INTERVIEW — JACQUES VAUTHIER, MATHÉMATICIEN : « La science, un filet mathématique dans lequel on essaie d’attraper les poissons d’une réalité pour décrire le monde »

Jacques Vauthier est un des grands spécialistes français des mathématiques et de leur enseignement. Outre ses nombreux articles scientifiques, il a publié douze livres sur les mathématiques, six sur la philosophie des sciences et il a notamment traduit les textes de référence de l’Américain Stanley Jaki dans sur les liens entre religions et sciences, philosophie et science. Pour lui, les scientifiques ont le devoir d’expliquer leur travail, et si possible au public le plus large, ce qu’il a fait récemment à l’invitation de l’IFM lors de plusieurs conférences. Aussi invite-t-il à réfléchir sur les limites de la science : « Un mathématicien russe a montré récemment que les équations algébriques qui sont faites uniquement avec des nombres ne sont pas résolues par les algorithmes, parce qu’il existe un au-delà de l’algorithme… dans l’intelligence humaine ! Et n’oublions pas aussi le fameux théorème de Kurt Gödel qui dit que la démontrabilité, tout comme les mathématiques, ne peuvent épuiser la réalité. »
Dans la conférence que vous avez donnée à l’Institut Français de Maurice, vous expliquez l’avancée scientifique de l’Occident par rapport à la Chine par sa conception du temps à l’aube de la Renaissance. En quoi la compréhension du temps a-t-elle joué en faveur de l’émergence de la science ?
Le temps est une question intrinsèque à chaque être bien entendu. Aux cinq sens, il faut en ajouter un sixième qui est le temps. La perception du déroulement du temps est complètement différente d’un individu à l’autre étant donné que vous allez vous ennuyer pendant que votre voisin exactement dans la même position que vous s’amusera. La perception du temps est ontologique, c’est l’être profond qui vit le temps. Votre temps n’est pas mon temps. Dans les Confessions, il y a un très beau passage de Saint-Augustin qui dit : « Tant qu’on ne lui demande pas ce qu’est le temps, il sait ce que c’est et quand on le lui demande, il ne sait plus. »
Que dit la grande philosophie grecque qui est le pendant de la philosophie chinoise ? La ligne de rupture radicale entre ces deux philosophies est par exemple liée au fait que le “ceci est” grec ne peut exister dans la culture chinoise où il n’existe pas de verbe être. Chez Aristote, le temps est le nombre du mouvement. Et le mouvement est pour lui l’acte de ce qui est en puissance en tant que tel. Par exemple, tant qu’une maison n’est pas construite, il y a un mouvement vers sa construction. Potentiellement elle peut être construite et l’acte qui va potentiellement la mettre en oeuvre est le mouvement. Le mouvement que l’on a maintenant a en quelque sorte été réinitialisé plus tard par Hume et Descartes, pour qui la définition d’Aristote était inutile. On va avoir dès lors un regard beaucoup plus efficace du point de vue du mouvement. Les premières horloges avec des poids apparaissent à peu près à la même période.
Mais comment mesurait-on le temps en Chine à l’époque de Pythagore ?
Le temps était mesuré par l’empereur. Il était imperceptible, c’était une concressance liée au mouvement des saisons. L’empereur change de vêtements avec un rituel extrêmement précis pour passer d’une saison à l’autre.
Autant le mouvement du temps côté occidental va être linéaire et donc ouvert, autant du côté chinois, il est obligatoirement circulaire et lié aux saisons. La subtilité de la philosophie chinoise réside dans l’imperceptibilité. Le sage doit râper toutes les rugosités. Les mets ne doivent être ni trop salés ni trop sucrés, les mouvements coulent très tranquillement.
Un des symptômes de rupture entre l’Est et l’Ouest est le zéro. Venant de Babylone, le zéro a été transporté par Alexandre Le Grand jusqu’au nord de l’Inde vers le Ve siècle. Ce qui était le rien pour Aristote, le oudeis, a été fécondé du côté de l’Inde comme absence de différence. Le rien défini comme absence de différence deviendra : x-x = 0. Ce concept retourne du côté ouest avec l’algèbre chez les Persans qui vont codifier ce qui revient de l’Inde du nord par la route de la soie sous forme d’un calcul algébrique. Le zéro amène une perception de l’espace et du temps qui ne sera pas comprise du côté chinois, comme le montrait d’ailleurs son idéogramme.
