Mark Watkinson (président du Mauritius Institute of Directors) : « Le changement climatique au premier plan de la gouvernance d’entreprise à Maurice »

Le Mauritius Institute of Directors (MIoD), en partenariat avec CareEdge Ratings Africa, organisera la 2e édition de l’ESG Summit mardi au Ravenala Attitude Hotel, à Balaclava. Cet événement, qui réunira des leaders et directeurs du secteur privé et public, offre une plateforme pour discuter des pratiques responsables en matière des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). À cette occasion, Le Mauricien a rencontré le président du MIoD, Mark Watkinson, qui considère que s’adapter aux changements climatiques ne consiste pas seulement à atténuer les risques, mais également à saisir les occasions d’innover. L’ESG Summit permettra de partager des idées novatrices et d’apporter les informations nécessaires aux décideurs en entreprise.

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Mark Watkinson, vous êtes président du MIoD depuis septembre dernier. Que peut apporter votre vaste expérience bancaire aux administrateurs d’entreprise ?
Ma carrière dans le secteur bancaire m’a permis de développer une compréhension multidimensionnelle de la gouvernance d’entreprise, de la gestion des risques et de la prise de décisions stratégiques. C’est une plus-value que j’espère apporter durant mon mandat à la présidence du MIoD.
Notre objectif, en tant qu’organisation, est de renforcer la pertinence de nos pratiques déjà solides. En tirant parti de mon expérience, je voudrais orienter notre institut vers des domaines stratégiques qui offrent le plus de valeur aux administrateurs. Cela implique d’approfondir leur compréhension des paysages financiers complexes, des tendances économiques mondiales et des subtilités de la gestion des risques.
Ainsi, nos initiatives, nos programmes, nos ressources et nos discussions restent pertinents et complets, renforçant la valeur tangible de notre mission. Nous sommes engagés dans un processus continu d’amélioration et d’innovation. Cette approche nous permet de suivre le rythme dynamique de la gouvernance d’entreprise dans le monde et d’adopter les meilleures pratiques sur le plan international.
En retour, cette démarche enrichit l’approche de nos membres en matière d’administration dans leurs organisations respectives, ils sont mieux équipés pour naviguer efficacement dans le Business Environment, devenu difficile d’aujourd’hui.

Depuis sa création, le MIoD a déployé des efforts considérables pour s’assurer que les conseils d’administration jouent pleinement leur rôle au sein de leurs entreprises respectives et pour veiller à ce qu’ils soient composés de professionnels et non uniquement d’individus proches des principaux actionnaires. Comment voyez-vous le parcours réalisé par le MIoD aujourd’hui ?
En constatant les réalisations du MIoD depuis sa création, il y a 15 ans, je suis immensément fier de notre évolution et de notre impact sur les entreprises mauriciennes. Nous avons concentré nos efforts sur un aspect crucial de la gouvernance d’entreprise : veiller à ce que les conseils d’administration ne soient pas de simples organes cérémoniels, mais qu’ils soient composés de professionnels informés et compétents, capables de contribuer concrètement à la direction stratégique et à la supervision de leurs organisations.
L’une des principales réalisations du MIoD reste le changement de dynamique dans la composition des conseils d’administration. Historiquement, les conseils d’administration préféraient être homogènes, souvent composés de personnes étroitement liées aux principaux actionnaires. Bien que ces compositions ne soient pas intrinsèquement défectueuses, elles manquent souvent de la diversité de pensée et d’expérience nécessaire pour remettre en question et stimuler des discussions stratégiques solides.
Le MIoD a joué un rôle déterminant dans la promotion et la facilitation d’un changement en faveur de conseils d’administration diversifiés, non seulement en termes d’expérience professionnelle et de sexe, mais aussi en termes de perspectives et de compétences.
Ce changement ne consiste pas simplement à cocher des cases sur les indicateurs de diversité. Il s’agit d’améliorer l’efficacité des conseils d’administration et de passer d’une gouvernance traditionnelle à une gouvernance réfléchie. Les conseils d’administration diversifiés sont mieux équipés pour naviguer dans des environnements économiques complexes et en évolution rapide, ainsi que pour prévoir et atténuer les différents risques. En observant le travail accompli par le MIoD, je vois une communauté dynamique de directeurs qui comprennent l’importance de leur rôle en tant qu’administrateurs et chefs d’entreprise.

