Me Coomara Pyaneandee, avocat non -voyant, a été blanchi ce 13 août dans un jugement du Privy Council, et ce, après avoir été cité par la Commission Lam Shang Leen pour des « Unsolicited Visits » effectuées à des détenus. L’homme de loi aborde« le calvaire » vécu au cours de ces six dernières années.
Quelle est votre réaction après avoir pris connaissance du jugement du Privy Council ?
J’ai prêté serment en tant qu’avocat par conviction, pour prouver que les personnes en situation de handicap pouvaient exercer comme avocat. Comme quelqu’un qui n’a jamais eu affaire à la police, les conclusions de la Commission Lam Shang Leen ont été un véritable coup de massue pour moi. C’était une situation humiliante et pénible, où je pouvais difficilement faire face à mes confrères ou devant les tribunaux.
Avec le jugement du Privy Council, j’ai éprouvé un sentiment d’extrême soulagement. Heureusement, j’ai pu compter sur le soutien de ma famille, de mes proches et de mes confrères. Ces derniers se sont battus pour moi Pro Bono. Sans eux, je n’aurais jamais pu mener ce combat devant le Privy Council.
Comment avez-vous vécu ces dernières années, depuis que vous avez été cité par la Commission Lam Shang Leen ?
C’était un véritable calvaire. Pendant six longues années, mon nom a été noirci. Vu les commentaires de la commission, et pour des raisons d’éthique, j’ai dû prendre du recul en ce qui concerne ma pratique comme avocat. Cela a aussi grandement affecté ma carrière comme membre et vice-président du comité des Nations unies sur les droits des personnes en situation de handicap.
Ma femme avait dû mettre sur pied une table d’hôte pour pouvoir joindre les deux bouts, et je l’ai aidée. J’ai aussi beaucoup écrit. J’ai hélas eu le malheur de perdre mon père juste après avoir déposé devant la commission.
Que précise le jugement du Privy Council en ce qui vous concerne ?
C’est une victoire totale pour moi. J’ai été totalement blanchi. Les Law Lords ont dit qu’il fallait complètement ignorer les paragraphes du rapport de la commission me concernant. Le Privy Council a abordé quatre points essentiels.
La Cour suprême avait décrété, en ce qui me concerne, qu’il s’agissait de commentaires faits par la commission, et non de conclusions. Or, le Privy Council a expliqué que c’était là une approche trop étroite, vu que l’on pouvait porter atteinte à la réputation de quelqu’un trop facilement.
Deuxièmement, le Privy Council a reproché à l’avocat représentant la commission d’avoir failli à son Duty of Candour en ne divulguant pas certaines choses devant le Privy Council lui-même.
Troisièmement, avant même d’avoir entendu ce qu’une personne avait à dire, la commission s’était déjà faite une idée sur cette personne.
Quatrièmement, en ce qui concerne le procès-verbal de la commission, qui n’avait pas été vu par les juges de la Cour suprême, mais qui avaient toutefois prêté foi aux allégations formulées contre moi par la commission, le Privy Council a retenu que la Cour suprême aurait dû ordonner la production de ce procès-verbal. Ce dernier point, surtout, a été un véritable coup de pied dans la fourmilière, où la commission et la Cour suprême en ont pris pour leur grade.
Quelle sera la portée de ce jugement ?
Il y a beaucoup de leçons à en retenir. L’une des plus importantes est la façon dont les institutions mauriciennes fonctionnent. Ici, à Maurice, on ne sait pas ce que veut dire le terme Duty of Candour.
Plusieurs institutions ne donnent pas les raisons de leurs décisions, au détriment du citoyen mauricien, ce que j’ai constaté par moi-même comme conseiller municipal. Il y a beaucoup de choses que l’on doit remettre en question. 56 ans après l’indépendance, il faut que ce soient les Law Lords qui viennent nous apprendre cela.
Qu’avez-vous à dire sur la commission elle-même ?
Avant tout, je dois dire que je n’éprouve aucune haine ou amertume envers personne. En 2018, le pouvoir avait besoin d’éliminer certaines personnes, dont Sanjeev Teeluckdharry ou encore Roubina Jadoo-Jaunbocus.
La commission a été un outil politique. Beaucoup de choses se sont passées devant cette commission, où des personnes contre qui on avait formulé des allégations graves n’ont jamais été inquiétées. Des allégations avaient ainsi été formulées contre le Premier ministre lui-même, mais la commission ne l’avait jamais convoqué.
A contrario, il y a un paragraphe dans les findings de la Commission où il est fait mention de Black sheep en ce qui concerne des membres de la profession légale, et les noms de 13 avocats avaient été jetés en pâture.
Des allégations avaient été formulées contre moi, et j’avais donné ma version des faits à la Major Crime investigation Team (MCIT), qui n’avait pas donné suite à l’affaire. Néanmoins, la commission m’avait convoqué, pour des raisons connues d’elle seule.
J’ai un regret particulier pour Rex Stephen, qui avait été lui aussi nommé dans le rapport. Il voulait absolument aller devant le Privy Council, et il voulait absolument que ce soit moi qui plaide son affaire devant les Law Lords. Toutefois, le Leave to Appeal lui avait été refusé et il est mort peu après. De tous les avocats nommés par la commission, moi seul ai pu aller devant le Privy Council.
Quel doit être l’avenir du rapport Lam Shang Leen ?
Le rapport doit être remis en question dans son intégralité, vu les questions qui ont été soulevées par le Privy Council lui-même. Toutefois, je voudrais faire ressortir que la drogue reste un problème majeur dans le pays.
Le Privy Council a mentionné votre handicap et le manque de soutien de la commission durant votre déposition. Quels problèmes rencontrez-vous comme avocat malvoyant lors de vos apparitions devant les tribunaux mauriciens ?
Maurice a ratifié la Convention des Nations Unies en ce qui concerne la situation des personnes en situation de handicap. Il reste hélas beaucoup à faire pour ces derniers dans le pays, et cela concerne aussi les tribunaux mauriciens, qui devraient faire beaucoup plus pour leur améliorer l’accès.