Les jésuites à la cour de l’empereur envoient au secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences des messages dans lesquels ils partagent leur stupéfaction, affirmant que la science chinoise est grosso modo la science de Cicéron ! Les Grecs disaient que si les étoiles étaient au même endroit, la bataille de Salamine se reproduirait de la même manière, Socrate reboirait la cigüe, etc. et on repartirait dans un cycle.
En 1277, Etienne Tempier, chancelier de la Sorbonne dit dans un décret d’arrêter d’expliquer le Monde avec la vision circulaire d’Aristote et à partir de là, de commencer à réfléchir au premier mouvement qui a donné la création du monde : l’impetus ! Cette maturité intellectuelle a débouché sur une nouvelle vision du monde, par une rupture de paradigme. À partir du moment où on porte un autre regard sur le temps et vis-à-vis de la liberté qu’on pouvait avoir sur la nature, à partir du moment où Galilée tombe sur des nombres, la science décolle comme une fusée. Car on a le bon point de vue intellectuel, et en même temps, Galilée s’aperçoit qu’en faisant rouler ses billes sur un plan incliné, il a en vis-à-vis des nombres et des temps qui sont les carrés des nombres. Il va affirmer que le langage du monde est le langage mathématique, avec ses lois. Puis viendra Copernic qui faisait quant à lui de la géométrie pour voir où étaient les étoiles.
Cette conception occidentale, linéaire du progrès n’est-elle pas battue en brèche par certaines théories, quand on parle de relativité ou du hasard par exemple ?
C’est tout à fait exact. Nous sommes dans une configuration très paradoxale. La causalité et la finalité sont remises en question dans la société contemporaine. À partir du moment où il n’y a pas de finalité, quel en sera l’ersatz ? Ce sera le progrès. Mais alors que sera-t-il ? Il va se caractériser par une rupture entre la science et la technologie. On va regarder la technologie pour que des progrès technico-pratiques soient faits, en médecine par exemple. En caricaturant, comment se fait-il que le meilleur antidote du sida soit le préservatif et non pas telle ou telle trithérapie ? Et on dit à la science qu’on ne comprend pas qu’on n’ait toujours pas trouvé de vaccin.
De nouveau le passage de la science à la technologie est ici dramatique, et cela consiste à confondre la fécondité avec l’efficacité. Il y a plus de fécondité dans E = mc2 que d’efficacité. Le scientifique doit-il se donner des applications immédiates ? A-t-il droit de faire une science pour la science, d’être un savant qui délire sur un certain nombre de choses ? Quelle est la rentabilité du théorème de Gödel ? Zéro mais n’empêche qu’il dit qu’on ne peut faire la théorie du tout, qu’on ne peut proposer une théorie physique qui expliquera le tout du monde. Parce que cette théorie sera mathématique, or une théorie mathématique ne peut pas dire d’elle même qu’elle est contradictoire.…
On est dans une attente très forte vis-à-vis de la science dont on espère toutes les solutions. Le monde des sciences n’est-il pas trop imprégné par une démarche basée sur l’empirisme finalement ?
Vous posez là la question de la définition de la science. La science est une sorte de filet mathématique, dans lequel on essaie d’attraper les poissons d’une réalité, pour pouvoir décrire le monde… La gravitation à la Newton a ses limites car si vous regardez Mercure, elle est un tout petit peu à côté de ce que vous aviez prévu. Et il faudra attendre Einstein pour savoir pourquoi. Newton est une poupée russe qui est incluse dans la poupée russe plus grande d’Einstein. Le filet attrape ce qu’il peut en fonction des outils qu’il a à ce moment-là. La géométrie est beaucoup plus sophistiquée, compliquée, et plus abstraite chez Einstein que chez Newton.
D’où la fameuse phrase de Bachelard qui a dit que plus la science est abstraite, plus elle est scientifique. La philosophe Simone Weil a écrit une très belle étude sur les pythagoriciens où elle dit que le passage à l’algébrique est la quintessence de l’abstraction. À propos de la relativité, elle voit une rupture de paradigme de la science qui est le passage à l’algébrique.
Si on regarde les deux grandes théories contemporaines de la relativité et de la mécanique quantique, l’une très sophistiquée et une autre dotée d’une géométrie en dimension IV où l’espace devient une sorte de famille de montagnes russes, où le soleil courbe l’espace par sa masse et comme il le courbe, on est pris dans cette cuvette et on ne peut pas se sauver. Au XIXe on se demandait comment la lune savait-elle qu’elle ne pouvait pas se sauver.
