HIER À PAILLES : Hazra Gaffoor, le secret de longévité de “Banon Mowsi”

Hazra Bibi Gaffoor, surnommée affectueusement Tantine Banon, Kala Banon ou Banon Mowsi, a soufflé ses 100 bougies, hier, lundi, à Pailles. Entourée de ses enfants et de ses proches, la nouvelle centenaire, estime Saida Saib, l’une de ses filles, doit sa longévité « aux bons traitements médicaux, dont elle bénéficie, grâce notamment aux suivi offerts par les services de la Sécurité sociale. » Elle ajoute que « de tout temps, ma mère a vécu en harmonie totale avec ceux qui l’entouraient. Nous avons habité plusieurs localités où des Mauriciens de toutes races vivent. Et jamais ma mère ne nous a interdit de fréquenter les uns et les autres à cause de leurs appartenance ethnique. Bien au contraire ! Elle nous a toujours encouragée à aimer et respecter nos prochains, qui qu’ils soient. »
À 11 ans seulement, Hazra Bibi Gaffoor est « « donnée » en mariage à Abib Rasool Said. Elle est originaire de Beau Séjour, à Rose-Hill. Lui, de Nouvelle-France. « Li finn nek gagn problem kan finn marye li », raconte Saida Saib, l’une de ses filles, avec qui vit désormais la centenaire. À l’époque, leur père travaillait au marché de Port-Louis, comme poissonnier.
« Maman nous racontait comment quand elle a été mariée religieusement, sa belle-mère la traitait mal. Kan nou « nani » (grand-mère maternelle) allait lui rendre visite, elle voyait notre mère toujours occupée soit à faire à manger pour toute la famille, qui était assez nombreuse. Ou alors on l’envoyait puiser de l’eau d’un puits des environs. Nani ti truve pe fer dominer ek so tifi… Enn zur, li pann kapav tini, li finn pran li depi lakaz so bolom, li re amene li kot li… » Les parents de Hazra convoquent alors leur gendre. « Ils lui ont dit qu’ils n’étaient pas contents du traitement accordée à notre maman et qu’elle resterait chez ses parents jusqu’à ce que la situation s’arrange… »
Huit ans plus tard, à 19 ans, Hazra part vivre chez ses beaux-parents. « Entretemps, les difficultés ont été aplanies. Et après avoir vécu quelques années avec sa belle-mère, ma mère et mon père sont allés vivre dans leur propre maison. »
Les parents de Hazra Gaffoor n’avaient que deux filles. Son père était employé dans une boulangerie tandis que sa mère travaillait aux champs… Alors qu’elle n’avait que sept ans, Hazra perdit son père. Une autre calamité la frappa de plein fouet quand, à 25 ans, son mari, Abib Said, fait un infarctus : « Il n’avait plus la possibilité de travailler, explique Mme Said. Aussi, maman a dû prendre le relais et chercher du travail afin de nous nourrir… »
Bagarre raciale
Le couple a deux fils et cinq filles. Deux meurent en bas âge : Khairoon, qui décède à un an et demi seulement, et Sarah Bibi, emportée à 3 ans. Ahmad est l’aîné de ses enfants. Lui ont succédé Bibi Zubeida, Bibi Mariam, Bibi Saida et Armadali (aussi connu sous le nom de TiBye).
Dans le sillage de la bagarre raciale de la fin des années 60, qui frappa beaucoup de familles vivant dans la périphérie de la capitale, la famille de Hazra Gaffoor déménage du Hochet, Terre Rouge, où elle avait élu domicile. C’est à Sainte Croix qu’ils trouvent refuge… « Entretemps, nous avons aussi dû emménager et déménager de différents endroits, dont Plaine Verte », ajoute Saida Said.