Qu’en est-il de la parité hommes/femmes et de la représentation des femmes sur les conseils d’administration ? Où en sommes-nous actuellement ?

La diversité et l’inclusion prennent de l’ampleur ces dernières années, et à juste titre. À Maurice, la réglementation adoptée l’année dernière, imposant aux sociétés cotées en Bourse d’avoir au moins 25% de femmes, siégeant au sein de leur conseil d’administration, représente un pas décisif dans la bonne direction. Ce développement reflète une prise de conscience et un engagement plus clairs en faveur de la diversité et de l’inclusion, qui sont placées au cœur des meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise. Si nous considérons les progrès accomplis, ces efforts vont au-delà de la simple satisfaction des exigences réglementaires. Ils s’inscrivent dans le cadre d’un engagement plus large et plus profond en faveur de la promotion de la diversité et de l’inclusion dans le monde des entreprises.
Le MIoD a été à l’avant-garde de ce mouvement, stimulant un plaidoyer solide pour une meilleure représentation des femmes aux postes de direction et sur les conseils d’administration. En s’appuyant sur sa base de données de 1 670 membres, dont 35% sont des femmes, le MIoD soutient activement ces sociétés cotées en Bourse grâce à son service de Board Recruitment.

Nous voulons nous assurer que ces sociétés ne se contentent pas de remplir les sièges pour atteindre le target de 25 %, mais qu’elles intègrent, au contraire, les meilleures candidates, capables d’apporter leurs perspectives et leurs idées nouvelles pour renforcer leur processus de prise de décision. Le MIoD maintient ce plaidoyer à travers sa plateforme, le Women Directors Forum.

Notre Women Leadership Academy, développée en collaboration avec Dale Carnegie Mauritius, est une plateforme stratégique, proposant des programmes de formation et de développement qui gagnent en popularité auprès de nos membres. Cela nous permet d’accompagner ces professionnelles dans leurs ambitions d’assumer de plus grandes responsabilités. Les progrès réalisés à ce jour sont encourageants, mais il reste encore beaucoup à faire.

L’exigence de 25% est une étape cruciale, mais ce n’est pas l’objectif final. C’est une étape vers un meilleur équilibre et vers la garantie que toutes les voix sont entendues et valorisées dans un board room. Ce changement n’est pas seulement une question de chiffres. Il s’agit de l’impact positif que la diversité peut apporter au processus de prise de décisions, ce qui conduit en fin de compte à de meilleurs résultats pour les organisations et leurs stakeholders.

Le MIoD a lancé une série de programmes de formation en “Corporate Governance” pour les cadres. Poursuit-il cette initiative ?
La formation continue et la montée en compétences des administrateurs est un des axes centraux de notre mission. Nous estimons qu’une gouvernance d’entreprise efficace est une discipline en constante évolution. Cela nécessite un apprentissage et une adaptation continus.

Le dernier ajout à notre arsenal éducatif est le programme European Board Diploma que nous lancerons en mars prochain en collaboration avec l’European Confederation of Directors’ Associations. C’est un programme innovant, une formation accélérée pour administrateurs, dispensé par certains des meilleurs membres de conseils d’administration d’Europe.

Ce programme mettra l’accent sur les pratiques modernes de la gouvernance d’entreprise, sur les Business Strategies durables et innovantes. Les participants travailleront sur d’authentiques Case Studies pour offrir une expérience d’apprentissage enrichissante. Ce programme est particulièrement unique car il permettra à nos membres administrateurs de développer une perspective internationale de la bonne gouvernance d’entreprise. Nous restons déterminés à enrichir constamment nos initiatives d’apprentissage et de développement. Cela reflète notre conviction qu’une bonne gouvernance d’entreprise consiste à rester à l’avant-garde, à se préparer à de nouveaux défis et à saisir les opportunités de progrès et d’amélioration.

