Histoire vécue: Sawdah Jaulim, la longue guérison de l’anorexie

L’histoire de Sawdah pourrait être celles de toutes ces filles qui ont dû livrer bataille pour se réapproprier leur corps. Boulimie ou anorexie, cette forme grave du comportement alimentaire demande un vrai esprit combatif pour s’en sortir.

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De l’anxiété à la dépression débouchant sur une anorexie, Sawdah Jaulim aurait pu y laisser sa vie. Elle est passée de 35 à 25 kg avec une forme de lésion ulcérée dans la bouche résultant d’une carence en fer. À 30 ans, cette survivante doit ce retour à la vie normal aux livres. Des ateliers à l’IFM lui ont permis de réapproprier sa vie à travers des échanges à haute voix autour de la lecture.

À 30 ans, mariée et goûtant les joies du bonheur conjugal, Sawdah, à qui tout semble sourire, se décrit comme une rêveuse, fan des réseaux sociaux et surtout qui ne rate pas un bon café pour la forme. Alors qu’elle était plus jeune, comme toute fille en âge de décider de sa carrière, elle se pose une simple question : « Si j’avais tout dans la vie, qu’est-ce que je voudrais faire de plus ? » La réponse : « M’asseoir et lire un bon livre autour d’une bonne tasse de café. » Réponse insipide pour certains, mais pour Sawdah, son bonheur se résume à accomplir sur le moment les choses qu’elle aime.

Se décrivant à ses 18 ans comme une fille active bien dans sa peau et dans sa vie, qui parvient à conjuguer études à temps partiel tout en travaillant, sans oublier des sorties entre amies, elle ne pouvait rêver mieux. Jusqu’au jour où hantée par une forme d’anxiété qui dégénérera en une dépression non gérable, elle commence à se désintéresser de tout. « Je me suis heurtée à un mur avec trois mots à la clé : dépression, anxiété, anorexie. Je me trouvais à la croisée des chemins, n’ayant aucune vision d’une quelconque forme d’avenir. Personne ne me comprenait car les jeunes de mon âge visaient haut à cette époque. »

À 23 ans, elle décroche un BSc en Human Rights. Sawdah Jaulim se souvient encore de ses 18 ans, où elle cherchait ses repères. Telle une écorchée vive, elle erre. Pourtant, elle avait son permis de conduire, des amis, un travail rémunérateur, mais raconte-t-elle : « Mon mantra de vie était comme un puzzle que je n’arrivais plus à assembler. Il n’y avait que des pièces manquantes avec dans ma tête, une sorte de tambourinement : il faut viser haut, faire plus. J’ai réalisé que j’avais tout, mais que je n’étais pas épanouie. Déprimée, lasse, j’ai quitté mon emploi et dans ma tête, ce qui me revenait était cette incompréhension de vouloir alimenter un corps qui n’avait nulle part où aller, n’avait aucun but distinct dans la vie. »

Perte d’appétit, de goût

En fille intelligente, Sawdah aurait pu avoir le contrôle de sa vie. « Tout le monde souriait pour un titre professionnel, mais je n’étais pas intéressée. Alors quoi d’autre ? Je n’ai pas trouvé la réponse pendant des années. » C’est alors qu’elle va se heurter à ce simple mot qui fait froid dans le dos : anorexie.

« Je ne savais pas ce que c’était. Un de mes amis a vu mon comportement et a dit que c’était de l’anorexie. J’ai dû chercher sur Google : cela signifiait perte d’appétit, perte de goût. J’étais nerveuse à l’idée de m’alimenter, je ne supportais pas l’odeur de la nourriture, ni que les gens mangent devant moi. La viande me donnait le haut-le-cœur. De 35 kg avant mon anorexie, j’étais à 25 kg et aujourd’hui j’ai retrouvé le poids normal de 50 kg. »

Si Sawdah décide d’en parler aujourd’hui, c’est pour aider les jeunes filles qui se sentent mal dans leur peau. Il lui a fallu atteindre ses 27 ans pour sortir de cette dépression anorexique. Elle a subi trois gastroscopies, risquant même une hémorragie cérébrale.

