L’école à distance : La précarité, un handicap ou pas…

Sans télévision, Anaïs, qui a été un sans abri, prépare son entrée en Grade 7 au LCPL, grâce à son portable

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Depuis lundi dernier, les cours à distance, à la télévision, ont donné le ton à la reprise des choses sérieuses pour les élèves de Grade 1 à 9, en attendant leur retour à l’école le 5 juillet. Selena, 12 ans, n’a pas de télévision. Mais cette jeune fille qui, en 2020, a vécu sous une tente dans une école et qui vit maintenant dans un foyer, n’en fait pas un handicap à son éducation. Pour la deuxième fois, elle suit ses cours sur le portable que lui a offert sa mère. Anaïs, qui a décroché une place en Grade 7 au collège de Lorette de Port-Louis (LCPL), veut faire son entrée en secondaire, bien préparée. Dans leur maison en tôle où le plafond laisse entrevoir le ciel, Nella, 8 ans,  et son frère, Jason, 7 ans, ne peuvent suivre les cours. La télé est tombée en panne. Leur mère, inscrite sur le registre social est néanmoins bénéficiaire d’internet à haut débit.

Il est un peu plus de 14 h. Les cours à la télévision pour les élèves en Grade 7 viennent de prendre fin. Anaïs (nom modifié), 12 ans, fait une pause pour se changer les idées avant de revoir ses notes vers 15 h. Elle n’a ni changé de chaîne ni éteint la télévision. Elle n’en a pas. Là où elle vit, au Foyer Fiat, à Petite-Rivière, Selena n’a pas accès à la télévision. C’est sur son téléphone, un cadeau de sa mère, employée dans une compagnie de nettoyage, en décembre dernier que l’adolescente assiste aux cours à distance. Il faut dire qu’Anaïs a mérité ce cadeau. Son histoire est loin d’être simple pour un enfant de son âge… Et malgré les aléas de sa jeune vie, Anaïs est une battante pour qui l’école tient une place importante. Pour ne pas rater les cours, d’autant qu’elle a décroché une place méritante au collège Lorette de Port-Louis, elle se rabat sur son portable.

Elle a regardé la télé il y a un an

La dernière fois qu’Anaïs a regardé la télévision remonte à un an. “J’habitais chez ma grand-mère. Il y avait une télé chez elle”, raconte l’adolescente. En mai 2020, avec sa mère et son jeune frère, la jeune fille se retrouve sous une tente à Pointe-aux-Sables, aux côtés de plusieurs familles qui se sont installées illégalement sur un terrain appartenant à l’Etat. Lasses des démarches administratives, interminables, ces familles en situation de précarité liée au logement n’avaient pas attendu le déconfinement pour ériger des abris temporaires. Anaïs est alors en Grade 6 et se prépare pour concourir au Primary School Achievement Certificate. Après deux jours sous des bâches, elle ira vivre avec les siens à l’école Henri-Souchon, à Tranquebar, pendant quelques mois avant d’atterrir au Foyer Fiat. La scolarité d’Anaïs n’a jamais été interrompue pendant ces épreuves. De plus, peu après les examens de PSAC, elle apprend le décès de son père dans des circonstances tragiques. Anaïs, nous confie sa mère, a tout au long de ces moments difficiles fait preuve de résilience.

“Les cours sur portables plus pratiques”

Comme pendant la période des révisions pour le PSAC d’avril dernier, le téléphone lui sert à nouveau de support alternatif à la télévision, voire un ordinateur ou une tablette. Les cours diffusés quotidiennement sur les différentes chaînes de la MBC, sont accessibles sur le téléphone à partir d’une application.“Je suis habituée maintenant. Je trouve même que c’est plus pratique de suivre les cours sur le téléphone qu’à la télévision, parce que je peux faire des captures d’écran à chaque fois que je le souhaite. Et plus tard revenir sur ces captures d’écran pour prendre mes notes, faire mes devoirs et réviser. Le niveau des matières est différent en Grade 7”, explique Anaïs.

C’est dans le salon du Foyer Fiat où elle dit trouver la tranquillité nécessaire pour étudier qu’elle suit ses cours et fait ses devoirs jusqu’à 20 h. “Pour le moment, je m’en sors. Je trouve que les explications des enseignants sont compréhensibles”, dit la jeune fille. C’est avec impatience, dit-elle encore, qu’elle attend la rentrée du 5 juillet. “Mon nouvel uniforme est déjà prêt. Même si je n’irai à l’école que deux fois par semaine, je préfère y être que de suivre les cours à distance”, concède-t-elle. Dans un peu plus d’une semaine, Anaïs déménagera avec sa mère. Les démarches de cette dernière auprès de la National Housing Development Company avec l’aide de la plateforme citoyenne, Drwa a enn Lakaz, ont abouti.