Même si tous les grands physiciens de la fin du XIXe siècle qui étaient des mécaniciens purs et durs, disaient à leurs étudiants de chercher un fluide particulier “l’éther” qui transmettrait la gravitation mais Einstein arrête cela. La rupture avait déjà commencé avant avec Poincaré avec les calculs pour la théorie de la relativité mais il ne les explicite pas comme le fera Einstein. La Terre crée cette petite cuvette dont la lune ne peut pas sortir. La deuxième géométrie qu’est la mécanique quantique qui traite de la matière dans l’atome est une géométrie aux dimensions infinies qui nous fait entrer dans quelque chose de métaphysique, qui commence par la perception de l’infini. Annah Arendt disait aux matheux « vous êtes les sentinelles de l’infini. »
Y a-t-il aujourd’hui une nouvelle définition de la science ?
Aujourd’hui la science, au sens le plus pur et dur du terme, est un ensemble qui débouche sur des équations différentielles, c’est-à-dire des équations qui jouent sur l’infinitésimal, une espèce d’atome mathématique, et qui permettent d’avoir des solutions pour prévoir des expériences qui sont ou non vérifiées par l’expérience. Dès qu’elles ne sont pas vérifiées par l’expérience, ça tue la théorie. J’avais un collègue à UCLA qui avait écrit sur sa porte « So many beautiful theories have been destroyed by so many ugly facts ! » La science s’auto-corrige avec les faits. Newton s’auto-corrige avec Mercure. Certaines théories sont complètement dingo. Je ne veux pas être féroce mais par exemple Stephen Hawking dans Une brève histoire du temps avance une théorie mathématique qui n’est absolument pas vérifiée. Il a fait une prévision intéressante intellectuellement mais absolument pas vérifiée et donc soumise à une remise en question.
Les scientifiques retournent quand même régulièrement vers les savoirs anciens, par exemple vers les médecines traditionnelles et l’usage des plantes, où les laboratoires cherchent de nouvelles molécules. Avec la conception occidentale de la science, n’aurait-on pas dangereusement méprisé des connaissances traditionnelles qui valaient elles aussi la peine ?
Ce qui est amusant c’est que les mécaniciens quantiques, pour la plupart d’entre eux, se retrouvent très bien dans les sciences orientales où tout est dans tout. C’est le cas d’Harald Bohr par exemple, qui a été prix Nobel et le gourou de l’école de Copenhague, qui s’enguirlandait très gentiment avec Einstein. Einstein disait que la réalité est la physique quantique et il lui proposait des tas d’exemples qui montraient l’insuffisance de ses théories. Bohr a pris le yin et le yang pour faire son blason de baron.
Erwin Schrödinger qui apporté une réflexion non négligeable à la mécanique quantique, avait pour lecture favorite les Upanishads. Jusqu’aux années 50, toute une frange de ces spécialistes de la physique contemporaine dit que la métaphysique occidentale ne leur permet pas d’avancer. Changeons de métaphysique et allons voir l’Orient ! Ça continue aujourd’hui. Mais le problème est ailleurs : les scientifiques n’ont pas face à eux des philosophes des sciences capables de revisiter tout ce qu’ils racontent. Il existe une école américaine imprégnée du pragmatisme anglo-saxon. Celui-ci est assez bien estampillé par la titulaire de la chaire de métaphysique et philosophie de la connaissance du Collège de France, Claudine Tiercelin.
Mais il me semble d’une manière générale qu’on s’en tient trop facilement à des théories mathématiques qui s’avèrent trop restrictives et matérialistes. Dire que l’eau c’est H2O est véritablement stupéfiant quand on sait que n’importe quel physicien qui se respecte, vous expliquera que cette matière recèle encore tant de mystères pour la science qu’on ne peut réellement en donner une définition scientifique.
Cela relève du mystère de la vie ?
