Jardin botanique de Pamplemousses : patrimoine en danger à sauver à tout prix

Le Jardin botanique de Pamplemousses, étendu sur 37 hectares et créé par Pierre Poivre au XVIIIe siècle, s’est enrichi au fil des années. C’est d’ailleurs devenu un lieu incontournable dans le circuit touristique, ainsi que pour les excursions scolaires et les sorties en famille pour un grand nombre de Mauriciens. Toutefois, après le confinement, comme nous avons pu le constater après une visite mercredi dernier, ce jardin n’est plus ce qu’il était.

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En effet, un spectacle désolant s’offre désormais aux yeux des visiteurs. Le Jardin botanique de Pamplemousses a disparu pour laisser la place à « un jardin public ». « Il court le risque d’être définitivement dénaturé à la longue si les autorités ne font rien pour sauver ce qui peut encore être préservé », nous dit un habitant de la région, qui a travaillé comme guide dans le jardin botanique et qui est aujourd’hui à la retraite. « Plusieurs espèces de plantes exotiques rares ont disparu. Les allées, autrefois impressionnantes par leurs grands arbres, sont dans un état de détérioration inquiétant. C’est le laxisme, pendant de longues années, qui a entraîné cette situation aujourd’hui », explique notre interlocuteur, qui a préféré garder l’anonymat. « Olie zer zardin-la, zot pe fer elvaz kanar dan enn basin omilie zardin. »

Poussés par la curiosité, nous étions allés faire un tour. On y trouve effectivement une colonie de canards au milieu d’un grand bassin entouré d’un kiosque, où sont assis des « agents de sécurité », parlant de la mort du petit Ayaan de deux ans, tué par son beau-père. « Tou legramatin nou donn bann kanar manze. Apre zot retourn dan delo », nous indique un agent de sécurité sans plus de détails. Le fait que le jardin, autrefois géré par le ministère de l’Agriculture, soit passé, depuis quelque temps, sous le Sir Seewoosagur Ramgoolam Botanical Trust (SSRBT), « n’a pas contribué à changer grand-chose », fait-il remarquer. Et d’ajouter qu’il n’y a pas eu de nouvel aménagement, et ce malgré que le prix d’entrée ait récemment augmenté. « Vous n’avez qu’à aller faire un tour tout près des nénuphars géants qui offraient autrefois un magnifique spectacle. Ce n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui. Les escargots ont rongé les nénuphars géants, envahis par des feuilles qui tombent… Ces plantes pourraient bientôt disparaître si rien n’est fait pour les sauver », prévient-il.

Des manguiers en abondance

Bien avant le confinement, se rappelle Yousouf, ce jardin botanique, attirait un grand nombre de touristes pour ses arbres endémiques. Aujourd’hui, le jardin a très peu de visiteurs ou sinon les rares Mauriciens, notamment les enseignants qui accompagnent les élèves pour y passer la journée. « Il n’y a personne qui gère ce patrimoine. Il n’y a plus personne qui vient travailler par amour. Mais on voit plutôt des agents sécurité, hommes et femmes, qui passent toute leur journée sous les kiosques ou sous des arbres avec un balai à la main, à raconter des histoires. Le jardin mérite des gens compétents pour gérer, et non des agents politiques », insiste Yousouf.

S.C, un autre habitant de la localité, constate qu’il y a aujourd’hui des manguiers en abondance, qui, observe-t-il, n’a rien à voir avec l’esprit du jardin dont la vocation initiale était « une riche collection de plantes exotiques et endémiques ». Il fut un temps, se souvient-il, où le jardin était classé comme le premier jardin botanique dans l’hémisphère sud. Valeur du jour, le jardin a perdu sa notoriété, sa noblesse et son attrait. Les rares Mauriciens, parmi des couples, qui y mettent les pieds, après le confinement, déplorent cela. « On y trouve, dans tous les coins du jardin, des sacs remplis d’ordures pendant toute la semaine. Finn ariv ler pou reget so zesion », suggère Deven avant de faire observer qu’il n’existe « aucune caméra de surveillance pour décourager les actes de vandalisme mettant en péril les espèces rares qui s’y trouvent ».

