Les juges Nicolas Ohsan-Bellepeau et Karuan Gunesh-Balaghee, siégeant en Cour suprême, ont rejeté la demande de Bruneau Laurette de pouvoir contester par voie de Judicial Review la décision du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) de mettre fin à la Private Prosecution qu’il avait logée contre les ex-ministres Kavy Ramano et Sudheer Mahdoo, entre autres personnes, dans le sillage de l’échouage du MV Wakashio. C’était dans un jugement rendu ce 1er septembre.
En juillet 2020, le MV Wakashio s’était échoué à Pointe-d’Esny, causant la pire marée noire que le pays ait jamais connue. Après quoi Bruneau Laurette avait logé une Private Prosecution contre Kavy Ramano et Sudheer Maudhoo, respectivement ministres de l’Environnement et de l’Économie bleue sous l’ancien régime. Il avait aussi poursuivi Alain Donat, le Director of Shipping, et Sunil Kumar Nundeshwar, capitaine du vraquier, sous divers délits ayant trait à la protection de l’environnement. Pour Bruneau Laurette, ces derniers étaient responsables, soit d’avoir provoqué cette marée noire, soit de par leur gestion calamiteuse, d’avoir permis à cette catastrophe d’avoir pris l’ampleur qu’on connaît.
Toutefois, le 10 septembre 2020, le DPP avait “discontinued” cette affaire au niveau de la Cour de district de Grand-Port. Le 2 décembre 2020, Bruneau Laurette avait alors logé une demande en Cour suprême de pouvoir contester cette décision du DPP par voie de Judicial Review.
Selon lui, le DPP n’avait pas pris en compte les preuves qu’il avait réunies et les témoins qu’il allait appeler contre les quatre accusés. Il avait accusé le DPP de faire preuve d’un manque d’indépendance, vu que c’était deux ministres qui s’étaient retrouvés sur le banc des accusés, et que par conséquent, il avait agi de mauvaise foi, déraisonnablement et irrationnellement. Il voulait ainsi demander à la Cour suprême d’annuler cette décision et de rendre un jugement déclaratoire sur la nature de la décision prise par le DPP.
Sa demande de Judicial Review concernait aussi certaines décisions de la Presiding Magistrate de la Cour de district de Grand-Port. Celle-ci avait en effet refusé d’entendre les objections de l’avocat de Bruneau Laurette, Me Sanjeev Teeluckdharry, quand le DPP avait émis son “discontinuance of proceedings”, et avait refusé de référer cette affaire à la Cour suprême.
Bruneau Laurette avait cité le DPP et la Presiding Magistrate de la Cour de Grand-Port comme défendeurs. Il avait cité les quatre personnes concernées par sa Private Prosecution comme tierces parties, ainsi que le DCP Hemant Jangi, le commissaire de police et l’État. Mais le DPP et certaines des tierces parties avaient objecté à cette demande de Judicial Review, car selon eux, ladite demande n’avait pas été faite promptement, sans compter que Bruneau Laurette n’avait pas, toujours selon leurs observations, d’Arguable Case.
Dans leur jugement, les juges ont fait ressortir qu’une demande de Judicial Review peut affecter plusieurs tierces parties, ajoutant que pour cette raison, les tribunaux exigent que la demande de “leave to apply for Judicial Review” soit faite promptement, nonobstant l’échéance de trois mois stipulée dans les Rules of the Supreme Court.
Bruneau Laurette avait expliqué qu’il avait attendu pendant plus de 80 jours, en vain, après que le DPP lui ait donné l’assurance qu’il avait pris cette affaire en main et qu’il demanderait à la police de mener une enquête approfondie pour situer les responsabilités de tout un chacun. Toutefois, les juges ont accepté l’argument de Me Rashid Ahmine (DPP), contenu dans son affidavit, à l’effet qu’il n’avait jamais donné cette assurance à Bruneau Laurette, et que ce serait plutôt le commissaire de police d’alors qui avait pris l’engagement qu’il diligenterait promptement une enquête approfondie dans cette affaire.
Les juges ont conclu que le demandeur n’a pas établi de raison valide pour expliquer le retard à loger cette demande de Judicial Review. « The requirement of promptitude has not been met », ont-ils conclu. Ils ont observé que le pouvoir d’un simple citoyen de loger une Private Prosecution est sujet au contrôle du DPP. Ce dernier peut ainsi laisser cette Private Prosecution aller de l’avant, y mettre fin ou la prendre sous son égide.
Or, les juges ont observé qu’il y a en général une réticence de la Cour suprême de passer en revue les décisions du DPP, sauf dans des cas exceptionnels. Et de rappeler que les tribunaux ont pour rôle de juger les affaires criminelles logées par le DPP, qui agit selon ses pouvoirs constitutionnels, selon lesquels il ne peut être sujet au contrôle de qui que ce soit. De fait, soumettre chaque décision du DPP au processus de Judicial Review peut remettre en question le principe de la séparation des pouvoirs entre le Judiciaire et le DPP, voire même l’intégrité du processus judiciaire dans son ensemble.
Toute Judicial Review d’une décision du DPP ne peut être demandée que quand ce dernier a outrepassé ses prérogatives constitutionnelles ou dans d’autres circonstances exceptionnelles, par exemple si le DPP a agi sous l’influence d’une autre personne ou s’il peut être démontré qui a agi de mauvaise foi ou s’il a entravé sa propre discrétion. Les juges ont par conséquent fait ressortir qu’il y a un « higher threshold » en ce qui concerne toute demande de Judicial Review d’une décision du DPP, contrairement à d’autres organes étatiques preneurs de décisions, et qui n’ont pas le même statut constitutionnel que le DPP.
Les juges Oh San Bellepeau et Gunesh-Balaghee expliquent : « we have seen nothing, ex facie the affidavit filed by the Applicant, which can satisfy us that the high threshold required to review the decison of the DPP has been reached by the Applicant on the basis of his allegations. » Pour les juges, les allégations de Bruneau Laurette « are in the nature of unsubstantiated averments which cannot lead to any inference of bad faith, dishonesty or mala fides on the part of the Office of the DPP ».
Pour les juges, Bruneau Laurette avait adopté une « scattergun approach » en ayant recours aux Grounds habituellement utilisés pour demander une Judicial Review, sans étayer ces Grounds par des arguments. Ils ont aussi rejeté sommairement sa demande de Judicial Review de la décision de la Presiding Magistrate de la Cour de district de Grand-Port, vu que celle-ci n’avait fait qu’obtempérer à la décision du DPP de « discontinue proceedings ».
Bruneau Laurette aura par ailleurs à encourir les frais légaux dans cette affaire.