JEUNESSE ET SEXUALITÉ — FAILLITE DE L’ÉDUCATION SEXUELLE: La bombe à retardement

Alors que la sexualité est toujours un sujet tabou chez les adultes, les jeunes pour leur part ont évolué à vitesse grand V. Aujourd’hui, ils favorisent les « expériences » aux sentiments amoureux. Le sexe est partout, dans le langage comme dans les relations avec l’autre ; le jeune n’a pas conscience des effets de son comportement sur sa santé et sur la société. Afin de mieux comprendre ce phénomène, Le Mauricien est parti à la rencontre de jeunes, d’enseignants, de psychologues et parents, entre autres…
Dans une cour de récréation d’un collège de Port-Louis, un groupe de filles, malgré leur regard encore innocent, en choque plus d’un. « T’es pas capable d’enlever ta chemise », lance l’une d’elles à son amie. Ces jeux de provocation se répètent dans la bouche de beaucoup d’élèves, et cela à tout âge. Cette pratique choquante et malsaine en milieu scolaire ne semble pas perturber beaucoup de collégiennes. L’une d’elles s’est confiée au Mauricien : « Se dénuder dans l’enceinte de l’école a un côté amusant. De nos jours, les filles sont beaucoup plus libres qu’avant. Même si on se dénude plus ou que l’on se comporte plus ouvertement, on garde nos valeurs. » Avant d’ajouter : « Entre filles on se confie tout, et on fait tout ensemble. Cela nous arrive de nous embrasser pour le fun ou par défi. C’est de plus en plus fréquent de rencontrer des filles qui ne sont pas homosexuelles mais qui ont envie d’aventure avec d’autres filles. »
Se lancer des défis, échanger des vidéos pornographiques ou encore des photos compromettantes de portable en portable sont choses courantes. « On fait ça pour s’amuser. Souvent on se lance des défis comme se déshabiller, faire un strip-tease ou embrasser une fille et puis on se filme. Les vidéos restent avec nous, on ne les montre pas », explique une fille de 17 ans. Cette sorte de bizutage signe l’acceptation ou non d’une fille dans la « bande ». Les « bandes » sont des regroupements mixtes de jeunes pas forcément du même collège, mais plutôt sur une base régionale de leur lieu d’habitation. Chaque bande se reconnaît par un nom spécifique. Dans la plupart des collèges visités, beaucoup de filles avouent se changer dans le bus de l’école ou dans les toilettes. « Pour beaucoup de filles l’uniforme est trop long, ça n’a rien de sexy. Comme on en a plusieurs on en fait raccourcir certains que l’on enfile après avoir quitté notre maison », explique J.., 15 ans. Le langage lui aussi a évolué : l’on se veut résolument vulgaire, avec des jurons dans chaque phrase surtout lorsqu’on parle des garçons. Eux se sont des « steak », des « zom », des « mari »… Dans une autre école de Port-Louis, nous retrouvons C…, 14 ans : « Les filles parlent beaucoup de sexualité. De là, souvent elles subissent une pression de leurs petits amis qui les poussent à passer à l’acte très jeune. Elles se laissent vite influencer pour ne pas être seules à être vierges. »
Insultes
Il existe dans plusieurs régions de l’île des « baz » où les jeunes se retrouvent pour des « plan c… ». « Beaucoup d’entre nous ont des parents qui travaillent très tard. Alors au lieu d’être seules chez nous on emmène nos amies pour y faire des plans coquins à plusieurs. J’ai déjà fait l’amour avec ma copine et son copain, c’est des choses qui arrivent souvent, de le faire à plusieurs. Il existe aussi des endroits à prix abordables où l’on peut aller », explique Ameera (nom fictif), 16 ans.
Dans un collège de filles de Curepipe, la cloche qui signale la fin des cours sonne. En face, un collège de garçons et des collégiens qui attendent pour attirer l’attention des filles. Des « Hey donn mwa to nimero » ou encore « mo cheri mo kapav akonpagn twa enn bout » fusent. Ils vont même jusqu’aux insultes pour provoquer : « Hey p… to pa le mo trap twa. » Certaines filles ne s’en préoccupent pas, d’autres lancent également des insultes. Un garçon confie : « Aujourd’hui nous sommes beaucoup plus ouverts aux expériences sexuelles, nous avons tendance à préférer les relations à court terme et on ne se contente pas d’une seule fille. Bien sûr on n’est pas tous comme ça, il y a beaucoup de garçons qui sortent du lot, mais la tentation aujourd’hui est très forte. En boîte de nuit les filles sont très libérées, leur façon de s’habiller est souvent provocante ».
Cher les garçons, la masturbation ne se pratique plus entre les murs de la chambre mais aussi en classe, un phénomène désormais très fréquent et à tout âge. La vulgarité et les gestes déplacés sont devenus un comportement « normal ». « Beaucoup de garçons se filment lors de leurs relations sexuelles, et envoient ces clips à leurs copains. Souvent ils écrivent le numéro de leurs ex-copines sur les murs des toilettes avec des insultes », raconte Brian. Dans les collèges mixtes, les relations sexuelles dans les toilettes, vestiaires, ou dans des endroits isolés de l’établissement sont très communes. « Les couples n’ont aucune gêne à se toucher ou se masturber dans l’enceinte de l’école. Certains professeurs le savent mais ne font rien », dit Emma, élève d’un collège mixte.
