ICTA (À une semaine de la date-butoir) : 1 569 mémoires et contributions avec échanges engagés à l’ICTA

À une semaine de la date-butoir pour la soumission des mémoires et des réactions dans le cadre du Consultation Paper en vue des amendements au cadre légal régissant les réseaux sociaux, l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) fait état de 1 569 réponses reçues à ce jour. Confirmation ce débatil, l’ICTA note que « parmi les répondants on retrouve une majorité de citoyens mauriciens, mais aussi des professionnels du secteur des TIC, des associations et ONG diverses locales, des leaders ou mouvements religieux, des associations internationales liés à ce secteur ou à la défense de la liberté d’expression, ou encore des multinationales telles que Google. L’ICTA est toujours en attente des commentaires de Facebook dont l’avis a été demandé ».

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Tout en rappelant que « l’objectif est de trouver des pistes de solutions possibles aux nombreux abus, dérapages, Fake News et autres comportements dangereux sur les réseaux sociaux à caractère public », l’ICTA avance que « diverses rencontres et des communications formelles ont déjà été échangées avec certains répondants ayant des questions précises ».

À partir de jeudi, soit à la date butoir de la consultation, les réponses des intervenants, incluant celles en provenance d’associations ou de l’étranger, seront étudiées, avec les différents avis et suggestions qui seront alors compilés et envoyés au ministère de tutelle.
Dans le cadre de ce débat, le diocèse de Port-Louis et diverses organisations internationales ont tenu à apporter leurs contributions pour dénoncer les risques de dérives anti-démocratiques avec les amendements envisagés. En tout cas, le serveur de censure proposé par les autorités pour prévenir soi-disant des abus sur les réseaux sociaux ne trouve pas grâce aux yeux d’une grande majorité de participants aux échanges sur le Consultation Paper de l’ICTA.

 

DIOCÈSE DE PORT-LOUIS : « Épée de Damoclès au-dessus de la liberté d’expression »

Comme beaucoup de Mauriciens, nous avons pris connaissance des nouvelles règlementations proposées par l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) face aux textes, images, vidéos etc. qui offensent sur les réseaux sociaux, spécialement Facebook.

L’église catholique de Maurice, consciente de la place grandissante que les réseaux sociaux ont dans la vie des Mauriciens, souhaite apporter ses commentaires, recommandations et aussi fournir quelques pistes de réflexion sur ce sujet. Nous remercions l’ICTA pour l’opportunité donnée pour un débat sur ces propositions d’amendements. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un sujet sensible – à la fois sur le plan éthique et technique – qui suscite déjà de nombreux échanges et débats dans le public, la presse et les réseaux sociaux. Cette confrontation d’idées, dans le respect des uns et des autres, est un élément fondamental de notre démocratie.

L’Eglise catholique à Maurice a toujours défendu la liberté d’expression : elle se réjouit du développement exponentiel des moyens de communication dans la mesure où les réseaux sociaux, telle une toile d’araignée qui interconnecte les personnes et les pays les plus reculés, peuvent être les instruments privilégiés de la mondialisation de la solidarité qui peut contrer la mondialisation de l’indifférence, si nous savons nous en servir.
Lors de la Journée mondiale des communications sociales en 2009 et en 2019, les papes Benoît XVI et François nous ont proposé un éclairage très pertinent aujourd’hui pour le débat qui s’est ouvert chez nous. Pour la 43e édition de cette journée marquée le 24 janvier, après avoir considéré que les technologies de l’information et de la communication sont « un véritable don pour l’humanité », le pape émérite Benoît XVI a encouragé « toutes les personnes de bonne volonté qui travaillent dans le monde émergent de la communication digitale, afin qu’elles s’engagent à promouvoir une culture du respect, du dialogue, de l’amitié. »

En 2019, le pape François a abordé la réalité multidimensionnelle des réseaux sociaux qui « pose diverses questions de caractère éthique, sociale, juridique, politique, économique, et interpelle aussi l’Église ». « Tandis que les gouvernements cherchent des voies de réglementation légale pour sauver la vision originelle d’un réseau libre, ouvert et sécurisé, nous avons tous la possibilité et la responsabilité d’en favoriser une utilisation positive », a ajouté le pape François. Dans le contexte mauricien, l’engagement de Mgr Jean Margéot et du père Henri Souchon restent pour l’Eglise une référence dans le domaine de la défense de la liberté d’expression.

