ICJM: Sexualité et affectivité, une autre idée de la chose ?

L’Institut Cardinal Jean Margéot propose en novembre le programme PASAJ ?. Un acronyme pour « Parler Affectivité et Sexualité Avec les Jeunes ? », un « apprentissage de l’amour » où l’on énonce « affectivité » avant « sexualité » et où l’on dit « avec » au lieu de « aux jeunes ». Qu’importe la culture, la religion ou la croyance, il est question de réconciliation avec un projet de vie « humanisant », d’écoute et de respect. La visée : savoir proposer un autre modèle d’épanouissement aux adolescents. Rencontre avec Claire et Denis Dhiersat qui préparaient, du 2 au 8 septembre, les co-animatrices de la formation.
Dans quel monde vivons-nous ? La question de départ est large. Et les avis divergent, sans doute. Mais, à tâter le pouls du « parent de l’an deux mille », on nierait difficilement qu’il y a souvent « conflit de génération » et que parler « sexualité » – ou d’un terme encore plus écarté du lexique contemporain : affectivité – s’avère une épreuve. « Il n’est pas facile d’en parler. Nous (NDLR : parents, conseillers, formateurs) sommes souvent renvoyés à notre notion propre de la sexualité, de nos pulsions », estime Claire Dhiersat, que Le Mauricien rencontrait lors du séjour du couple Dhiersat, au début du mois.
Claire et Denis Dhiersat sont Français, établis à l’île de la Réunion. Tous deux, conseillers conjugaux et familiaux depuis plus de 25 ans, sont membres de “CLER Amour et Famille” île de la Réunion, dont Denis (qui est aussi médecin généraliste) est président. Ils étaient présents à Maurice du 2 au 8 septembre dans le but de former les trois co-animatrices qui épauleront Anne Napoléoni lors du stage PASAJ ? proposé en novembre (Voir hors-texte) par le département Jeunes, Couples et Familles de l’Institut Cardinal Jean Margéot. Au Mauricien, Claire et Denis expliquent cet « autre modèle d’épanouissement », à l’opposé de la projection médiatique, du déni de maturité, du « toujours plus vite ». Et d’opposer deux façons d’appréhender le mot « liberté » : une première, new-age, véhiculée, popularisée, entretenue par la culture de l’image, et une seconde, presque mise au placard – reléguée au has been ? Céderait-elle au fatalisme du constat que « les temps ont changé » ?
Confusion
Les temps ont changé. Bien sûr. Mais malgré la mouvance, certaines choses ne changent pas. Ce que l’on pourrait retenir de l’entretien avec Claire et Denis Dhiersat, c’est qu’au final, le jeune prend ce qu’on lui donne. Il absorbe les projections de son environnement – de la mode, de la musique, des pop-leaders. Cela se fait subtilement : par le biais de la psychologie, du peer pressure, d’une refonte de ce qui est considéré normal. Et de tenter d’observer ce monde qu’est le leur…
Société liquide qui déjà prône le papillonnement. Le rapport aux loisirs, le rapport à la lecture, la connaissance, la compilation d’informations – tout est sujet à une certaine forme d’instantanéité. On consomme. On dispose. Claire Dhiersat est d’avis que la communication se fait de plus en plus virtuelle… De quoi ouvrir au débat : les relations d’aujourd’hui peuvent-elles encore être authentiques ?
Mais aussi – et c’est la critique que l’on retrouve le plus souvent dans la littérature contemporaine – ce monde est sensualité abondante. N’évoque-t-on pas suffisamment le terme « objetisation » pour définir les rapports humains ? Y a-t-il « déshumanisation » ? Selon Claire, ce qui est plus sûr, c’est que « l’on réduit tout ce qui est sexualité à génitalité ». On aurait tendance à oublier que la femme et l’homme sont « coeur, corps et esprit » – un discours brimé par le consumérisme ambiant. Denis ajoute : « Tout est pris comme un besoin à satisfaire, comme pour l’alimentation… On est à la recherche du plaisir pour soi mais qui n’aide pas l’homme à s’humaniser. »
Et surtout : cette société érige un culte de l’idéalisation, propose une manière de nourrir les relations qui n’est pas toujours réaliste, durable, soutenable et qui peine à favoriser la croissance de l’être humain. La télévision en est un exemple édifiant. « Tous les films proposent uniquement la première phase de l’amour », signale Claire. On évite d’aller plus loin. Le jeune adolescent est mené à penser que la passion est le Tout du couple. Et lorsque l’on passe par le tunnel – phase de transition où l’on commence à se rendre compte des failles de l’autre – on ne peut qu’être déçu et opter pour la rupture, en attendant la prochaine vague… Et de citer l’exemple du téléphérique dont on ne veut pas descendre. Tout un illusoire qui « tue la possibilité d’un amour de maturité – le choix d’aimer ».
