LUTCHMEENARAIDOO À RODRIGUES : Priorité à la lutte contre les poches de pauvreté

Le ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo, qui est en mission à Rodrigues depuis hier, se propose d’insuffler un nouvel élan à la lutte contre les poches de pauvreté dans l’île. En prélude à la mise en place de ce programme d’encadrement en vue d’éliminer la pauvreté, deux villages, soit Terre-Rouge et Grand La Fouche Mangues, ont été identifiés en raison de l’état d’extrême précarité qui y prévaut. Lors d’une visite des lieux aujourd’hui, des indications seront annoncées officiellement avec très probablement le groupe hôtelier Le Tecoma de la famille Jhuboo montrant la voie en accompagnant les villageois hors des sentiers de la pauvreté avec une formule de parrainage. A son arrivée, hier soir à Rodrigues, le ministre a annoncé un plan Marshall pour lutter contre la pauvreté à Maurice et à Rodrigues.
Le ministre des Finances, qui est également accompagné du secrétaire financier, Dev Manraj, de l’adjoint au secrétaire financier, Patrick Yip, du directeur général de la Mauritius Ports Authority, Shekar Suntah, aura également des séances de travail avec le chef commissaire de l’Assemblée régionale de Rodrigues, Serge Clair, de même que d’autres commissaires et de l’Acting Island Chief Executive, Sanjay Sooprayen, avec à l’agenda la mise à exécution des projets de développement dans l’île.
 Outre la visite dans les deux Poverty Regions identifiées du jour, le Grand Argentier visitera les facilités portuaires à Port-Mathurin, le New Fishing Port à Pointe à l’Herbe et le projet de route à Le Chou. Une rencontre avec le conseil exécutif de l’Assemblée régionale de Rodrigues est annoncée pour demain, alors que la mission ministérielle rentrera à Maurice mardi.
 En marge de cette visite, Week-End s’est rendu en fin de semaine sur les lieux pour un constat. D’abord à Terre-Rouge, village à deux visages. Situé au nord de Rodrigues à mi-chemin entre Anse-aux-Anglais et Morrico, Terre-Rouge est d’un contraste dérangeant. Et c’est frappant non pas seulement dans l’imaginaire des Rodriguais, mais surtout dans le concret du quotidien. D’ailleurs, l’on parle de Terre-Rouge A et de Terre-Rouge B comme pour faire la différence de classes.
 Ce n’est pas Joad qui contredira quoi que ce soit sur ce point. « Dan Terre-Rouge A bann dimounn éna l’argent. Kapav mem dire boukou. Dan Terre-Rouge B, nek éna tou bann dimounn mizer ». La région de Terre-Rouge A, avec ses constructions résidentielles de luxe surplombant la côte  d’Anse-aux-Anglais à Caverne-Provert, est l’endroit de prédilection où s’est installée l’élite de Rodrigues.
 Ce n’est nullement un hasard que l’ancien ministre de la Pêche et leader du Mouvement Rodriguais, Nicolas Von Mally, y a posé ses valises depuis des années déjà. Le voisinage comprend les familles des commerçants, des hauts cadres de l’administration publique et autres fonctionnaires. Ce développement socio-économique a décollé au cours de ces quinze dernières années.
 Juste à côté, et à moins d’un jet de pierre, Terre-Rouge B est restée en panne de développement avec sa communauté de pêcheurs, d’agriculteurs, d’éleveurs et d’ouvriers de la construction. Les piqueuses d’ourites sont également bien représentées à cet endroit. Une région de laissés-pour-compte de Rodrigues qui se cherche encore. Sur le plan des infrastructures, la différence saute aux yeux entre ces deux agglomérations adjacentes.
Les enfants, premières victimes
 Terre-Rouge B est parsemée de maisonnettes construites sous le programme du Trust Fund et communément appelées maison Bella en bordure de la route reliant Terre Rouge à Citronnelle. Cette route, qui a été asphaltée l’année dernière, se présente sous des airs de bon enfant pendant la traversée de Terre-Rouge A. Presque personne sur la route.