(rires) On en est à un tel point aujourd’hui que dès qu’on trouve quelques gouttes d’eau sur Mars on croit qu’il y a la vie ! C’est quand même une gigantesque rigolade d’un point de vue scientifique ! La vie est un concept, on ne la rencontre pas au coin de la rue, on ne rencontre que des êtres vivants et ces derniers sont constitués d’éléments qui ne sont pas réductibles à la structure de l’ADN. Si je vous découpe un chat, vous n’aurez pas un chat, vous aurez des morceaux de chat même avec toutes ses composantes. C’est le “holisme”, le tout est plus que l’addition des parties, parce qu’il y a l’information en même temps. La théorie de l’information dans la philosophie grecque, in forma, la forma est l’âme, c’est-à-dire la mise en cohérence des éléments pour donner quelque chose qui aura son autonomie et qui va se reproduire. Vous avez obligatoirement une métaphysique derrière. La métaphysique contemporaine avance qu’on n’est formé que d’éléments matériels qui forment une cathédrale de molécules, qui explose à la fin de votre vie. Cette théorie matérialiste est particulièrement nihiliste. Que peut espérer un jeune de la vie s’il n’est qu’une cathédrale de molécules ?
Est-ce que cette obsession matérialiste peut expliquer le succès des mouvements créationnistes qui se sont fait entendre ces dernières années ?
La vision de Platon prône que la science naît de l’émerveillement, où le beau sera la dynamique, tandis que celle d’Aristote invoque l’étonnement. Par rapport au déploiement de la science vous avez de toute façon un regard autour de vous et ne pourrez éviter le beau et l’étonnement. Plutôt que des créationnistes, parlons tout d’abord de ceux qui défendent le concept d’Intelligent design. Leur théorie dit que le monde est tellement bien ajusté qu’il ne peut qu’être le fait de Dieu.
Un des sous-produits des théories du big bang consiste à dire que les constantes sont ajustées de manière tellement spectaculaire qu’elles ne peuvent qu’être divines. J’ai écrit un livre avec Trihn Xuan Tuan, qui dit que l’ajustement des constantes pour l’astrophysicien est de l’ordre du lancement d’une flèche qui arriverait à l’autre bout de l’univers, là où il faut c’est-à-dire exactement au centre d’une cible d’un centimètre de côté ! Une précision de tir proprement stupéfiante. Vous modifiez un tout petit peu les constantes universelles, vous modifiez la gravitation d’un milliardième, la charge de l’électron vous la modifiez d’un millionième, et vous obtenez un monde complètement différent. Cela fait dire aux gens d’Intelligent design que « tout a été fait avec une telle perfection et conçu de telle sorte que l’homme apparaisse ». C’est très sympathique comme théorie, mais ça n’a rien à voir avec la science.
Cela rejoint-il le livre que vous avez écrit sur les scientifiques qui se prennent pour Dieu ?
Tout à fait. On ne peut pas dire tout ce qu’on veut simplement parce qu’on a une intuition. Pour aller du côté des créationnistes, j’ai rencontré en Syrie des communautés très anciennes qui parlent l’araméen et quand vous leur racontez le créationnisme, ils sont morts de rire ! Genèse I, avec ces fameux jours qui sont scandés par « il y eut un soir, il y eut un matin… » La création prise à la lettre par ces braves créationnistes dit qu’il y a eu le firmament, puis on voit les plantes, puis apparaît le soleil. Du point de vue de la photosynthèse, ça fait un peu désordre… Bergson a dit que ça ne marchait pas, Einstein, et beaucoup d’autres, de même. La lecture littérale de Genèse I a été un des plus puissants facteurs d’athéisme qui soit. Pour ces pères du désert, la lecture même de Genèse I ne pose aucun problème, mais ça n’a rien à voir avec ce qu’un brave fondamentaliste américain va dire… Déjà pour l’herméneutique du texte, pour son interprétation, ils feraient bien d’aller du côté de ces habitants du désert, pour comprendre la sensibilité présente dans ces textes. Ces textes religieux recèlent bien une idiosyncrasie qui n’est pas l’idiosyncrasie américaine. Le créationnisme est idiot du point de vue purement scientifique et du point de vue de l’herméneutique !
Mais y a-t-il encore aujourd’hui un combat à mener contre ces théories-là ?
Quand l’être humain a commencé à se construire un bathyscaphe, il le verrouille bien fort, parce qu’il n’a qu’une peur : desserrer les boulons et se prendre toute l’eau dans la figure. Donc il ne bouge pas. Le créationnisme n’est toutefois pas un danger pour les sciences aujourd’hui. Le problème plus sérieux se trouve du côté scientifique… Comment expliquer la théorie de l’évolution ? Il y a eu à la fin du XVIIIe Cuvier, Buffon et d’autres. Buffon était propriétaire de territoires dans lesquels on trouvait des fossiles de coquillages par exemple dont on expliquait la présence à cette époque comme des résidus du déluge. Mais on en trouvait aussi à d’autres endroits ce qui remettait cette hypothèse en question. Buffon a tenté de donner une explication théologique pour ne pas être embêté par les ecclésiastiques. Il disait par rapport à Genèse I, que peut-être que les nuits étaient plus longues que les jours, ce qui ne tenait pas la route non plus. Arrive Lamarcq qui dit que la nature a la capacité de s’adapter comme les girafes dont le cou s’est étiré pour atteindre les feuilles en haut des arbres. Commence un début de classification des espèces avec Cuvier… et ça amène des dissensions terribles aussi.
