Lutte contre le cancer – la Pr Dr Véronique Orian-Rousseau : Une chercheuse mauricienne qui brille en Allemagne 

« Ma recherche se concentre sur une molécule qui s’appelle CD44... Elle a un rôle extrêmement important dans différents types de cancers »

Nous avons célébré, vendredi, la Journée mondiale des femmes et filles en science. Une journée pour reconnaître le talent et l’apport de ces femmes scientifiques brillantes qui n’ont rien à envier à leurs homologues masculins. C’est le cas de la Professeure Véronique Orian-Rousseau, docteure en biologie moléculaire et cellulaire, directeure adjointe d’un institut de recherche (Institute of Biological and Chemical Systems- Functional Molecular Systems (IBCS-FMS)) au sein d’une des plus prestigieuses universités d’Allemagne, le Karlsruhe Institute of Technology (KIT), et elle est Mauricienne ! Également cheffe d’une équipe de recherche au sein de l’IBCS-FMS, elle a trouvé le moyen de bloquer l’activité de récepteurs qui induisent la prolifération et la migration des cellules cancéreuses. Elle vient d’être classée parmi les 2% de chercheurs les plus cités au monde dans la base de données créée à cet effet par leurs pairs, Ioannidis JPA, Baas J, Klavans R, et Boyack KW, de l´Université de Stanford. Rencontre.

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C’est via Zoom que s’est tenu l’entretien. Tout sourire, assise à son bureau en Allemagne devant un tableau rempli de schémas, Véronique Orian-Rousseau nous reçoit. Derrière elle, une photo de son père, Dr Alfred Orian, décédé en 2015, entomologiste et botaniste mauricien de renom, et un drapeau mauricien. La professeure vient d’être classée 62 724e sur la liste des 190 063 meilleurs scientifiques au monde, qui représentent 2% de près de 8 millions scientifiques du monde. Elle vient aussi de publier un papier scientifique sur la leucémie dans le meilleur journal d’hématologie au monde, Blood. Et pourtant, elle continue de passer ses journées à faire des recherches dans son laboratoire flambant neuf, à encadrer les étudiants, à écrire des demandes de financement pour ses recherches et à s’occuper de sa famille.

D’ailleurs, la famille tient une place importante pour Véronique Orian-Rousseau, qui est née dans une famille de scientifiques, avec un père entomologiste et agronome, et un grand-père phytopathologiste, une mère Monique Orian, enseignante en biologie. Ce n’était donc pas le fruit du hasard que la jeune femme, il y a 30 ans, ait décidé d’étudier la biophysicochimie à l’université de Strasbourg. « J’ai fait mes études au Lycée La Bourdonnais et j’ai bénéficié d’une bourse de mérite de la France, avec d’autres élèves. Mais bourse on pas, j’aurais étudié après, que ce soit en France ou en Australie », dit-elle. Elle commence alors des études en biophysicochimie, puis complète son doctorat en biologie moléculaire et cellulaire à l’Université de Strasbourg en France et postdoctorat en Allemagne à l’institut de technologie de Karslruhe (KIT), et « ils m’ont offert un poste permanent en tant que chercheur », dit-elle.

« Ce n’est pas le cursus habituel, mais j’ai eu de la chance », concède Véronique Orian-Rousseau. La jeune scientifique devient ensuite Group Leader à la tête d’une équipe d’une dizaine de chercheurs et obtient le titre de professeure en génétique au KIT en 2015. « Je travaille sur le cancer depuis toujours, notamment sur le cancer du pancréas, du colon, et sur la leucémie aussi », dit-elle. La Mauricienne a ainsi passé plus de 20 ans à travailler avec des chercheurs et des médecins, dont un gastro-entérologue qui passe son temps entre le Chili et l’Allemagne, pour tenter de trouver un « inhibiteur » des cellules du cancer du système digestif, mais aussi du sang.

De gauche à droite : le groupe de recherche composé de Lisa Geiges, Sven Treffert, Dr. Leonel Munoz-Sagredo, Dominique Hoch, Steffen Sonnentag, Dr Romina Walter, Lisa-Marie Mehner, Dr Yvonne Heneka, Dr Thomas Loustau, Prof. Véronique Orian-Rousseau, Karolin Streule, Philipp Haitz.

« Ma recherche se concentre sur une molécule qui s’appelle CD44 et qui est exprimée à la surface des cellules. Elle a un rôle extrêmement important dans différents types de cancers. Nous avons donc disséqué les mécanismes moléculaires dans lesquels CD44 est impliquée, et nous avons identifié un inhibiteur de cette molécule. » Elle poursuit : « Nous faisons de la recherche sur une protéine qui exerce un rôle crucial dans le cancer. Nous avons découvert qu’elle communique avec d’autres récepteurs à la surface des cellules et qu’elle dirige l’activité de ces récepteurs. Donc, en bloquant cette protéine, nous pouvons bloquer d’autres récepteurs ayant aussi un rôle important dans le cancer. En fait, nous bloquons l’activité de récepteurs qui induisent la prolifération et la migration des cellules. »

« La phase clinique est terminée en Europe »