“So lizie pa fer mal pou get fim!”

“J’ai vu notre nouvelle maison. Elle est jolie. J’ai aussi vu la chambre que je partagerai avec mon petit frère et l’endroit où ma mère fera installer notre télé”, confie Anaïs. La télévision ne lui a pas manqué non plus. C’est toujours sur son téléphone qu’elle regarde ses séries préférées dont les telenovelas et des vidéos des youtubers qu’elle suit.

Dans ce petit quartier du littoral considéré comme une poche de pauvreté où les habitations précaires n’ont pas d’eau courante et où la connexion à l’électricité se partage, la télévision est néanmoins présente dans la quasi-totalité des foyers. Ceux-ci ont aussi la connexion Wifi. Les familles qui sont inscrites sur le Social Register of Mauritius (SRM) sont bénéficiaires d’internet à haut débit. Toutefois, malgré ces facilités, on nous confie que la plupart des enfants ne regardent pas les cours  à la télé. “Ena lakaz pena sa bann senn MBC. Zot ena kanal (ndlr: chaînes satellitaires). Bann zenfan zot pa kapav swiv. Zot dir ki bann profeser-la explik tro vit”, affirme Vanessa (nom modifié), 35 ans. Elle est la mère de deux enfants scolarisés. Nella (nom modifié) a 8 ans, elle sera en Grade 3 à la prochaine rentrée scolaire. Son frère, Jason (nom modifié, 7 ans) passera lui en Grade 2. La jeune femme et ses deux enfants vivent dans une pièce en tôle. “Kan mo get plafon mo trouv lesiel”, dit-elle, sans plaisanter. Contrairement à son voisinage, Vanessa ne dispose pas de télévision. L’appareil est tombé en panne depuis quelques mois. “Et sa télécommande ne marche plus”, précise Vanessa. Depuis lundi dernier, ses enfants suivent les cours à distances “kot madam ki vey zot”. Vanessa qui élève ses deux enfants seule depuis sa séparation d’avec leur père a trouvé du travail sur un chantier de construction non loin de chez elle. Quand elle les dépose chez sa voisine chaque matin avant de se rendre au travail, elle espère que ses enfants se mettentsagement devant l’écran chaque matin, prennent des notes et ramènent des devoirs à la maison. Mais une semaine après le lancement des cours, il n’en est rien! “Mo garson dir ki li pa konpran. Mo tann dir li tourn so ledo ar televizion. Li al zwe”, se désole la jeune femme.

“Mo pa konn lir, mo fer sanblan konpran”

Quant à Nella, elle ne fera pas plus d’effort que son frère. “Li dir mwa ki so lizie fer mal. Selman lizie-la pa fer mal ditou pou li get so ban seri, so bann fim!” s’exclame Vanessa. Grâce à l’accès à internet dont elle dispose en tant que bénéficiaire, elle aurait pu rattraper les cours sur une application conçue pour cela. Elle n’y a pas pensé!

Parce que Vanessa doit travailler tous les jours pour subvenir à leurs besoins, elle n’a pas la possibilité, dit-elle, de s’occuper de l’éducation de ses enfants avant la rentrée des classes. Elle en parlera, affirme-t-elle, à leur enseignant respectif le 5 juillet prochain.  Que son fils n’arrive pas à suivre les cours à la télévision ne l’étonne pas. L’enfant, explique-t-elle, est hyperactif. “Je crois qu’il a subi un choc après le départ de son père. Il était devenu somnambule et criait dans son sommeil. à l’hôpital, il est suivi par un pédiatre, un psychologue et un psychiatre. Tous les soirs, il prend un médicament qui l’apaise pour qu’il puisse dormir tranquillement”, confie Vanessa. Quand ses enfants reprendront le chemin de l’école, elle recommencera à vérifier leurs cahiers, dit-elle, comme une promesse qu’elle se fait: “Mem si mwa mo pa konn lir, mo fer sanblan mo konpran se ki’nn ékrir dan zot kaye. Mo pa les zot kone ki mo pa konpran. Mo trouve ki zot resi fer zot devwar dan lekol parski mo trouv zot Miss met right dan zot kaye.”

Horaires des programmes éducatifs

Les programmes éducatifs pour les élèves des Grades 1 à 9 sont diffusés sur les chaînes de la MBC depuis lundi dernier et peuvent être suivis en ligne en téléchargeant mbc play. Les élèves qui sont en Grades 1, 2 et 7 peuvent suivre les cours tous les jours à partir de 9 h sur la chaîne 8  et ce jusqu’à 14 h. Sur la chaîne 2 pour ceux en Grades 3 et 4, de 8 h à 12h30. Sur la chaîne 3 pour les Grades 5 et 8, de 9 h à 14 h. Et sur la Senn Kreol pour les Grades 6 et 9, de 9 h à 14 h.

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