Votre organisation s’engage également dans la promotion des principes ESG (Environnement, Social, Gouvernance) auprès des Board Directors. Où en sommes-nous dans l’adoption de l’ESG ?

Aujourd’hui, les administrateurs et les chefs d’entreprise naviguent dans un business landscape plus complexe et dynamique que jamais. Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) représentent désormais un aspect essentiel de la gouvernance d’entreprise contemporaine, surtout dans un contexte clairement marqué par le changement climatique.

Désormais des administrateurs doivent intégrer les enjeux et les considérations de sustainability et du changement climatique dans leur stratégie d’entreprise. Ce qui implique une meilleure compréhension des risques et des opportunités posées par le changement climatique, de s’aligner sur des initiatives mondiales telles que l’Accord de Paris, et de répondre aux demandes croissantes des stakeholders en matière de pratiques respectueuses de l’environnement.
Nous sommes fiers d’organiser la deuxième édition de notre ESG Summit le 30, afin de sensibiliser et d’appeler à l’action sur ces principes. La mise en œuvre des principes ESG à Maurice, surtout pour le sustainability et le dérèglement climatique, reflète un mouvement mondial qui trouve de plus en plus d’écho dans le secteur des entreprises mauriciennes. Nous ne pouvons le nier : le changement climatique, désormais au premier plan des discussions ESG, est abordé de manière de plus en plus urgente alors que les répercussions commencent à se faire sentir, à Maurice et dans le monde entier.

Dans son récent rapport Global Risks Report 2024, le World Economic Forum (WEF) souligne que les défis environnementaux, en particulier les conditions météorologiques extrêmes, constituent un risque mondial majeur. L’enquête Executive Opinion Survey du WEF identifie également ces phénomènes météorologiques comme une préoccupation majeure à Maurice.

Ces résultats soulignent l’urgence de s’attaquer aux émissions de gaz à effet de serre et aux impacts du changement climatique, ce qui renforce l’engagement de Maurice en faveur de pratiques durables, y compris des objectifs ambitieux tels que la réalisation d’un mix énergétique vert de 60% d’ici à 2030 et l’abandon du charbon pour la génération d’électricité, en accord avec les efforts de réduction des émissions de carbone. Ces dernières années, le MIoD s’est fortement engagé dans la promotion de business practices responsables en menant un plaidoyer pour l’intégration des enjeux du changement climatique dans les stratégies d’entreprise, reconnaissant ainsi l’impact de ces défis environnementaux sur les entreprises et la communauté au sens large.

Comment le changement climatique vous interpelle-t-il ?
En plus d’avoir pris l’initiative d’organiser l’ESG Summit, le MIoD a joué un rôle déterminant dans la mise en place de la Climate Governance Initiative Mauritius (CGI Mauritius), lancée en collaboration avec HSBC Mauritius. CGI Mauritius, notre dernier forum de plaidoyer, est le 30e chapitre de l’initiative de gouvernance climatique du WEF, qui s’étend désormais à plus de 70 pays dans le monde. Cette initiative importante, qui s’aligne sur les principes de gouvernance climatique efficace du WEF, fait partie de nos efforts pour mettre les discussions sur le changement climatique au premier plan de la gouvernance d’entreprise à Maurice. Nous voulons encourager les directeurs et les chefs d’entreprise à comprendre les risques et les opportunités liés au dérèglement climatique.

La deuxième édition de l’ESG Summit qui est organisé en collaboration avec CARE Edge Ratings Africa, s’inscrit dans la continuité de notre engagement pour initier des discussions essentielles pour des actions collaboratives et efficaces en matière de développement durable. Nous nous engageons pleinement pour la promotion d’une culture de la sustainability, durabilité qui résonne avec les normes mondiales.

Avez-vous pris connaissance des résultats de la COP28 qui s’est tenue à Dubaï l’année dernière ?

