INTERVIEW: Le projet de loi ne légalise pas l’avortement, selon le Dr Arvind Pulton

Nous avons demandé au Dr Arvind Pulton, gynécologue formé à Marseilles, de participer au débat sur le projet de loi que le gouvernement compte proposer au Parlement sur l’avortement. Un projet de loi qui, souligne le Dr Pulton, ne concerne que l’avortement thérapeutique.
En tant que gynécologue, que pensez-vous du projet de loi sur l’avortement qui a été annoncé par le Conseil des ministres ?
Je commence par préciser que je ne suis ni pour, ni contre l’avortement et que je ne le pratique pas…
… ce qui n’est pas le cas de tous vos confrères…
… la majorité des avortements pratiqués à Maurice ne sont pas le fait des gynécologues. La grande majorité de ces avortements est pratiquée par des généralistes et des, disons, « artisans ». Nous savons tous qu’il y en a au moins un dans chaque village et plusieurs dans les quartiers de nos villes. Pour revenir à la question, il faut souligner que le projet de loi légalise uniquement l’interruption thérapeutique de la grossesse.
Ce n’est pas la libéralisation de l’interruption volontaire de grossesse comme on semble le dire ? Ce qui a provoqué une levée de boucliers et l’instauration d’un débat.
Pas du tout. Ce projet de loi va autoriser l’avortement thérapeutique dans certaines conditions précises. Si vous faites une échographie d’un foetus et découvrez qu’il est mal formé et est incompatible avec la vie, dans l’état actuel de la loi, vous êtes obligé de laisser le foetus se développer jusqu’à terme. Dans l’état actuel de la loi, l’interruption thérapeutique de grossesse n’existe pas. Même si la vie de la maman est en danger. C’est pour cette raison, et cette raison uniquement, que l’on est en train d’amender la loi pour permettre aux médecins de pratiquer l’interruption thérapeutique de grossesse dans des cas précis. Il ne s’agit pas de l’interruption volontaire de grossesse. Il ne faut pas mélanger les deux.
On dirait que c’est exactement ce qui est en train de se passer dans le débat public autour de cette question.
Le débat est complètement avorté, si je puis dire, parce qu’on entend avortement tout court là où il s’agit d’avortement thérapeutique. Le projet de loi est excellent puisqu’il permet aux médecins de fonctionner dans un cadre légal. Je vous cite un exemple, celui d’une femme, qui est à 5 mois de grossesse, à qui son médecin a dit que son bébé est atteint d’une malformation grave et ne pourra pas vivre. Aujourd’hui, la loi oblige cette femme à mener cette grossesse à terme, tout en sachant pertinemment que son bébé ne va pas vivre. Elle va vivre avec cette information et en portant son bébé pendant encore quatre mois. Vous vous rendez compte du traumatisme psychologique que fait naître cette situation.
Vous avez déjà eu à « gérer »ce genre de cas ?
Cela arrive régulièrement à tous les gynécologues. Il y a d’autres cas, comme celui d’une petite fille qui avait subi une intervention du coeur dont une des conséquences lui interdisait, plus tard, d’être enceinte. Ses parents ne le lui avaient pas dit et après son mariage, elle s’est retrouvée enceinte et on a découvert la vérité. Dans ce cas extrême, la loi actuelle interdit de procéder à un avortement même si la vie de la mère est menacée. La nouvelle loi va régler ce problème-là.
Comment avez-vous fait dans le cas que vous avez cité ?
Vous n’imaginez tout de même pas que je vais vous répondre !
Est-ce qu’il n’y a pas un risque que l’on se serve des modalités du projet de loi pour procéder à l’avortement à tout bout de champ. En usant du prétexte de la malformation du foetus, par exemple ?
Ce n’est pas possible dans la mesure où le projet de loi stipule qu’en cas de malformation, il faut qu’elle soit incompatible avec la vie. Et la décision doit être prise par deux spécialistes.
Il y a également dans ce projet de loi deux parties qui ne font pas l’unanimité.
Je préfère dire que ces deux parties, qui peuvent interpeller, sont plus de nature symbolique. Ces deux parties du projet de loi sont le viol et l’inceste. Le législateur dit que l’on peut avoir recours à l’avortement dans des cas de viols et d’inceste, mais, pour ce faire, il a mis un délai : quatorze semaines de grossesse. Franchement, croyez-vous que le delai imparti suffise pour qu’une cour de justice établisse qu’il y ait eu viol ou que le bébé soit le résultat de ce viol, pas d’une relation sexuelle antérieure !
Au rythme des enquêtes policières locales — certaines prennent plus d’un an — ce délai est, effectivement, largement insuffisant.
Cette loi peut être efficace uniquement pour des cas de viols patents, des flagrants délits. C’est pour cette raison que je pense que ces deux dernières parties du projet de loi sont surtout symboliques. La force du projet de loi réside dans le fait qu’il va donner un cadre légal moderne pour permettre aux gynécologues et aux médecins de faire leur métier.
