MÉTHADONE : Résurrections et espoirs perdus…

Deux Mauriciens, l’un rempli de vie et l’autre qui voit ses espoirs et projets d’un meilleur lendemain s’écrouler tel un château de cartes… L’un est toujours un usager de drogues injectables (UDI) actif. L’autre a pu décrocher, bénéficiant depuis ces deux dernières années du traitement à la méthadone. Pour Zaheer, 29 ans, marié et père d’une fillette de 5 ans, tous les espoirs ont été réduits à néant depuis ce lundi 20 juillet quand on lui a appris « qu’il n’était plus question d’avoir de la méthadone parce que le gouvernement en a décidé ainsi ». Cette semaine, Zaheer l’a passé assailli de doutes et d’appréhensions. « Tantasyon lamem. Si mo pa kapav sorti dan sa lanfer-la, be mo pa pou ena lot swa ki kontinye pike ! » Brandon, 44 ans, lui, est sorti d’affaires. « Certes, ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais grâce à la méthadone durant ces deux dernières années, j’ai pu recommencer à faire des projets. Je me sens à nouveau fort, et surtout libre… »
Zaheer, garçon plein de vie il y a six ans, n’est plus que l’ombre de lui-même. À 29 ans, ce père d’une fillette de 5 ans et époux aimant souhaitait ardemment sortir de l’enfer des drogues et reprendre une vie normale. « Mes parents, à qui j’ai fini par tout avouer et ma femme surtout qui avait des doutes sur moi, ont tous été d’un formidable soutien quand je leur ai fait part de ma décision de décrocher. Tous caressaient le rêve de me voir reprendre goût à la vie, travailler et subvenir aux besoins de ma famille. Bref, vivre comme toute personne normale qui ne souffre pas d’une addiction à une drogue ». Sauf que depuis lundi, ces projets s‘envolent en fumée. « J’étais découragé, le moral à zéro », confie-t-il. « Quand les animateurs de Lakaz A m’ont expliqué que je n’allais pas bénéficier du traitement à la méthadone alors que je suis parmi les 80 patients en attente parce que le gouvernement a décidé de suspendre ce traitement, j’ai été au plus bas… »
Démotivé et tourmenté par ses démons, Zaheer avoue ne plus savoir à quel saint se vouer. « Jusqu’à il y a quelques jours, nous étions tous — mes parents, ma femme, mes proches et amis — confiants et heureux du nouveau départ que j’allais enfin prendre ! » Or depuis une semaine, c’est le spectre de la destruction et le retour aux méandres de la vie d’un toxicomane actif qui le menace. « J’ai la volonté de m’en sortir. Il ne faut pas penser que la méthadone est un remède miracle et que j’allais guérir du jour au lendemain. Certainement pas ! Je suis conscient qu’il m’aurait fallu consentir à des efforts et des sacrifices ». Mais, soutient-il, « je sais, surtout après avoir vu mes propres amis drogués, dont certains en plus mauvais état que moi, revivre après avoir décidé de décrocher et bénéficié du traitement à la méthadone ! » C’est ce qui a provoqué le déclic chez Zaheer…
Sa liaison dangereuse avec le brown sugar démarre il y a cinq ans. « Je n’étais pas marié et je vivais pleinement ma jeunesse. Mo ti pe amize », déclare notre interlocuteur. « Je ne peux pas dire que ce sont mes amis qui ont fait de moi un drogué, parce que personne ne m’a forcé la main. Je savais pertinemment ce qui m’attendait et c’est en connaissance de cause que j’ai commencé à me shooter de l’héroïne dans les veines ». Au départ, Zaheer fumait seulement. « Pandan sink, sis mwa monn fime, me li ti kout serr. Bizin ena omwin ant Rs 2 500 à Rs 4 000 par zour pou kapav aste bann doz pou fime. Kan yen-la inn vinn tro for, monn koumans pike… » Là, c’est entre Rs 1 500 à Rs 2 000 que le jeune mécano met de côté chaque jour pour « kas yen ». La dépendance s’empare du jeune homme. « Autour de moi, bien vite, les gens commençaient à jaser. Au travail, on disait que je me droguais et on me faisait de moins en moins confiance. À la maison, aussi, mes parents commençaient à avoir des doutes sur moi. Plus tard, quand je me suis marié, ma femme posait des questions… »
« Sel traka se rod en doz »
La descente aux enfers commence alors pour le jeune homme. « Koumans par perdi travay. Samem ki pli grav-la sa. Quand un toxicomane a un travail et un salaire, cela lui permet de jouir d’une certaine indépendance. Il ne va pas voler ou avoir d’autres tentations pour sa dose quotidienne ». Zaheer évoque le calvaire quotidien de l’UDI. « Avan mem ou leve, latet inn fini fatige : “kouma mo pou trase pou gayn Rs 200 pour gayn mo dose ?” On ne pense jamais à boire un thé ou un café. Pire, on ne se soucie même pas de savoir si son enfant ou son épouse a de quoi se nourrir ! » Chômeur, il cède aux tentations. « Kokin dan lakaz mem dabor. Tou seki ena valer : larzan, bizou mama, ser, fam… Le toxicomane n’a pas un méchant fond. Mais sa priorité de “kas yen” est plus forte que tout. C’est ce qui le pousse à mentir, voler et commettre tous ces actes bas et indignes ». Le jeune homme savait que ce qu’il faisait n’était pas bien. « Mais je n’avais pas d’autre choix. Tout ce qui m’importait, c’était d’avoir ma dose. » Tout récemment, il a même contraint sa femme à arrêter de travailler. « Il fallait trouver une garderie pour ma fille, et cela coûte de l’argent. Donc, pour ne pas avoir à payer la garderie, je lui ai dit de rester à la maison et de veiller sur notre enfant. Tout devient accessoire quand on se drogue. Quand il faut du lait, on achète le plus petit sachet possible. L’important, c’est d’avoir de quoi se payer sa dose. Je sais, c’est très égoïste. »
Zaheer réalise toutefois que cela ne pouvait continuer. « J’en ai eu marre de moi-même », confesse-t-il. « Je n’en pouvais plus de me rabaisser autant et de faire du tort à mon entourage. Monn degoute ar mo-mem ». C’est alors qu’il prend la décision d’en finir avec la drogue. « J’ai vu des amis avec qui je me droguais qui s’en sont sortis. Certains étaient en plus piteux état que moi. Ils ont commencé le traitement à la méthadone et quand je les ai revus quelque temps ils allaient beaucoup mieux. C’est ce qui m’a convaincu ». Zaheer veut reprendre une vie normale, sans drogues. « Je sais qu’avec la méthadone, j’arriverais plus facilement à remonter la pente. Mais le gouvernement en a décidé autrement. Je ne sais plus quoi faire. Vais-je recommencer à me shooter toute la journée ? » Depuis qu’il s’est décidé à décrocher, Zaheer a aussi réduit volontairement ses prises d’héroïne, « mais je sais que sans soutien médical, je ne pourrais pas aller plus loin… » Il lance un appel d’espoir au gouvernement. « Rétablissez le programme de la méthadone. Donnez-nous au moins, nous qui sommes sur les listes d’attente, la chance de nous en sortir et, parallèlement, offrez des alternatives. Mais ne nous laissez pas tomber, sinon c’est la mort qui nous attend… »

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