Le phénomène que décrivent Claire et Denis Dhiersat est celui d’un mimétisme absurde. Explication : le jeune garçon s’associe à l’exemple du genre idéal proposé par les médias. Idem pour les filles : on imite certaines attitudes, on pense maîtriser les codes. On serait amené à projeter une certaine image de soi, à faire semblant. Il s’agit, selon Claire Dhiersat, d’un cercle vicieux où le jeune s’embourbe dans un raisonnement du type : « Je pense qu’elle pense que je pense que »… La société de l’image cultiverait des présupposés. On se dit – par ce qu’il reçoit d’internet et d’autres ressources à disposition – que toutes les filles pensent d’une certaine manière, ont les mêmes attentes et on s’ajuste à cette perception. À prendre la forme du moule…
Choisir
Il ne s’agit pas de démolir les « acquis » d’une dite libération sexuelle. Juste d’affirmer que ce postulat n’est qu’une partie de la vérité… Et qu’il y a d’autres moyens d’envisager le relationnel. Il existe d’autres façons de voir les choses.
Car si la société persiste à ne proposer qu’un seul chemin vers l’épanouissement, quelle liberté peut-il y avoir ? Denis Dhiersat s’interroge : « Donne-t-on vraiment le choix ? » Mais d’abord, quelle est cette « vraie » liberté ? Elle suppose que l’individu se choisisse un comportement particulier en opposition à une liste d’alternatives, elle implique par défaut un refus de ces « autres choses que l’on estime ne pas pouvoir mener à un bonheur durable », elle concilie une dose de sacrifice et de retenue. Soit. Ce qui s’oppose au manuel new-age du comment être heureux qui repose sur un « désir profond de faire n’importe quoi ». Et d’interpeller : « Si être libre, c’est laisser toutes ses pulsions se réaliser, je suis en déshumanisation ». Claire complète : « C’est en prenant sa liberté que l’on peut aspirer à être véritablement heureux » – un type de bonheur réaliste, solide et terre à terre. D’où l’objectif de PASAJ ? : favoriser le discernement.
Le jeune prend ce qu’on lui donne. D’accord. Mais, parmi ces choses qui ne changent pas, il faut également inscrire le mot « amour ». Quasi vérité universelle : un besoin d’aimer, un besoin d’être aimé. « Le coeur foncier de l’Homme est motivé par cela, estime Claire, On veut vivre quelque chose de grand. »
Comment ? En mettant en exergue des autres références par rapport à ce que le « monde » propose. En théorie : revenir sur les dimensions « coeur, corps, esprit », réhabiliter l’affectivité – modèle de croissance qui épouse l’évolution psychique du jeune. Tout mettre en oeuvre afin que, comme le souligne Claire Dhiersat, « l’ado ne saute pas de la jupe de maman pour aller s’accrocher au jean du copain, de la copine ». Il faudrait donner au jeune les moyens de « se charpenter ». Il faudrait pouvoir « se construire seul ». Car, on ne peut ériger une « saine » idée du couple tant qu’on ne consolide pas le respect de soi-même, tant qu’on ne se « forge pas le caractère ». Les moyens pratiques : le jeune doit pouvoir grandir en entretenant des amitiés multiples, en privilégiant la « compréhension de l’autre sexe ».
Non, il ne s’agit pas de reprogrammer des jeunes « qui ne pensent qu’à ça ». Mais seulement de « fournir des éléments d’appréciation pour que le jeune puisse choisir sa liberté », résume Denis Dhiersat. PASAJ ? n’impose rien. On y encourage le « dialogue avec les jeunes », et non pas aux jeunes. Tout en restant moderne, l’éducateur formé serait appelé à s’exercer « avec une juste distance », « dans le respect », « sans jamais condamner »… Ne pas se poser en donneurs de leçons.
Et surtout, il n’est à aucun moment question de doctrine, de religions ou de croyance. PASAJ ? n’est pas réservé aux catholiques et s’adresse à tous les éducateurs, formateurs, de toute confession. Car « nous sommes tous confrontés aux mêmes problématiques ».

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