Malgré l’interdiction de pêcher : Des poissons du Sud-Est dans les cuisines

De Mahébourg à Trou d’Eau Douce, les marchands de poisson frais du lagon, habituellement devant leur étal en bordure de route, n’opèrent plus. Les autorités n’ont pas encore levé l’interdiction de la vente et consommation des produits de pêche provenant de ces régions après la marée noire causée par le fioul du MV Wakashio. Pourtant, il est possible de se procurer du poisson pêché à l’intérieur et à l’extérieur du lagon du Sud-Est. Des pêcheurs au chômage forcé en font le commerce ou en consomment. Si la Ferme Marine de Mahébourg, disent-ils, peut poursuivre l’élevage et la vente de ses poissons, ceux du lagon ne seraient donc pas toxiques. Ils nous racontent aussi comment ils arrivent à braver l’interdiction des autorités pour embarquer vers le large.

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Des pêcheurs du Sud-Est transgressent l’interdiction par les autorités de commercialiser et consommer des poissons et produits de pêche provenant du lagon pollué par le déversement des hydrocarbures du MV Wakashio. Si la plupart ont fait le choix de respecter le mot d’ordre du ministère de l’Économie bleue, des Ressources marines, de la Pêche et de la Marine, émis il y a un peu plus d’un mois maintenant, certains prennent le risque de pêcher dans le lagon même et aussi en dehors du lagon.

À ce jour, aucune récente information sur la toxicité des poissons et autres produits de la mer dans ces régions n’a été communiquée. Et las d’attendre le feu vert des autorités, des pêcheurs rencontrés à travers le Sud-Est nous ont confié prendre leur barque à la nuit tombée pour aller pêcher. Aussi, ces derniers disent ne pas comprendre pourquoi la Ferme Marine de Mahébourg est en mesure de poursuivre ses activités et vendre les poissons d’élevage aux consommateurs locaux, tandis qu’eux n’ont toujours pas le droit d’aller en mer. « Nous voulons que les autorités publient les résultats d’analyses faites pour les poissons de la ferme marine », dit un pêcheur.

Vendus aux particuliers
Tout en nous montrant sa dernière prise, des “cornes” et pas des petits, pêchés la veille et stockés dans un congélateur, un autre pêcheur nous dit : « Nous ramenons des poissons de saison. » Ces poissons seront, dit-il, vendus à des particuliers de la région et pour sa consommation personnelle. Et parmi ces gros poissons, il y a aussi des calamars pêchés le même jour. La majorité des pêcheurs qui bravent l’interdiction de pêcher dans le lagon sont ceux qui n’ont pas été éligibles au Wakashio Solidarity Grant de Rs 10 200 et qui ne perçoivent pas la Bad Weather Allowance. Pour cause, ils ne sont pas détenteurs de cartes (permis).

Privés de leurs activités professionnelles et de leurs revenus, disent-ils, ils n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers la mer. Les autres, bénéficiaires du soutien financier accordé par l’État, expliquent que l’argent reçu n’est pas suffisant. La vente des poissons, concèdent-ils, leur permet d’améliorer quelque peu leur condition économique. « Ce n’est pas de gaité de cœur que nous allons pêcher. De plus, chaque sortie représente des dépenses », explique un pêcheur.

«Kontak donn nou signal»
Depuis la marée noire, les pêcheurs du Sud-Est ont à deux reprises eu l’occasion de retirer leurs casiers du lagon. Ils ont été autorisés à les enlever eux-mêmes. La deuxième fois qu’ils se sont rendus en mer pour cette opération remonte à quelques jours. « Contrairement à la première fois où nous n’avions pu prendre les poissons, cette fois-ci, nous avons sorti des poissons qui pouvaient être consommés », raconte un autre pêcheur. Ainsi, parmi des prises, certaines ont été déposées dans les différents bureaux de pêche des localités pour être analysées et d’autres ont été mises de côté par des pêcheurs pour la vente et la consommation personnelle.