Dans toute démocratie, une réglementation est nécessaire pour que les réseaux sociaux soient des espaces d’échanges et de débats, non d’outrances et de non-droit. Nous voulons par cette correspondance joindre notre voix à celle de bien des citoyens et d’associations qui demandent aux autorités de ne pas se précipiter à mettre en pratique la révision de l’ICTA et de prendre le temps pour qu’une étude plus approfondie soit menée avec des juristes.
Nous soumettons ici quelques propositions :
1.Clarifications de la proposition
1.1.La proposition de l’ICTA demande plusieurs clarifications avant même qu’un débat soit ouvert. En premier lieu, il serait utile de mesurer de manière très large l’ampleur de la mauvaise utilisation et d’abus des réseaux pour justifier des mesures si menaçantes pour la liberté d’expression. Le danger serait de légiférer pour une minorité, celle qui choisit des pseudonymes pour ne pas être identifiée.
1.2.Pour plus de clarté, il faudrait donner une liste des media et réseaux concernés par ces nouvelles mesures et les limites des dispositions proposées. Le texte de consultation est assez vague à ce sujet : « Internet and other information and communication services ».
1.3.Quelle sera la composition du National Digital Ethics Committee (NDEC) et qui nommera ses membres ? A voir les nominations partisanes des board des corps paraétatiques, cela laisse à penser que l’Etat serait juge et partie. Sur quels critères seront nommés les office bearers et le chairman ?
1.4.Vu la masse de messages produits chaque jour, comment prévoit-on de traiter l’immense volume de travail que demandera le traitement des données ?
1.5.Sur quels critères sera décidé ce qui est « harmful » et « illegal » en dehors des tribunaux ?
1.6.Un système d’appel par rapport aux décisions prises est-il prévu ?

2.La section 12 de la Constitution garantit au citoyen le droit à la liberté d’expression et les articles 9 et 288 du Code pénal, le recourt légal pour protéger sa vie privée. Le citoyen ou l’institution lésé peut faire appel à la loi qui sanctionnera ceux qui sont jugés coupables. Pourquoi est-il nécessaire aujourd’hui de contourner le système judiciaire et renvoyer à l’exécutif l’autorité de décider ce qui est « harmful » ? Serait-ce à cause de la lenteur du judiciaire à sanctionner ? Est-ce parce que les lois ne sont plus adaptées aux situations nouvelles créés par l’explosion des libertés avec l’accessibilité des réseaux sociaux ?
Nous proposons qu’au lieu d’investir dans une institution de contrôle qui coûtera très cher à cause de la masse de données qu’il faudra chercher, analyser etc, il serait plus judicieux d’améliorer le système judiciaire surchargé et amender les dispositions du Code Pénal si nécessaire.

3.Dans tout enjeu, l’éducation reste la clé principale. Eduquer à l’utilisation des réseaux sociaux avec une composante d’éducation civique est primordial. Cette discussion pourrait être menée par tous les acteurs de l’éducation à Maurice. Pourrait-on envisager d’inclure un module « utilisation des réseaux sociaux » dans les écoles, dès le primaire ?
4.De façon parallèle, il est urgent de mettre les réseaux sociaux devant leur responsabilité de diffuseur. Ainsi, comme le font les autres médias, ils seraient obligés de mettre en place un mécanisme interne, voire embaucher des Mauriciens pour faire cette modération. Selon les experts dans le domaine, cela peut se faire à distance.

Pour toutes ces raisons, il serait judicieux d’étendre le délai posé par l’ICTA pour ouvrir un dialogue national, un débat dans les médias sur l’utilisation des réseaux et ce que nous souhaitons faire comme Nation. Afin d’agir dans la transparence et privilégier le dialogue national, il serait bon de rendre publics les points de vue, les diverses contributions des spécialistes et des citoyens lambda, reçus par l’ICTA. Il faut écouter les mécontentements exprimés jusqu’ici qui ne sont pas uniquement des déclarations d’opposants mais de citoyens conscients des dérives qu’une telle loi pourrait amener.

La mise en place d’un comité parlementaire multipartite équilibré pour discuter de ces questions et faire des recommandations à l’Assemblée nationale pourrait également décanter la situation.

Ce délai est d’autant plus souhaitable car dans le contexte actuel, où notre population est épuisée par la Covid-19, il est nécessaire d’offrir une solution qui soit consensuelle et respectueuse de la liberté d’expression des citoyens.
Les propositions de l’ICTA seraient, du point de vue de l’Eglise catholique, une épée de Damoclès au-dessus de la liberté d’expression qui nous est garantie par la Section 12 de notre Constitution. L’ICTA le souligne d’ailleurs elle-même en pages 20-21 du document de consultation : « The proposed statutory framework will undoubtedly interfere with the Mauritian people’s fundamental rights and liberties in particular their rights to privacy and confidentiality and freedom of expression ». La liberté d’expression est un élément fondamental, un indicateur de la santé d’une démocratie et le mécanisme tel que proposé affaiblirait notre démocratie. Car, en voulant ainsi prévenir des abus d’usage, ne risquons-nous pas d’étouffer la liberté d’expression des Mauriciens ?