Des enseignants, dont certains sont eux-mêmes parents, constatent qu’il y a de plus en plus de jeunes sexuellement actifs. Même les enfants du cycle primaire, soulignent-ils, parlent de sexualité entre eux, et ils constatent que l’homosexualité et la bisexualité sont de plus en plus visibles dans les établissements scolaires. Ils se disent confrontés à des cas de masturbation en classe (Form 1), à des filles qui sont prêtes à pratiquer la sodomie dans un souci de préserver leur virginité et à de jeunes garçons qui se comportent comme des filles. Les enseignants relèvent que les jeunes ont plus de moyens financiers, ils peuvent s’acheter de l’alcool, ils ont plus de mobilité grâce notamment à la carte de bus, ce qui leur permet de se déplacer plus facilement, aller sur la plage, dans des bungalows…
Faveurs
Gillian Geneviève, professeur dans un collège de Rose-Hill, confie : « En tant que prof de leçons particulières je vois beaucoup de jeunes de différents établissements. Il est vrai que nombre de jeunes filles se comportent très mal au niveau vestimentaire, ou de l’attitude même. Je comprends que certaines n’hésitent pas à faire des fellations pour obtenir des choses matérielles, comme des billets de concert. Au niveau des garçons, avec la masturbation et les relations précoces, les films pornographiques véhiculés dans les salles de classes et les insultes, il faut s’inquiéter. Le problème est que les adultes idéalisent leurs enfants. Si leur enfant a de bonnes notes, ils s’en fichent qu’il importune une classe, ou qu’il n’ait aucun respect pour les autres. »
Bruno Angérant, consultant français venu à Maurice à la demande de PILS en vue de la mise en place d’un centre de prévention, explique le phénomène qui pousse les jeunes filles à utiliser leur corps pour obtenir des faveurs ou des choses matérielles. « Les filles ont pris conscience que leur corps a une “valeur”, elles s’en servent pour obtenir des choses sans comprendre que c’est mal. Elles veulent faire partie de la société et avec les mêmes droits que les hommes. Quand un homme va dans le lit de plusieurs femmes, il est considéré comme un Don Juan ! Mais si une fille le fait c’est mal interprété. Elles veulent combattre cette image. Pour moi c’est humain de rechercher des expériences nouvelles mais le manque d’éducation sexuelle fait que des jeunes ont un comportement extrême parce qu’ils n’ont pas les réponses voulues à leurs questions. On a pu constater qu’ils sont très mal renseignés. Alors ils sautent les étapes ou se basent sur de fausses idées, comme “se servir de son corps pour obtenir des choses, c’est sans conséquences”, ou encore sur la pornographie. »
Prévention
Au niveau de la Brigade des mineurs, une source anonyme accepte de parler de quelques problèmes rencontrés : « Le phénomène d’exhibitionnisme, de sexualité précoce, de langage et comportement grossier n’a rien de choquant à notre niveau car on voit cela trop souvent. Par exemple, nous avons souvent ramassé près des gares des sous-vêtements et pris des jeunes en flagrant délit d’acte sexuel dans des lieux publics. Quand on les arrête ils prennent ça pour une rigolade. Pour leur faire comprendre qu’ils agissent mal nous sommes obligés de leur parler dans leur langage, c’est-à-dire avec des jurons. Au début ces problèmes étaient des cas isolés, mais avec le temps on voit que cela devient une généralité. Tous les jours nous surprenons un jeune faisant des choses pas claires. Je pense qu’internet fait beaucoup aussi. À la Brigade, nous avons une surveillance internet et on a pu constater que les jeunes se donnent des rendez-vous via Facebook et se rejoignent à des heures précises. Quand on parle aux jeunes on se rend compte qu’ils n’ont aucun dialogue avec leurs parents, aucune confiance aussi. Au final, il est trop tard pour changer ça. Il faut apprendre à les traiter différemment et plus tôt. »
Dany Philippe, coordinateur de l’association Lead (voir plus loin), témoigne pour sa part d’« un grand rajeunissement de l’acte sexuel chez les jeunes depuis plusieurs années déjà. Sur une classe de 30 élèves d’une moyenne d’âge de 15 ans, 75 % avouent avoir eu des relations sexuelles. Cela a tellement évolué que nous ne l’avons pas vu ». En France, déclare Bruno Angérant, « la moyenne d’âge de la première relation sexuelle n’a pas changé et reste à 17 ans », mais à Maurice, il n’y a pas de chiffres officiels à ce sujet. « Je pense qu’il faut parler de sexualité car il y a un manque de structure à ce niveau. Quand on parle de prévention le préfixe “pré” veut dire que l’on doit commencer à en parler avant que l’enfant lui-même n’y pense ».
Pour la majorité des jeunes interrogés, les parents doivent dire les choses comme elles sont, être francs et surtout dire la vérité, afin de les mettre en confiance.
« Zot bizin servi nom siantifik, parski de tout fason, zot pa pou dir bann lezot mot la », explique un jeune. Ils disent aussi préférer discuter d’un tel sujet étape par étape, et ne pas avoir une conversation d’une heure dessus. Ils vont plus loin en demandant aux parents de profiter d’une scène sexuelle à la télé pour en parler. Certains préfèrent en entendre parler quand ils sont seuls, d’autres veulent recevoir l’information avec d’autres adolescents du même âge qu’eux pour qu’ils ne se sentent pas directement visés dans la conversation.

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