mary’s à Rose-Hill. Et là, il se souvient : « Il y avait une interdiction totale de fréquenter la famille Lim. Il ne fallait rien acheter chez eux. Le frère Rémi disait : ce sont des communistes, ils veulent notre fin. » Un point repris par Jean-Claude de l’Estrac, journaliste à l’époque, et secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI) aujourd’hui, bien que Philip Lim ait essayé d’expliquer le contentieux entre l’église et la famille : « On avait demandé à une danseuse de passage de faire une danse très osée et la date était très mal choisie parce que c’était le Samedi Saint et le lendemain, dans toutes les paroisses de l’île, on nous avait fustigés. » Cependant, ajoute-t-il, « on me téléphonait pour me demander à quand le prochain strip-tease […] Depuis, on s’est réconcilié avec l’église ». Jean-Claude de l’Estrac devait, à travers « une petite anecdote », confirmer que « c’étaient des communistes. J’habitais à Belle-Rose et je me levais à 4 heures du matin pour aller écouter Radio Pékin avec François Lim à partir de 5 heures. On écoutait religieusement ces émissions émises en français ». Un souvenir qui pousse Philip Lim à révéler un petit secret de famille : « Après 1957, la voix qui émettait en français sur Radio Pékin était celle de Mimi. Trois jours après son arrivée, on est venu la chercher pour le faire. »
Le Magic Lantern, un des points de discorde entre la famille Lim et l’église, est effectivement devenu un point de rencontre où, se souvient Philip Lim, un soir, « il n’y avait personne et on avait invité tout le clergé ». C’est aussi en ses lieux, fait ressortir Jacques Maunick, que de nombreux talents locaux ont été révélés. Il évoque le concours de danse dont un des membres du jury était Brigitte Masson, éditrice et auteure, à l’époque encore adolescente. Une anecdote relevée par la principale concernée avec Philip Lim et quelques amis un peu plus tôt dans les coulisses. C’est un des événements qui a précédé la création d’une page musique dans le quotidien l’Express, à l’époque, souligne Jacques Maunick avant d’ajouter : « Je tiens à rendre hommage à la famille Lim pour le nombre de musiciens qu’elle a fait connaître. » Le Magic Lantern, c’était aussi les mercredis dédiés au jazz.
Tristan Bréville, directeur du Musée de la photographie, quant à lui, a indiqué qu’il doit sa passion pour la photographie au père Lim et aux autres photographes chinois de Rose-Hill. « Si je suis devenu photographe, c’est parce que tous les photographes chinois, à Rose-Hill, me recevaient de grand coeur. Je ramassais dans les poubelles les chutes de négatifs que je faisais sécher avant de faire des tirages ». Tristan Bréville déplore que les démarches auprès de cinq ministres des Arts et de la Culture pour défendre le fond photographique de François Lim n’aient jamais abouti. Il ne semble, cependant, pas avoir abandonné l’idée de sauver cet héritage.
Cette rencontre avec Philip Lim a aussi été l’occasion d’entendre de vive voix une description des techniques utilisées par le photographe ou son assistant pour détendre une personnalité politique avant de la prendre en photo, ou encore se rendre compte des liens indéfectibles qui se tissent entre les hommes à travers l’anecdote de la photo prise par Philip, à l’âge de six ans, en août 1945, du photographe juif Hans Hornung. « Des années après, de Montréal, j’ai fait un site web sur Maurice. Quelqu’un d’Israël m’écrit et me demande des timbres et des informations sur Maurice. Je profite pour lui parler de cette amitié entre mon père et un ancien réfugié juif. Il fait des recherches et retrouve la famille Hornung ». Une histoire qui ne s’arrête pas là puis qu’on lui envoie cette photo prise en 1945 en pièce jointe sur son mail et par la suite, son fils, qui parle hébreux, est allé en Israël et a rencontré le fils de Hugo Hornung. « Ils ont passé l’après-midi à Haïfa ».
Philip Lim, visiblement ému, a recherché l’indulgence des écrivains présents et sollicité leur soutien car, dit-il, il est venu à l’écriture relativement tard. À Jacques Maunick qui voulait savoir ce qui a poussé toute la famille à partir, il répond : « On avait des amis au Québec et on a aimé l’accent », ou encore « on voulait être dans ces quelques arpents de neige et voir comment étaient ces grands espaces, rencontrer d’autres mondes. On voulait un peu d’aventure ».
Nostalgies est disponible dans les librairies et à Pétrusmok, la librairie de l’hôtel Hennessy Park, exclusivement réservée aux auteurs mauriciens et aux publications en tous genres concernant Maurice.

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