Le Bazar de Port-Louis entre Covid-19 et mercuriale affolante

Le Marché central de Port-Louis reflète bien le métissage de l’île avec son omniprésent folklore. Entre une explosion de couleurs d’épices et des arômes de divers autres produits dont le fameux alouda chez Pillay ou le dile kaye fait maison de chez Yussuf Kherdali. Malgré la fluctuation des prix qui pèsent dans le panier de la ménagère, le bazar n’en reste pas moins l’âme de Port-Louis avec son cachet architectural et ses cris de maraîchers qui redonnent des couleurs à tous ces visages masqués imposés par le Covid. Balade comme au temps des jours heureux même si à l’horizon de gros nuages s’amoncellent…

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Vieux de 200 ans, le Marché central de Port-Louis, situé rue La Reine est ouvert tous les jours, et garde sa fi ère allure. Construit sous l’occupation française dans de la pierre taillée, ce lieu se veut convivial et permet des rencontres entre plusieurs générations. Diffi cile de se perdre dans ses allées qui mènent du Food Court aux étals des marchands de boulettes, de fruits, de légumes, d’épices et d’objets artisanaux. Le prix des pommes d’amour, servies à toutes les sauces et en chutney, est quasi-inabordable sans parler des oignons indispensables pour le goût et dont on apprend que chaque Mauricien consomme une moyenne de 8,5 kg par année. Le bazar est aussi réputé pour ses brèdes, ses choux, ses dholl puris, ses boulettes, ses fruits frais dont l’ananas et le melon d’eau qui sont prisés en cette période estivale. Flâner dans les allées du marché central de Port- Louis, c’est comme partir à la découverte de tous les plats que renferme notre île. Hélas, la pandémie de Covid-19 est venue bouleverser le quotidien des Mauriciens.

« Marsan pa ankor rant dan lavant legim fini vande »

Les maraîchers ne sont pas avares de commentaires. « Media prezan kan pri legim trouv zot. » Roshan, un autre maraîcher habitué à vendre des carottes, chouchous et calebasses n’a pas grandchose sur son étal. Raison évoquée, le prix dérisoire des légumes. Il dit accepter qu’en temps de grosses pluies, les prix des légumes augmentent. Mais pour lui, le plus gros problème vient de la vente à l’encan qui démarre à 2h du matin. « Marsan pa ankor rant dan lavant legim fi ni vande. Aster ek revander ki nou bizin aste, nou marsan ki pey konsekans. Minisipalite bizin fer lankan ek marse santreal mars ansam », confi e-t-il. Autrefois, la vente à l’encan à Camp-Yoloff des légumes se faisait sur trois jours, étendue à présent sur six jours.

Roshan déplore cette tactique qui, dit-il, n’est pas profitable aux maraîchers du marché qui doivent se réveiller à 2h du matin, mettant leur vie et leur santé à risque. « Il faut maintenir sur trois jours, la vente à l’encan, pas six. Comment vendre si on n’a pas de légumes, et, nous avons une famille à nourrir ? Il faut que la municipalité ne mette pas de pression sur nous et les inspecteurs. On respecte le protocole sanitaire : port du masque, des gants, sanitizer. La vente à l’encan ne profi te pas à tous les maraîchers, qui souvent ressortent bredouilles. La vente à l’encan, c’est crier, aste vande. Aste pri rezerve pou tel sipermarse, ypermarse, marsan pa gagn nanyen. Il faut revoir le mode de vente à l’encan pour contrer les effets de la fl uctuation des prix », dénonce-t-il. Poursuivant, Roshan dira qu’il n’y a pas que les intempéries qui sont la cause de la cherté des prix de légumes. « Le gouvernement aurait dû revoir la situation des planteurs. Plus il y a des planteurs, plus on peut fournir la population en légumes, à prix moins coûteux », concède-t-il. Lui-même, comme maraîcher, trouve exagéré les prix des légumes affi chés au marché. « Les marchands aussi sont déstabilisés par la cherté des légumes, mais il faut aller au coeur du problème et non émettre des critiques sans solution. Nous souhaitons voir revivre le marché, avec le sentiment de faire notre travail tout en aidant les consommateurs », dit-il.

« Sipermarse kan pri monte, li res monte » Shalinee, qui opère un étal au marché de Port- Louis depuis une douzaine d’années, déplore la cherté des légumes. « Sipermarse kan enn pri monte, li res monte. Dan bazar, pri monte dan de semenn, li bese. System la ki insi. Les gens ont besoin de se nourrir et, nous les maraîchers, avons eu des soucis avec le Covid pendant le confi nement où il y a eu des pertes énormes avec la fermeture du bazar », dit-elle. Ashish, un autre maraîcher, vend des oignons, de l’ail, du gingembre aux prix fi xés. Pour lui, les produits qui sortent d’Europe, « pa das la min morisien, gouvernman ki fi x pri. » Par contre, pour les légumes, il reconnaît que tout dépend du climat, expliquant que pour gagner leur vie, les maraîchers doivent trase.

Il dit ne pas comprendre pourquoi la porte centrale du marché reste fermée, certains mettant cela sur le compte sanitaire. « Zot dir akoz kovid, me bazar ouver, bizin ouver, main door osi. La municipalité évoque les consignes du ministère de la Santé. Si on ouvrait cette porte, le commerce aurait mieux marché. On n’a que 35% de travail, et, avec les prix en hausse, le travail subit des contraintes. Nous travaillons essentiellement avec le ministère, nos prix sont fi xés, il n’y a pas vraiment de marge de profit pour nous. »

Joseph Naidoo est spécialisé dans les boulettes, mines et autres produits. Cela fait 30 ans qu’il est dans ce business mais reconnaît que la vie au Bazar de Port-Louis est devenue contraignante avec le Covid. Chez Jo boulette, son étal, il parle surtout de sa passion du métier, d’avoir gagné en maturité au fi l des ans, et qu’il lui reste encore six ans de métier avant la retraite. Après sa dose de rappel contre le Covid, il s’accommode et note qu’après 2019, avec l’annonce de la pandémie, plusieurs marchands ont dû revoir leur stratégie de travail.