Il faut dire que la démarche de la classification est très délicate en soi.
Certes, dans mon livre sur le créationnisme et le darwinisme, j’ai examiné le darwinisme en me demandant ce qu’est une science. Chez Darwin, nous avons un discours raisonné, alors que vous aurez par exemple, beaucoup plus de nombres et de démonstrations chez Georg Mendel, sans qui la biologie contemporaine n’existerait pas.
Darwin vivait dans une société anglaise ultra industrielle influencée aussi par Malthus, ce prêtre anglican qui a émis certaines théories économiques basées sur l’étude des populations. Lorsque l’idée a été avancée que les paroisses devraient prendre en charge les pauvres, il a répondu qu’il n’y arriverait jamais sur la sienne, et il fait une étude technique sur la capacité de survie des pauvres, dans laquelle il constate que les meilleurs résistent… Alors pourquoi se donner du mal puisque la nature fait le tri entre les plus résistants et les plus faibles ! Par ailleurs, en ce début de XIXe siècle, les éleveurs font déjà de la sélection pour obtenir les bêtes les plus productives. Malthus et les éleveurs amènent une conjonction de pensée liée au contexte industriel, qui était particulièrement rude pour les populations.
Darwin va élaborer une théorie qu’il lie du point de vue scientifique à l’idée selon laquelle plus on remonte dans le temps, moins la vie est compliquée. La complexification se fait avec la temporalité, ce qui est génial. En plus Darwin a fait un travail de titan pour la classification zoologique. Mais il va se retrouver un peu dans la même position que Galilée : la théorie fascine tellement qu’on finit par penser qu’elle peut tout expliquer. Sa femme lui suggère dans une très belle lettre, à un moment, qu’il va trop loin dans sa vision du monde. On retrouve dans ses papiers posthumes des prises de position véritablement ultra-matérialistes… Il vient presque dire que ce n’est pas grave si la race humaine disparaît et qu’à partir du singe on pourra recréer l’humain…
Darwin élabore une théorie tout à fait respectable en soi – le principe de la lutte pour la vie et de la survivance des meilleurs, ceux qui se reproduisent le mieux – mais ce n’est pas quantifiable. Il constate une complexification mais de quel outil scientifique dispose-t-on derrière ? Les probabilités donc un système de modification au hasard. Même si on descend au niveau de l’ARN ou de l’ADN, ce n’est pas parce qu’on a un ADN à 98 % identique à celui du chimpanzé qu’on est comme lui… Qu’est-ce qui fait qu’on a cette pichenette qui fait la modification ? La pression du milieu comme dirait Lamarcq ? Quelle va en être la dynamique ? D’autre part, l’autre élément moteur est la mort, puisqu’elle détruit tout ce qui ne peut pas être suffisamment bien adapté pour survivre.
En mathématique, l’élément aléatoire n’est pas exprimé. Si vous lancez un dé, il y aura une chance sur six que le six sorte. La probabilité est d’un sixième. Mais appliqué à la nature, quelle probabilité y a-t-il pour qu’une tourterelle devienne un aigle ? Déjà, il existe dans l’ADN mais des phénomènes liés aux gènes qu’on ne comprend pas très bien, des sous éléments de la fameuse hélice, dont on dit qu’ils sont creux ; on ne sait s’ils agissent ou pas, il y a des vis-à-vis très subtils avec l’enroulement des deux brins de l’hélice et ces deux brins “se parlent”. L’ajustement semble tellement complexe qu’on imagine fabriquer pas mal de monstres avant de tomber sur le bon numéro… Or apparemment, la nature tombe pile à chaque fois sans trop de monstres. Avec la surabondance de graines qui fait que pour arriver à détecter une probabilité, vous allez être dans un discours, et plus du tout dans une prévision scientifique. L’homme ne peut pas prévoir ce que sera la race humaine dans 2000 ans, car il n’existe ni équation, ni solution à cette équation, ni prévision et vérification par l’expérience pour le prouver.

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