Les résultats de la COP28 à Dubaï représentent une avancée significative dans les discussions internationales sur le climat. Maurice doit participer à ces conversations cruciales. Les entreprises mauriciennes doivent réfléchir à la manière dont elles peuvent réduire leur empreinte carbone et intégrer des pratiques durables dans leurs business models.

Il peut s’agir d’investir dans les énergies renouvelables, d’améliorer l’efficacité énergétique et d’adopter les principes de l’économie circulaire pour minimiser les déchets et optimiser l’utilisation des ressources. La COP 28 a également marqué des progrès dans l’opérationnalisation du Loss and Damage Fund, un mécanisme crucial pour soutenir les pays vulnérables au climat.

Nous voyons toute la pertinence pour Maurice. Au cours des deux dernières semaines, nos activités économiques ont été interrompues par deux épisodes cycloniques. Aujourd’hui, plus que jamais, les entreprises mauriciennes doivent comprendre et intégrer les risques financiers liés au climat.

Le cadre établi pour le Global Goal on Adaptation à la COP28 nous rappelle que les entreprises, où qu’elles soient dans le monde, doivent être proactives dans leurs stratégies d’adaptation. Il ne s’agit pas seulement de protéger des actifs physiques, mais aussi d’adapter les business models pour qu’ils soient résilients face aux effets du changement climatique. Les entreprises doivent s’engager dans la planification de scénarios et développer des stratégies d’adaptation capables de faire face aux différents défis liés au climat.
S’adapter à ces changements ne consiste pas seulement à atténuer les risques, mais aussi à saisir les occasions d’innover, à créer une nouvelle valeur et contribuer positivement à la lutte mondiale contre le changement climatique.

Le prochain sommet, la COP29, devrait continuer à aborder ces questions cruciales, en se concentrant sur la définition d’un nouvel objectif de financement du climat et en faisant avancer les discussions sur divers aspects de l’action climatique, notamment l’atténuation, l’adaptation et le soutien aux pays en développement.

Pour conclure, quel est votre souhait pour 2024 ?
Alors que nous sommes toujours au premier mois de 2024, mon souhait en tant que président est que le MIoD soit la plateforme pour l’excellence dans la bonne gouvernance d’entreprise et pour un engagement plus profond en faveur des pratiques durables dans les entreprises mauriciennes.

Cette année, nous voulons renforcer la sensibilisation autour des principes ESG pour nous aligner sur ce mouvement mondial autour des Sustainable and Ethical Business Practices.
L’intégration de l’ESG dans les stratégies d’entreprise est bien plus qu’un Compliance Requirement, c’est un impératif stratégique qui répond à des défis cruciaux tels que le changement climatique et l’inégalité sociale. Cette intégration permettra non seulement d’aligner les entreprises sur les objectifs mondiaux de développement durable, mais aussi de stimuler l’innovation et d’ouvrir de nouvelles perspectives.

Le MIoD, dans son mandat de promotion de la bonne gouvernance d’entreprise, aspire à montrer l’exemple, en encourageant une culture de leadership éthique et de responsabilité. Grâce à nos programmes de formation, nos forums et nos collaborations, et avec le soutien de nos fondateurs, mécènes, membres et partenaires, nous visons à doter les administrateurs et les chefs d’entreprise des compétences et des connaissances nécessaires pour s’adapter à un business landscape de plus en plus complexe.
J’espère voir Maurice continuer à émerger en tant que leader en matière de pratiques durables, en particulier en tant que petit État insulaire en développement. Les défis uniques auxquels nous sommes confrontés, tels que ceux liés au changement climatique, nécessitent des approches innovantes et collaboratives de la part des secteurs public et privé, et le MIoD s’engage à mener ce mouvement.

En travaillant ensemble, en partageant les meilleures pratiques et en tirant parti de nos forces collectives, nous pouvons créer une île Maurice plus durable, plus équitable et plus prospère. En substance, mon souhait pour 2024 est de voir un business environment où la bonne gouvernance d’entreprise, étayée par des principes éthiques forts et un engagement en faveur de la sustainability, guide les décisions et les stratégies, créant des impacts positifs durables pour les générations actuelles et futures.

Propos recueillis par Jean Marc POCHE

 

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