Pour subvenir aux besoins des siens, Hazra Gaffoor travaille aux champs, comme sa mère, avant elle. « Linn nouri vas, cabri, poul, pour qu’elle n’ait pas à dépenser beaucoup d’argent pour nous nourrir. On avait des oeufs, qu’on vendait également. Idem pour le lait et la viande… » Même quand son mari se remet graduellement, Hazra Gaffoor maintient ses activités. « C’était une période très dure. On était très, très pauvres et si une seule personne travaillait, cela n’aidait pas beaucoup à faire marcher la famille… »
A mesure que grandissent ses enfants, Hazra Gaffoor leur inculque une leçon qu’ils n’oublient jamais : « Le respect des autres. » Saida Said élabore : « Maman n’est jamais allée à l’école. Ses parents n’en avaient pas les moyens. Pourtant, elle avait une grande intelligence… Partout où on a vécu, maman nous a encouragés, avant toute chose, à connaître, respecter et aimer nos voisins. Et cela, peu importe leur appartenance ethnique. » Les filles de Hazra Gaffoor rappellent que « on a vécu dans des régions à forte concentration de catholiques, ou d’autres il y avait plus de hindous. Mais au grand jamais, maman ne nous a interdit de fréquenter x ou y sous peine qu’ils n’étaient pas musulmans. »
Mieux encore, ajoute notre interlocutrice, « maman nous disait toujours cette parole, et cela s’est bien vérifié, que les voisins sont souvent plus proches de nous que nos propres parents et familles. En cela que quand on est dans le besoin ou qu’on a un problème à la maison, ce sont eux qui les premiers viennent à notre secours… »
Elle se souvient aussi d’une époque où « parski nou ti mizer, ena fami pa kontan frekant nou… Kan zot truv nou, zot fer kuma dir zot pa konn nou… » Saida Said se souviendra toujours de « sa gran pye lafours ki ti ena dan nou lakour. Tou le tanto, mama ek so bann kamarad ki travay dan karo ek li vinn la, tou bann madam diferan kominote. Zot asiz enba sa pye lafours la ek lamem zot pou trier zot diri, lentil ek kozkozer en mem tan… Ti enn lot lepok sa ! » C’est de cette manière que les surnoms de Tantine Banon, Kala Banon ou Banon Mowsi ont été attribuées à la centenaire.
De nos jours, reconnaissent les filles de Hazra Gaffoor, « et par moments maman regrette cela, les nouvelles générations ne savent pas entretenir ces liens d’amitiés et de convivialité. Aster dimun viv sakenn pou li… Mama tris kan li truv sa. »
Khushi, son héroïne…
Doté d’une nature « très douce », Hazra Gaffoor « n’aimait jamais qu’on élève la voix. Elle disait toujours, quand il y avait une dispute entre nous, par exemple, de nous calmer et d’arrêter de nous chamailler. Que ce n’était pas bon… »
Femme ayant connu beaucoup de difficultés, Hazra Gaffoor « n’a jamais eu des goûts de luxe », précise Saida. « Par exemple, comme vêtements, elle a toujours privilégié ses salwar kameez en coton. Rien d’extravagant. » Idem pour ce qui est de ses goûts culinaires : « Le poisson, la viande, le poulet… tout cela ne lui dit pas grand chose, explique Saida Said. Par contre, donnez-lui du poisson salé, à n’importe quelle sauce, rougaille ou frit, agrémenté d’un bouillon de brèdes cresson, ou servi avec une pomme d’amour grillée ou bouilli, vous allez faire son bonheur ! Rien ne la rend plus heureuse… » Et de relever que « maman a toujours favorisé les légumes plutôt que les viandes. Elle nous en faisait, mais trouvait son bonheur dans un bon chatini coco, des lentilles et du concombre… Elle n’a jamais été difficile sur ce point. C’est une femme qui a connu une vie très dure. Il lui suffit de très peu pour être heureuse. »
Et la centenaire aime la ponctualité : « Il faut lui servir son plat dès son heure de déjeuner, sinon on se fait gronder ! » note en plaisantant Mme Said. Férue de séries télés, Hazra Gaffoor « aime surtout les séries Indiennes, comme Iss pyar ko kya naam doon. Khushi, l’héroïne, est sa préférée ! » Avant, « elle suivait sans relâche les aventures de Tulsi (Kyunki saas bhi kabhi bahu thi) ».
Pour fêter dignement ses 100 ans, ses enfants, ses 11 petits enfants, ses 17 arrière petits enfants et 2 arrière-arrière petits enfants étaient presque tous réunis autour d’elle à leur résidence, Cité Dargaede, à Pailles, hier.
Pour le mot de la fin, Saida Said relate comment « quand je la questionne sur comment elle et mon père se sont connus et aimés, elle part toujours dans un grand rire… Mais ne raconte jamais leur histoire d’amour ! »

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