JEAN LI YUEN FONG : « La rivière ne nous appartient pas !»

On parle beaucoup des droits d’eau depuis que le manque a commencé à affecter certains réservoirs du pays, particulièrement Mare-aux-Vacoas. Une des sources de ces droits est la rivière qui, affirme le directeur de la Mauritius Sugar Producers Association, « ne nous appartient pas ». L’industrie sucrière à elle seule, précise Jean Li Yuen Fong dans cet entretien, ne contrôle pas la moitié de l’eau disponible à Maurice.
Quelle est la situation de l’eau dans les établissements sucriers ?
Nous vivons une situation assez inquiétante dans la mesure où il y a une sécheresse qui perdure depuis l’année dernière. Nous espérons avoir prochainement de la pluie pour remplir nos nappes phréatiques et nos réservoirs. L’eau est vitale pour toute activité agricole. Sans elle, il n’y a pas de production.
De manière générale, Maurice reçoit environ 2 300 mm de pluie en moyenne annuellement. C’est beaucoup d’eau… Malheureusement, une grande partie part à la mer car nous n’arrivons pas à la capter.
Il faut donc poursuivre la construction des barrages, réhabiliter les canaux et réduire les pertes au niveau des tuyaux de distribution. Si on réussit à mettre en place un meilleur système de collecte et de gestion, le pays aura beaucoup plus d’eau à sa disposition.
Au niveau du secteur, nous sommes très soucieux de la bonne utilisation de l’eau et du fait qu’elle devient de plus en plus rare.
Nous avons investi dans des systèmes d’irrigation encore plus performants afin d’optimiser l’efficience de l’irrigation des champs. Dans les établissements sucriers, on obtient l’eau des différentes sources que sont les pluies, les réservoirs et les « boreholes » (forages) dans certains endroits et les rivières grâce aux droits d’eau.
Comment fonctionne le système des droits d’eau, dont on parle beaucoup depuis quelque temps ?
Il serait plus approprié de parler de système des “parts” d’eau parce qu’il s’agit du partage d’une partie de l’eau des rivières avec les riverains ayant des exploitations agricoles autour des cours d’eau traversant leurs terres.
Ce partage est inscrit dans le Code Civil et entériné par la Cour suprême à travers la Rivers and Canal Act de 1863. Il permet donc au détenteur d’un terrain en bordure de rivière de disposer d’une part très précise du débit du cours d’eau – calculée en fonction du terrain du riverain – à un point très précis pour irriguer ses plantations. Le système ne concerne pas tout le débit d’une rivière et cela dépend également des activités.
Cette eau est donc très importante et primordiale même pour les activités agricoles…
Effectivement. Les agriculteurs ont besoin d’eau pour faire fructifier la terre à travers la canne à sucre, les légumes, les fleurs…. Sans cette ressource, il aurait été impossible pour eux de s’engager dans des activités agricoles. Nous parlons ici uniquement d’une « part » de l’eau d’une rivière.
Le reste, qui représente un volume conséquent, se déverse dans la mer en l’absence de structure de rétention ou de barrage. À travers le système de « parts » d’eau, une partie de l’eau des rivières est donc utilisée de manière judicieuse pour des activités économiques très importantes pour le pays.
On dit que le secteur privé « contrôle » la moitié de l’eau disponible à Maurice. Est-ce vrai ?
Je ne vois pas comment le secteur privé pourrait exercer un contrôle sur l’eau à Maurice vu que cette ressource est gérée par l’État. Ceci dit il y a peut-être confusion avec le fait que les besoins en eau du secteur agricole dans son ensemble s’élèvent à environ 40 % de l’eau disponible à Maurice…
En cette période de sécheresse, on parle de la révision du système des droits d’eau. Qu’est-ce que cela implique pour les compagnies sucrières ?
Dans le cas des opérateurs de l’industrie sucrière, qui ne sont d’ailleurs pas les seuls détenteurs des droits d’eau, le principe a toujours été de sacrifier l’irrigation des cultures au profit des besoins de la population en période de crise.
Bien que les activités économiques des agriculteurs reposent essentiellement sur l’eau, nous sommes absolument d’accord avec les autorités que la priorité doit être accordée à la consommation domestique en période de sécheresse. Pour autant que cette eau des rivières puisse être captée et envoyée vers les réservoirs et de là aux consommateurs. Nous adhérons à ce principe que nous n’avons jamais remis en question.
Nous avons toujours aidé la Central Water Authority (CWA) à gérer les périodes de sécheresse en mettant cette eau à sa disposition. Si aujourd’hui, le niveau au réservoir Mare-aux-Vacoas reste aux alentours de 30 % et ce, depuis bientôt une année, c’est aussi grâce à l’aide des opérateurs privés qui ont mis des sources d’approvisionnement alternatives en eau à la disposition de cet organisme. Sans cet apport d’eau additionnel, le réservoir aurait été à sec depuis très longtemps.
Vous n’empêchez pas les autorités de puiser dans votre part d’eau…
La rivière ne nous appartient pas. Si les autorités ont besoin d’une partie de notre « part d’eau », nous sommes prêts à la leur donner, la priorité demeurant les besoins de la population.
Les membres de la Mauritius Sugar Producers Association (MSPA) réfléchissent-ils à la question des droits d’eau… Ont-ils des propositions à faire au gouvernement à ce sujet ?
Nous sommes à la disposition du gouvernement pour en discuter. Nous pensons que c’est un dossier qui mérite beaucoup d’interaction et que c’est à travers le dialogue et le partenariat entre les différentes instances qu’une solution durable pourra être trouvée. Nous avons mis en place une structure interne à la MSPA pour discuter de la question et allons collaborer pleinement quand nous serons sollicités.
Certains producteurs craignent que leurs activités agricoles souffrent si on leur enlève les droits d’eau ou leur réduit leur part…
L’eau est à la base même de l’agriculture. Sans elle, il n’y a pas d’agriculture. Conscients de l’importance de l’eau, les membres de la MSPA investissent dans des technologies d’irrigation plus efficientes, dont les systèmes de goutte-à-goutte et de pivot.
Qu’est-ce qu’implique une hausse des charges des droits d’eau pour les compagnies sucrières ?
Le « droit d’eau » est lié à la terre : le propriétaire d’une terre traversée par une rivière a droit à une part de l’eau. Ce droit n’est donc pas payant. De plus, il faut également que les riverains ayant des droits d’eau investissent dans des structures pour canaliser cette eau aux champs, contrairement à d’autres sources, comme par exemple l’eau provenant d’un réservoir ou lorsqu’on paie pour un service afin que cette ressource devienne disponible.
Si on introduit aujourd’hui une charge sur l’eau de rivière,cela aura inévitablement un impact sur les coûts de production. On connaît une situation difficile avec la baisse des prix du sucre et de la production.
Plutôt que d’ajouter d’autres contraintes sur les producteurs et planteurs, il faut les encourager à exploiter leurs terres afin qu’elles ne soient pas abandonnées, comme c’est le cas depuis quelques années.
L’agriculture sert à notre pays. Les terres sont utilisées pour nous assurer un certain degré de sécurité alimentaire et dans le cadre d’une activité économique à part entière.

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