Elle nous précise que, d’ailleurs, une start-up qui s’appelle Amcure a été créée par elle et d’autres collègues autour de cette découverte. Cette start-up va certainement être vendue, « mais on ne sait pas encore quand et comment », dit-elle. Une consécration pour Véronique Orian-Rousseau, car cette découverte a attiré les investissements. « Notre inhibiteur est en phase clinique et a donc été donné à des patients », explique-t-elle. Et ajoute que « la phase clinique est terminée en Europe, mais il y a une phase clinique qui commence en Chine cette année et donc la start-up est en phase de sortie », dit-elle. Outre d’être une spécialiste des molécules, Veronique Orian-Rousseau est aussi douée en langues, car en plus de parler français, elle parle aussi anglais et allemand. Passionnée par la recherche, elle nous confie que pour elle, l’identification de l’inhibiteur est le fruit de plusieurs années de travail et que « même si pour ma mère tout cela paraît extraordinaire, pour moi, c’est quelque chose de normal que j’ai toujours eu envie de faire », dit-elle en toute humilité.

« Nous avons par exemple testé notre inhibiteur sur la souris et là, nous sommes arrivés à bloquer le développement du cancer du pancréas. Grâce à ce traitement, les tumeurs sont beaucoup plus petites et les métastases sont éliminées. Cela dit, les expériences faites sur les souris ne peuvent pas toujours être transposées à l’homme, mais c’est une indication qu’il y a un espoir que ça marche sur l’homme. »

Elle explique également qu’elle est très fière que ce projet ait pu atteindre la phase clinique, car « c’est très difficile d’arriver à une phase clinique. Ce n’est pas facile de faire ce qu’on appelle from bench to bedside. Ce thème fait partie d’un cours que je donne à l’université de Heidelberg et qui explique comment passer des expériences à la paillasse aux patients. »

Elizabeth Georges-Labouesse, scientifique d’origine mauricienne

En effet, Véronique Orian-Rousseau, malgré son parcours académique et professionnel des plus honorables, garde les pieds sur terre et n’en tire aucune prétention. « Il y a plein de Mauriciens qui réussissent et il est vrai que la science attire beaucoup l’attention, car c’est l’inconnu et ça a peut-être plus de prestige, mais en même temps, beaucoup d’autres Mauriciens ayant fait des études dans d’autres domaines ont très bien réussi », nous dit-elle. De plus, Véronique Orian-Rousseau met un point d’honneur à accompagner ses étudiants et à les conseiller au maximum. « Dans mon groupe de recherche, j’ai cinq thésards, deux étudiants en master, j’ai deux post-doc et  trois techniciens », dit-elle. D’ailleurs, elle nous confie qu’elle a eu le plaisir d’encadrer une Mauricienne, Mary, qui a passé sa thèse en décembre. « J’étais extrêmement contente d’avoir une Mauricienne dans mon équipe, car il est vrai que dans la recherche scientifique, surtout en biologie, je n’ ai pas rencontré beaucoup d’étudiants mauriciens. »

Elle nous confie qu’elle a aussi rencontré, il y a vingt ans, une scientifique mauricienne à l’université de Strasbourg et qui était dans le jury de sa thèse de doctorat. « Il y avait une Mauricienne, très connue scientifiquement, qui était dans le jury de ma thèse, Elizabeth Georges-Labouesse, et qui publiait des papiers dans des journaux scientifiques de grand renom », se souvient-elle. À l’époque, Véronique Oiran-Rousseau, jeune étudiante, était fière de reconnaître parmi ces éminents chercheurs une compatriote, et qui plus est, une femme. « Au niveau du doctorat, en biologie, il y a 50% (voire plus) de femmes ; par contre, cela diminue après et dans les postes les plus élevés, cela diminue énormément et c’est un problème auquel le KIT s’attelle et le centre de recherche insiste beaucoup pour recruter des femmes professeures. Je suis responsable de l’égalité des chances à la faculté de chimie/biologie au KIT, et je dois veiller au bon déroulement des recrutements », dit-elle.

Elle espère ainsi qu’à Maurice, les facultés de science se développent davantage et que surtout, les jeunes s’y intéressent plus, notamment au travers de journées portes ouvertes et de rencontres entre professeurs d’université et d’écoliers, comme cela se fait couramment en Europe. « On se dit que quand on vient de l’île Maurice, c’est plus difficile d’arriver et de savoir ce qu’il y a comme offres d’études en Europe, et du coup, c’est beaucoup plus difficile de choisir sa voie. C’est dommage, car il y a des possibilités énormes dans tous les domaines », dit-elle. De plus, la science et la recherche, c’est vraiment une histoire de famille. « Ma fille passe sa thèse en biologie à la fin de l’année et mon fils étudie, comme son père, l’ingénierie informatique », nous dit-elle, en précisant qu’ils ont tous les deux la nationalité mauricienne.

Véronique Orian-Rousseau est plus que fière de pouvoir représenter Maurice dans ce domaine, mais elle regrette que le travail de son père en botanique et en entomologie à Maurice n’ait pas été reconnu à sa juste valeur. « Il avait même donné sa collection d’insectes à Maurice », dit-elle. « C’est très important pour notre famille qu’il soit reconnu. »

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