Comment expliquez-vous la levée de boucliers et le débat public qui ont suivi l’annonce de la décision du Conseil des ministres sur ce sujet ?
Elle est due à une confusion entre interruption thérapeutique et interruption volontaire de grossesse. C’est une ITG et pas une IVG.
Donc, le combat pour une loi autorisant une IVG à Maurice demeure.
D’une certaine manière, je pense que les ajouts concernant le viol et l’inceste dans le projet de loi permettent d’entreouvrir une porte dans cette direction. Mais l’avortement n’est pas autorisé à Maurice.
Elargissons le débat : est-ce que l’avortement est un vrai problème à Maurice ?
Prenons les statistiques que donnent les Pro Life et les Pro Choice, qui sont toutes, je tiens à le souligner, des approximations, dans la mesure où les avortements sont clandestins. Ceux qui sont en faveur de l’avortement affirment qu’il se pratique à Maurice 20 000 interruptions volontaires de grossesse par an, tandis que ceux qui en sont contre parlent de 8 800 avortements. Comme la vérité est toujours au milieu des extrêmes, on peut estimer le nombre d’avortements pratiqués à Maurice à 15 000 par an, ce qui nous amène à 32 avortements illégaux par jour, pratiqués, pour la plupart, dans des conditions d’hygiène douteuses.
La libéralisation de l’avortement réglerait-elle le problème ?
La libéralisation ne ferait pas diminuer le nombre, mais réglerait beaucoup de problèmes associés à l’avortement. Prenons l’exemple d’une jeune fille de 14 ans qui tombe enceinte. Qu’est-ce que la société mauricienne lui offre comme option aujourd’hui ? Soit elle va se faire avorter dans la clandestinité, avec les risques que cela comporte, soit elle garde l’enfant et se marie avec le garçon qui l’a mise enceinte, sinon ce dernier va en prison pour relations sexuelles avec une mineure.
Il n’y a pas de choix, à vrai dire.
Ce sont les seules possibilités qui existent. L’avortement fait dans une structure hospitalière comporte des risques qui ne sont pas comparables avec un avortement dans une officine clandestine. J’ajoute que la fille va, ou bien se faire avorter clandestinement, ou bien elle prend des médicaments, conseillés par des amis « qui savent » à des doses approximatives qui peuvent mal former le bébé au lieu de le faire partir. Deuxième possibilité, si la fille, forcée par ses parents, choisit le mariage, elle va arrêter sa scolarité pour mener à terme sa grossesse. Les statistiques prouvent que dans la catégorie des filles mariées à 14, 15 ans à des garçons de 17, 18 ans, le taux de divorce est au-dessus 90%. Ce qui fait que cette fille se retrouve à 18 ans, divorcée, avec un bébé et sans formation professionnelle, alors que son mari aura continué sa scolarité et entré dans le domaine du travail. Cette situation, qui est plus commune qu’on ne le croit, est une injustice flagrante pour les femmes.
Il y a une catégorie que vous semblez avoir oubliée : celle qui ont les moyens d’aller se faire avorter ailleurs…
…nous savons tous que celles qui ont les moyens vont à la Réunion, en Afrique du Sud, ou ailleurs, pour mettre un terme à une grossesse non désirée…
…il y a aussi celles qui vont dans des cliniques locales où l’on pratique la même opération sous un autre nom…
…je ne peux pas répondre à cette question. Mais je voulais surtout parler des jeunes qui n’ont pas des moyens financiers et qui n’ont le choix qu’entre l’avortement clandestin ou le mariage forcé. Il faudrait aussi ne pas oublier l’aspect psychologique de l’avortement qui marque pour une vie.
Quelle en est la solution ?
Les Pro Life et les Pro Choice, qui sont extrêmes et dogmatiques, se sont emparés du débat et ne changeront pas d’avis. Aussi longtemps que le débat sera monopolisé par ces deux groupes, il n’y aura que des confrontations et pas d’avancées. Il faut à tout prix sortir de ce débat stérile. Il faut ensuite promouvoir la contraception, parce que c’est une des solutions, pas assez pratiquée, étant donné que nous n’avons pas une politique d’information sur cette question dans nos écoles.
Il faut sortir l’avortement de la clandestinité, ce qui ne veut pas dire qu’on mettra fin à son existence, mais, au moins, elle se pratiquera dans de bonnes conditions médicales.
Vos collègues partagent-ils votre point de vue ?
Nous, médecins, avons étudié pour sauver les gens, pas pour détruire la vie.
Personnellement, est-ce que vous êtes pour ou contre l’avortement ?
Je ne suis ni pour, ni contre, comme je vous l’ai déjà dit, pour sa médicalisation.

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