Père Jean Maurice Labour
Vicaire-Général
12 mai 2021

CONSORTIUM INTERNATIONAL : « Fatal Shortcomings under Human Rights Standards »

Reporters Sans Frontières, Committee to protect Jounalists ou encore Access Now dénoncent la tentation totalitaire affichée avec les propositions du GM

Une série d’organisations, luttant pour la liberté d’expression à l’international, dont Reporters sans Frontières, Committee to Protect Journalists (CPJ), Access Now, la société informatique de l’université de Harvard et Global Voices, entre autres, constituées en consortium, font part de leurs appréhensions devant la démarche affichée par l’ICTA et portant de graves préjudices à l’espace démocratique à Maurice. Elles dénoncent la tentation totalitaire sous-jacente aux amendements éventuels à l’ICTA ACT. C’est ce qui ressort dans une communication officielle publiée en fin de semaine. « If it is sincere in its desire to uphold human rights and democratic principles, the government can explore more proportionate and rights-protective measures, appropriate to the context of a free society, for the regulation of illegal conduct on social media », soutiennent-elles dans cette correspondance à l’ICTA.

Les amendements proposés par l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) pour réguler le trafic internet sur les réseaux sociaux à Maurice et censurer des « contenus nuisibles et illégaux » sont remis en cause par plus d’une cinquantaine d’organisations internationales, qui évoquent une atteinte à la liberté d’expression, à la vie privée et la sécurité numérique. Les organisations internationales ont quant à elles voulu faire part de leur réticence face à un tel projet de loi et de leurs inquiétudes d’une menace à l’encontre des droits fondamentaux de tout citoyen.

Ces instances, comprenant notamment Reporters sans Frontières, Committee to Protect Journalists (CPJ), Access Now, la société informatique de l’université de Harvard, Global Voices ou encore des organisations du Commonwealth et des droits humains sont unanimes à mettre en exergue cette atteinte à la liberté d’expression, à la vie privée et à la sécurité numérique. La CPJ parle d’ailleurs d’un « danger pour la protection des sources des journalistes » pour demander que ce Consultation Paper soit rejeté.

Les organisations avancent que cette proposition d’amendement « est radicalement disproportionnée par rapport à l’objectif de l’État de lutter contre des propos offensants sur les réseaux sociaux » mais aussi que cela «  provoquera un dangereux précédent, en permettant à l’État de surveiller les citoyens tout en compromettant la sécurité numérique ». Ces organisations se permettent même de souligner que la formulation par l’ICTA de cette proposition de lois « est pire que les règlements de la Computer Misuse & Cybercrime Act sur les procédures et investigations à suivre ».

L’ICTA propose ainsi avec ces amendements un contrôle assidu avec plus de pouvoirs discrétionnaires sur la censure sur les réseaux sociaux. Un corps administratif, le National Digital Ethics Committee (NDEC) serait ainsi mis sur pied pour contrôler toutes les données qui vont sur les réseaux sociaux et décider si ces contenus sont nuisibles. Toutes les données passeront par le Proxy Server contrôlé par l’État. Le NDEC pourra ainsi bloquer et censurer des contenus qu’elle jugera nuisibles.

Les organisations internationales sont catégoriques sur cette proposition de l’instance régulatrice: « This proposed regulatory framework suffers from fatal shortcomings under international human rights standards: firstly, administrative censorship generating chilling effects on speech and secondly, disabling of encryption, crucial for digital security ».
Un manqué de clarté et de précision non-conforme au statut international des droits humains est ainsi décrié, en plus de l’inquiétude d’opacité sur le processus et d’une « discrétion excessive » que pourrait exercer la NDEC ou encore la Technical Enforcement Unit qui serait créé pour opérer les Proxy Servers.

Mesures répressives

Ce qui inquiète encore si ces amendements sont avalisés, c’est l’indépendance de telles structures. « …Administrative bodies may show bias in favour of the incumbent government in disputes concerning the executive and legislative branches themselves, much more so than the judiciary ». Les organisations internationales évoquent le fait qu’il n’y ait pas de garantie d’indépendance et que ces structures pourraient agir au détriment des citoyens – en censurant ou bloquant l’accès aux réseaux sociaux – et en faveur du gouvernement en place.