Chute du travail artisanal de 80%

Du côté de l’artisanat, Teddy dira que le travail a chuté de 80% et qu’il y a eu une timide reprise autour des 20% cette année. « Marsan travay pou kouver fre », laisse-t-il entendre. Il éprouve des diffi cultés face à cette situation. Teddy s’est spécialisé dans la vente de paréos, t-shirts, produits artisanaux. Le message qu’il veut faire passer est que le marché doit pouvoir attirer plus de clientèle.

Désignant un escalator tombé en panne avant le Covid, il déplore la lenteur des autorités à le remettre en marche. « Un touriste, quand il voit un escalator en panne, passe son chemin. Il n’y a qu’à voir le peu de monde qui déambule au marché. Avant il y avait beaucoup de touristes, toutes les portes du marché étaient ouvertes. Avec la fermeture du “main door”, certains étrangers oublient qu’il y a tout un pan de l’histoire du marché ici », regrette-t-il.

Révolu ce temps où le Bazar offrait une poussée d’adrénaline aux Mauriciens, amateurs de courses hippiques, aux promeneurs et aux touristes de passage qui n’hésitaient pas à se rafraîchir autour d’un bon alouda glacé ou un dholl puri relevé d’une bonne rougaille de pomme d’amour. Le Covid a changé le décor, distanciation sociale, port du masque oblige. C’estunensembledechoses qui achalande une boutique : le sourire du commerçant, la qualité… Aujourd’hui, c’est derrière un masque que les courses au marché se font… On ne palpe plus les fruits et légumes, on se contente de les parcourir du regard et parfois de continuer sa route sans faire d’achat face au prix exorbitant. Des marchands gardent encore un sourire convivial et invitent les clients à s’approcher de leurs étals. Cette complicité, on la sent chez Gassen Souvenir Boutik présent depuis neuf ans. On y trouve des bijoux faits en corail, des coquillages, des statuettes, du coco travaillé, bref une variété de produits artisanaux mettant en relief le savoir-faire Mauricien. Le jeune marchand se dit ravi de la réaction des clients avec l’ouverture des frontières. « Nou bizin bes pri pou rekiper nou retar lor lavent », lâche-t-il.

Certains de ces articles sont fabriqués localement, d’autres importés, mais chez Gassen Souvenir Boutik, il existe une compétition amicale. « On est en bons termes avec les autres marchands d’autres étals. On doit tous gagner notre vie, autant le faire dans cet élan de solidarité. » Il explique que les maraîchers ont plus de mal à écouler les légumes avec les prix qui prennent l’ascenseur, mais que dans sa boutique, les coquillages, porteclés représentant Chamarel, la Terre des Sept Couleurs, les fleurs, les “magnets”, tout ce qui peut être mis en valise pour être offert en cadeau ont la cote. Plus loin, on ne peut louper l’étal de Prem à la matricule 157.

Cela fait 57 ans que Prem vend des balais coco, balais fatak du Sri Lanka avec une durée qui plaît beaucoup aux consommateurs. À l’âge de 12 ans, il a découvert cette activité et il est toujours là aujourd’hui. « J’ai vu défiler plusieurs générations de marchands. La vie dans le bazar était différente avec plein de touristes et la vente se passait plutôt bien. Avec le Covid qui m’a poussé à me faire vacciner, il y a des hauts et des bas du métier, mais je reste fi dèle à mon poste en continuant d’ouvrir de 7h30 à 17h.

Mon fils a choisi de faire des études universitaires, il n’y aura point de relève assurée », se désole-t-il tout en se consolant que malgré son âge, il tienne toujours la route. Ce qui le fait tenir : « Le respect mutuel entre mon client et moi. Et avoir de quoi mettre dans la marmite à mon retour. » Un bon alouda glacé On ne pourrait faire l’impasse sur le fameux alouda Pillay. Le bon alouda glacé proposé a grandement contribué au succès du stand 3940 depuis huit ans.

« Alouda madam, alouda misie, bwar fre. » Diffi cile de ne pas se laisser emporter par ses cris stridents qui sonnent comme un rappel à la détente. Anjalee Pillay est aux commandes, elle tient la caisse et en un rien, le marchand à ses côtés s’exécute face aux clients qui patientent. La rapidité avec laquelle le breuvage lacté est versé dans les verres relevés par une boule de glace et de mousse fait sensation. À la base, l’alouda ne comprenait que des graines de basilic et de colorant alimentaire avant que le beaupère Kadressa n’y ajoute du lait frais. D’où la conception du fameux Alouda Pillay. Un autre étal retient aussi notre attention à la sortie du marché central, celui de Mohammud Yussuf Kherdali âgé de 75 ans. Depuis son jeune âge, il a appris la technique du lait caillé et ses clients s’empressent pour en commander. On ne peut s’arrêter de regarder ces boissons faites à base du “toukmaria”, ces petites graines noires qui, plongées dans l’eau, gonfl ent et s’enrobent d’une couleur d’un blanc cotonneux. La boisson se consomme très froid avec différentes déclinaisons de saveurs. Le Covid ayant perturbé également son business, Yussuf Kherdali n’a pas pour autant baissé les bras. Ce qui rend aussi spécial le marché demeure l’habitude de certains de s’attarder au guichet de loterie pour taquiner Dame Chance. Qui sait?

 

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