Les pêcheurs rencontrés concèdent être conscients des risques qu’ils prennent. « Dabor, nou pe al kont la lwa. Si gard may nou, nou tase », disent-ils. Et ensuite, il y va de leur santé et celle de ceux qui consommeront les produits qu’ils ramènent à terre. « Quand un écologiste m’expliquait pourquoi il fallait protéger des oiseaux de l’île aux Aigrettes en les sortant de leur habitat naturel pour les mettre ailleurs, j’ai compris que nous aussi les humains nous ne sommes pas à l’abri de répercussions sanitaires. Cet écologiste me disait que l’air pollué par les hydrocarbures pouvait rendre les oiseaux stériles ! » confie l’un d’eux.

Pour ne pas se faire prendre par les gardes-côte, qui effectuent régulièrement des patrouilles sur tout le territoire impacté par la marée noire, des pêcheurs expliquent qu’ils sortent à des moments précis. Ils font ressortir : « Nou kone kot pou pase pou al an-deor. » Et « an-deor », c’est-à-dire à l’extérieur du lagon, tout comme à l’intérieur de celui-ci, ils savent reconnaître, disent-ils, les endroits spécifiques où pêcher. Mais ils reconnaissent aussi qu’ils ne comptent pas uniquement sur leur flair pour prendre le large. « Nou ena kontak, informater ki donn nou signal », confie un pêcheur. Une affirmation corroborée par d’autres pêcheurs. « Kan gagn pwason, nou larg ar bann kontak-la », avance encore le pêcheur. « Les autorités doivent être au courant que nous pêchons ! » dit un pêcheur d’expérience et détenteur d’une carte, entouré de ses amis.

Certains pêcheurs nous expliquent être contre la pêche en temps de restriction. « A sak fwa ki nou trouv peser pe sorti lor lamer nou telefonn Coast Guard », raconte l’un d’eux. Ce dernier avance que dans sa région, des pêcheurs vendent leurs prises aux banians. Cateau, corne, rouget, mulet atterrissent ainsi dans les cuisines. « Mo pe vann korn Rs 100, Rs 125 la-liv », confirme un pêcheur. Ourite et calamar sont aussi proposés sur le marché parallèle. Ce qui exaspère un pêcheur de longue date. « On n’a pas le droit de pêcher l’ourite ! Vous comprenez maintenant pourquoi quand la pêche à l’ourite est ouverte, nous en avons bien moins qu’à Rodrigues ! » Toutefois, les pêcheurs expliquent qu’ils ne prennent pas de coquillages comestibles que l’on retrouve d’habitude sur les côtes trop polluées.

La méthode «sink sou»
Certains pêcheurs n’ont pas besoin d’aller bien loin pour avoir du poisson. « Quand j’ai envie de pêcher, je n’ai qu’à me mettre au bord de l’eau », confie un jeune pêcheur qui habite à quelques mètres de la mer. Et pour savoir si le poisson pêché n’a pas été intoxiqué par les hydrocarbures du MV Wakashio, des pêcheurs disent avoir une méthode infaillible. « Premie zafer bizin les pwason-la a ler. Si mous vinn direk lor li ou fini kone pwason-la korek. Mous nou premie indikater. Apre nou koup pwason-la nou les so disan koul lor enn pies sink sou. Si kas-la pa sanz kouler, se ki pena nanie dan so disan », affirme un vieux loup de mer.

Cependant, cette dernière méthode sur une pièce de monnaie qui est un alliage de différents métaux n’est pas une garantie. Seules des analyses en laboratoire pourraient confirmer ou infirmer la toxicité des poissons pêchés à l’intérieur et à l’extérieur du lagon du Sud-Est. En revanche, la présence d’hydrocarbures aromatiques polycycliques à forte masse moléculaire dans le métabolisme des poissons ou autres fruits de mer peut s’avérer néfaste pour la santé de l’homme.

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