Deven ajoute ne plus se rappeler le nombre de fois que les autorités ont parlé de projets de rénovation du jardin après chaque passage d’un cyclone. « Rien n’a été fait, sauf la rénovation du Château de Mon Plaisir, même si on avait introduit l’entrée payante. L’argent aurait servi pour réinvestir dans le jardin. » Il critique de plus sévèrement le prix des billets d’entrée qu’il estime « exorbitant ». Il ajoute : « C’est de la malhonnêteté. Pa kapav pey sa som-la pou vizit zardin sa leta kot li ete aktielman. Li bizin revinn gratis kouma avan. »
Sunil, un habitué des lieux, poursuit qu’il ne faut pas chercher ailleurs pour identifier les problèmes de ce patrimoine, qui, selon lui, sont « l’absence de décisions, mauvaise gestion, manque de personnel qualifié et manque de planification ». Il ajoute : « Sa zardin kot ti ete la, inn vinn nou deziem katastrof. Pe get li koule de lwin san reazir. Lerla sakenn pou dir li pa finn fote. » Notre interlocuteur fait de même observer que des mémoriaux, dédiés à des personnalités, sont laissés en abandon, tels que celui qui se trouve non loin des nénuphars et dédié à l’avocat Stanley Alexander de Smith (1922-1974), qui avait participé à la rédaction de la Constitution de Maurice. Il poursuit qu’il y a aussi le mémorial à quelques mètres du Château de Mon Plaisir, où l’on explique que « The old Sugar Mill Model », était construit par la Chambre de Commerce et de l’Industrie en 1953. « It is a replica of early sugar mills with cylinders drawn by oxen… The juice was then cooked to the consistency of caramel. After setting in a wooden tray it was shaped in wooden moulds. »

« Complètement abandonné »

Ceux qui avaient pris l’habitude d’aller faire leur jogging le matin au jardin de Pamplemousses demandent aux gestionnaires de reconsidérer leur demande et de permettre aux joggeurs de pratiquer leurs activités à partir de 5h30 pendant cette période. Cette décision, nous dit Marie-Claire, qui depuis de longues années a pris l’habitude de débuter sa journée par un jogging, « pourrait recréer cette ambiance matinale entre habitants de la localité ».

Sudesh Rughoobur, l’ex-député du MSM et originaire de Bois-Rouge, Pamplemousses, et qui est passé au MMM après les élections générales en 2019, dit s’intéresser de près à ce qui se passe au Jardin de botanique de Pamplemousses. « Je me rappelle ce jardin lorsque j’étais encore enfant. Je fréquentais l’école primaire de la localité. C’était un vrai bonheur lorsque nous y allions pendant la récréation. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Le jardin est complètement abandonné. Il n’y a plus de gestion. La situation avait commencé à se détériorer avant le confinement, et après, c’est pire. Cela est dû aux mauvaises gestions des gouvernements successifs. Pas met dimoun konpetan. J’ai déjà posé une question sur la gestion dans le passé. Cela n’a rien donné. On n’accordait pas autant d’importance à l’environnement. C’est une honte de voir l’état dans lequel se trouve le jardin actuellement. » Il demande donc aux ministres de l’Environnement, Kavy Ramano, et celui de l’Agro-industrie, Maneesh Gobin, de se rendre au jardin pour un constat.

Pour rappel en mars 2016, Mahen Seeruttun, qui était alors ministre de l’Agriculture, avait révélé au Parlement que « le gouvernement était en présence d’un rapport réalisé par le botaniste français de renom international, Gilles Clément, sur la réhabilitation du jardin de Pamplemousses ». Les services du botaniste et architecte avaient été retenus par le nouveau Conseil d’administration de SSRBT. Le botaniste avait pour tâche de faire un état des lieux en ce qui concerne les aspects scientifiques, botaniques, historiques et infrastructurels esthétiques.

Selon une source, dans son rapport, le botaniste avait écrit : « En tant que jardin botanique, il est disqualifié. Le jardin est victime d’une mentalité globale qui vise à transformer n’importe quel site de qualité en un site soi-disant touristique et rentable. Peu importe alors la manière dont on va attirer le public. Mais il est clair qu’aujourd’hui, le jardin devient un simple lieu de promenade. » Le ministre avait laissé entendre que le gouvernement allait étudier les recommandations avant de prendre les actions nécessaires. « I shall ensure that the new report by M. Gilles Clément is implemented so that the garden becomes a major historical, botanical, scientific and touristc regional and world attraction. »

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