« The proposed law would undoubtedly reverse the gains that have been made by the government of Mauritius in the area of human rights. We call on the government and ICTA in particular to retract the Consultation Paper, which proposes radically disproportionate measures to counter offensive speech on social media and presents a threat to human rights-specifically, the rights to privacy and free expression including press freedom. If it is sincere in its desire to uphold human rights and democratic principles, the government can explore more proportionate and rights-protective measures, appropriate to the context of a free society, for the regulation of illegal conduct on social media », font-elles ressortir.

ME SANJAY BHUCKORY, SC : « Ces amendements viennent assouvir le pouvoir, et non pas le citoyen »

Me Sanjay Bhuckory, Senior Counsel, est catégorique sur le fait que les autorités devraient laisser la justice décider de déterminer si le déclarant a été préjudicié ou pas. Ce serait dangereux de créer des censeurs en amont, susceptibles d’usurper les prérogatives des magistrats. « Il incombera à la Cour Suprême de déterminer si ces amendements sont raisonnablement justifiables dans notre société démocratique. Dans son Consultation Paper, l’ICTA peine à justifier l’injustifiable », dit-il.

Considérant ces amendements comme étant très suspects, le Senior Counsel relève que « le gouvernement nous propose un système de contrôle quasi-unique au monde, où une institution gouvernementale va agir en tant qu’agent de filtrage pour censurer des commentaires avant même toute publication sur les réseaux sociaux ». Il rappelle que la liberté d’expression est non seulement un droit acquis, mais elle est surtout un droit qu’il nous incombe de défendre bec et ongles. « Les réseaux sociaux sont devenus un medium incontournable où le citoyen peut s’exprimer. Certes, il faut qu’il le fasse selon les règles légales et dans le respect d’autrui, qui existent déjà. Mais de là à censurer ses propos avant même qu’il ne les publie constitue une violation outrageante de sa liberté d’expression et de son droit à la correspondance. Si ce rempart tombe, l’État va envahir tout ce qui touche de près ou de loin à notre intimité de partage d’information sur le net », s’insurge-t-il.

Abordant la teneur du lexique légal introduit dans les amendements en vue, le Senior Counsel est d’avis que le terme ‘harmful’, soit préjudiciable, a été délibérément introduit afin d’étendre au maximum le champ de manœuvre des filtreurs-censeurs. Ils auront ainsi tout le loisir de censurer, comme bon leur semble, tout ce qui leur apparait ‘préjudiciable’, qui est un terme très subjectif.

« Laissons donc le soin aux tribunaux, comme ils le font déjà, de déterminer si le déclarant a été préjudicié ou pas. Ce serait dangereux de créer des censeurs en amont, qui se substitueraient aux magistrats, voire usurper les prérogatives de ces derniers», dit-il. S’il est vrai que le gouvernement peut légiférer dans le but de protéger la réputation, les droits et libertés d’autrui, il ne faut pas que cette disposition ou, selon le cas, son application, ne soit pas raisonnablement justifiable dans une société démocratique.

« La notion d’un État souverain et démocratique est inscrite au premier article de notre Constitution. Il incombera donc à la Cour suprême de déterminer si ces amendements sont raisonnablement justifiables dans notre société démocratique. Dans son Consultation Paper, l’ICTA peine à justifier l’injustifiable », affirme Me Bhuckory.

Le Senior Cousnel dit craindre que le citoyen lambda n’ait pas bien saisi la portée de ces amendements. « L’ICTA veut faire accroire qu’elle agit dans l’intérêt du public, et ce afin de le protéger contre d’éventuels abus. Heureusement que le ridicule ne tue pas : que je sache, il n’y a jamais eu de mécontentement populaire contre les réseaux sociaux. Bien au contraire, c’est le pouvoir qui s’en est toujours plaint. C’est donc clair que ces amendements viennent assouvir le pouvoir, et non pas le public. C’est autour du gouvernant, et non pas du citoyen, qu’ils veulent ériger un bouclier », dit-il.

« Aucun cadre légal ne pourra adéquatement contrôler les filtreurs-censeurs. Ils seront tout, sauf indépendants. Il suffit de voir le nombre d’institutions étatiques qui comportent le mot ‘indépendant’ dans leur sigle, mais qui sont assujettis au pouvoir du jour. Le seul moyen de protéger les droits fondamentaux du citoyen est d’empêcher que cette loi ne soit adoptée. Sinon, les censeurs seront livrés à eux- mêmes. Ils s’assureront que toute forme de critique ‘préjudiciable’ aux gouvernants sera censurée à la source même. Au final, l’espace démocratique sera davantage restreint et la peur habitera encore plus le citoyen », dénonce Me Bhuckory.

« Le cadre statutaire proposé va sans aucun doute porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux du peuple mauricien, en particulier à ses droits à la vie privée et à la confidentialité et à la liberté d’expression », conclut l’homme de loi.

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