 Par contre, dès l’entrée de Terre-Rouuge B, l’ambiance est différente. Des enfants, laissés à eux-mêmes, s’adonnent à des jeux, comme pour se distraire et regarder passer le temps, faute de mieux, en bordure de route, avec des groupes d’adultes consommant des boissons alcoolisées. Au sein de ces foyers en difficulté, les enfants sont les premières victimes. Soit ils ne connaissent pas leur père comme ce gamin, qui lâche sans crier gare « misyé, mo péna papa mwa » ou encore les autres qui regrettent amèrement et innocemment la mésentente, la désunion et l’animosité entre leurs parents. Quand ils ne jouent avec leurs voisins, ils vont à la mer pour pêcher. « Enn ti kari pou lakaz », avouent-ils en toute candeur.
 L’abus d’alcool constitue un véritable poison pour cette frange de la société à Rodrigues. Une échappatoire face à la désillusion du quotidien. Ils sont conscients de cette dérive, comme cet homme qui confie : « Zordi finn gagn enn ti la paye travay netoyé dan l’environema. La nou pou bwat enn ti grog ansam. Lerla aswar nou pou al lakaz. »
 Toutefois, la satisfaction demeure que l’équipe de football de Terre-Rouge B évolue en division II, alors l’équipe féminine dispute la compétition en première division. Sur le plan des facilités socio-économiques, ce village de 600 personnes est doté d’un centre de femmes, d’un collège, dont la construction vient de prendre fin, et d’une école primaire.
 Plus à l’ouest, entre les village de Mangue et de La Ferme, se trouve Grand La Fouche Mangues, avec ses 75 familles. Un track road relie ce petit village à la route principale. Et tout étranger qui emprunte cette voie quasi abandonnée est repéré sur le champ car elle n’est qu’un cul-de-sac. « Kot ou pé alé misyé ? Péna simé ankor la », lance à haute voix un habitant, comme pour faire comprendre que tout visiteur doit se signaler.
 Cette réaction se comprend du fait que dans ce village règne une véritable amertume. Pour cause, les habitants et le président du village ne sont pas sur la même longueur d’onde. Le premier reproche est que le président, qui est également membre du comité exécutif du Rodrigues Council of Social Service, n’est pas des leurs.
 Les villageois sont unanimes à dénoncer le sentiment d’abandon qu’ils ressentent devant l’attitude du président. Jean-Marc Legentil est catégorique. « Sa prézidan-la li finn faiferre éleksion dan vilaz, nou pa koné. Isi nou gagn délo enn fwa par mwa et la nou bizin al cherche délo sal dan enn lasours kot éna boukou pollution. Prézidan-la finn ramas larzan avek nou. Li dir pou donn bassin mé ziska zordi pa finn gagn bassin ».
 La contestation du président est visible. Les habitants se plaignent de son inaction et énumèrent les problèmes, dont l’absence de logement ou encore la mise à exécution des projets en vue d’encadrer la population d’éleveurs et d’agriculteurs.
 Pauline Collet ajoute : « Misyé, isi nou ramas boukou mizer. Dépi finn ranz sa lakaz Trust Fund-la, mo ankor pé atann materyo. Pé bizin bouss laport ek tol. Mo kwi mo manzé anba dé ti-bout fey tol. Éna politisien finn vini finn promet nou boukou zafer. Zot vinn tir foto zot alé apré pa trouv zot. Zis éleksion ki zot vini. »
 Le projet d’accompagnement dans la lutte contre la pauvreté envisagé par le ministre des Finances avec la collaboration du groupe hôtelier Tecoma est perçu comme la lumière au bout du tunnel de la misère noire de ces laissés-pour-compte du train de développement.
 
 
 

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