Elle a cherché alors de l’aide auprès de sa famille, ses amies. Sa mère a été la première à la soutenir et l’a aidée à changer radicalement ses habitudes alimentaires en optant elle-même pour la consommation de légumes nutritifs, de flocons d’avoine, d’œufs de caille. Tout cela pour donner la force à Sawdah pour s’en sortir. « Moi, c’était plus un bol de lentilles et des brèdes qui constituaient mon repas au quotidien et parfois j’alternais avec des crevettes. Mes amies mangeaient végétarien pour m’aider à m’en sortir. Pour sortir de la maladie mentale, n’ayez pas honte de demander de l’aide. Je suis aujourd’hui une survivante. »

En raison d’une carence en fer, Sawdah raconte avoir développé des ulcères dans sa bouche et a dû subir une thérapie orthophonique. « J’avais des ulcères développés sur mes joues, ma langue, ma bouche, j’ai dû prendre des pilules qui comprenaient du magnésium, et je ne pouvais parler. Ma thérapie pour retrouver la parole consistait à mordre un crayon pour m’aider à parler. J’ai appris graduellement quand et où mettre l’accent sur une syllabe. Mes articulations sont maintenant meilleures. Je suis parfaitement bilingue. »

Elle s’est même exprimée lors d’un discours pour un Toastmaster sur sa maladie par des mots forts : « Après de nombreuses années passées à lutter contre les maladies mentales, à les combattre, à les supporter, à les éviter, car c’est la première chose que nous faisons, j’ai appris à les accepter. Il n’y a rien de glorieux à ce sujet, rien de poétique. Mais aussi cliché que cela puisse paraître, la seule issue est à l’intérieur. C’est comme une patte d’oie, plus vous vous battez avec elle, plus elle vous engloutit. Mais si vous vous détendez et avez confiance en vous, vous en sortez lentement. »

« Se faire aider est essentiel »

Sawdah parle de l’aspect nutritionnel : « Saviez-vous qu’une femme moyenne devrait manger approximativement 2 500 calories par jour ? Je ne le savais pas. Je veux dire, comment tout cela peut-il rentrer à l’intérieur. Alors, j’ai décidé de faire une expérience, j’ai acheté un fitbit et j’ai commencé à suivre mon alimentation. C’était incroyable ! Je ne mangeais que 700 calories par jour et en brûlais 1 500. »

Et la jeune femme de poursuivre : « Mais à ce moment-là, j’ai eu une révélation, je voulais vivre différemment. Les scientifiques disent que la maladie mentale est parfois une réponse adaptative à votre environnement, elle est censée vous prendre à la gorge pour que vous puissiez réagir au changement. C’est alors que j’ai décidé d’abandonner l’ancien modèle de broyage pour le nouveau modèle de ralentissement, de confiance en mon instinct, de dire « assez, c’est assez ». J’ai appris qu’il y a de la force et de l’humilité à demander de l’aide, et j’ai reçu de l’aide. »

Aujourd’hui conférencière professionnelle, ayant passé plusieurs années dans des séminaires multireligieux pour comprendre la diversité multiculturelle de notre île plurielle, Sawdah ne peut manquer de parler des ateliers d’écriture à l’IFM qui l’a aidée à sortir de sa dépression. Passionnée de lecture, elle fait la connaissance d’autres personnes et ensemble tous les samedis, elles lisent à haute voix et discutent des différents thèmes autour des livres lus. Ce soudain éveil à la culture et cette soif de connaissance qui habitaient Swadah lui ont permis de lire 54 livres durant l’année 2016. Pour cette année, elle a lu 50 livres à ce jour. C’est devenu son défi annuel sur Goodreads, dira-t-elle.

La vie de Sawdah a pris une autre direction, elle travaille pour le Groupe Vi Origin, une compagnie de technologie où elle officie comme responsable des ressources humaines, chargée de formation pour le groupe à Paris et à Maurice. Mariée, Sawdah a trouvé en son mari un pilier. Il lui prépare ses repas, et elle conduit la voiture. « We help each other to be better each in our own field. And he understands slowing down as a way of life. And he loves coffee and books too. »

Sawdah s’est même trouvé un passe-temps, celui de collectionner des tasses de café, elle en possède plus d’une centaine qui servent à décorer son étagère et qui font de l’effet sur sa page Instagram. Sa vie se résume à de choses simples : apprécier chaque moment et ce, elle insiste, autour d’un bon livre et d’un café chaud. Elle souhaite que son témoignage fasse réfléchir les jeunes sur les conséquences que peut entraîner une sévère anorexie, tout en insistant sur le fait qu’il ne faut jamais hésiter à demander de l’aide. Une action au moment voulu peut parfois changer tout le cours d’une vie.

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