Obituaire : Kaneti Banymandhub

S’est éteint, samedi dernier, Chrisna Kaneti Banymandhub, surnommé Kanti, ex-haut fonctionnaire mauricien. Sa dépouille a été incinérée le lendemain après les rites traditionnels au crématoire des Trois Mamelles.

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Né dans le village de New Grove, ayant grandi à Rose-Hill, Kaneti fait de brillantes études primaires dans une école du gouvernement, ce qui lui donne accès au collège Royal de Curepipe, surnommé par ses anciens élèves « the temple of learning ». Après ses études secondaires, également brillantes, il enseigne quelques mois au collège New Eton de Rose-Hill, après une tentative infructueuse d’entrer dans le service civil.

Grâce aux efforts et sacrifices de sa famille, il peut entreprendre des études universitaires en Écosse où il fait divers petits « boulots » pour compléter le financement de ses cours. Rentré à Maurice en 1958 avec deux diplômes dans le domaine de l’Éducation, il est cette fois embauché dans le service civil, qui commence à former les cadres qui remplaceront les britanniques dans l’administration de la future île Maurice indépendante. Peu après, il épouse Champa Ramphul, qu’il avait connue à Maurice et avait eu l’occasion de « fréquenter » pendant ses études en Grande-Bretagne.

De cette union, vont naître Anil puis Urmila, les deux enfants du couple. Entré au bas de l’échelle du service, Kaneti en gravira tous les échelons pour terminer comme Secrétaire Permanent de plusieurs ministères, avant d’être posté au Bureau du Premier ministre, dont il sera un des principaux collaborateurs. Il aura aussi plusieurs fois l’occasion d’agir comme Secrétaire du Cabinet par intérim. Dans The Ubiquitous Royal, son autobiographie publiée il y a quelques années, Kaneti revient sur plusieurs épisodes de sa vie et, surtout, sur son parcours professionnel. Une carrière qui se déroule dans une période charnière de l’histoire de Maurice : celle du passage de l’ère coloniale à l’indépendance. Avec ses défis, ses réussites et aussi ses ratés. L’auteur se penche sur le secteur qu’il connaît le mieux, le service civil qui va, petit à petit, abandonner les valeurs et les pratiques du modèle britannique pour un autre, indéfini, où les règlements seront de plus en plus contournés et dont le copinage politique deviendra une des normes.

Dans ce livre, qui est un hommage à la contribution des Royals à l’évolution de la société mauricienne, Kaneti consacre beaucoup de pages à l’épisode qui a marqué négativement et profondément sa vie et celle de ses collègues qui, comme lui, ont été obligés de prendre une retraite prématurée « dans l’intérêt du service ». C’était en 1982 et le gouvernement travailliste, qui avait géré le pays avec une coalition en dents de scie avec le PMSD après les élections de 1976, était devenu extrêmement impopulaire. À tel point qu’aux élections générales du mois de juin, aucun de ses candidats, même Sir Seewoosagur Ramgoolam, n’arriva à se faire élire.

Par un 60 – 0 totalement imprévisible, les Mauriciens plébiscitent l’alliance MMM/PSM qui avait fait campagne contre la corruption et les passe-droits et pour le respect de la démocratie et de la justice. Mais une des premières actions du nouveau gouvernement sera de faire amender la Constitution pour obliger un petit groupe de fonctionnaires, dont Kaneti, à prendre leur retraite anticipée « in the public interest ». Ce qui fut qualifié d’opération « leve paké alé » sous le gouvernement travailliste, à partir de 1995, fut, en fait, initiée par le gouvernement MMM/PSM élu en 1982.

Cet amendement constitutionnel, qualifié de honteux par certains historiens, démontra que les vainqueurs de 1982 étaient capables d’en faire autant, sinon pire, que leurs prédécesseurs dans le domaine de la vengeance politique et du non-respect des règles démocratiques dont ils se proclamaient les champions. Beaucoup pensent que cet amendement, ainsi que ce qu’il révélait de ceux qui l’avaient écrit et fait voter, fut une des raisons de la baisse de popularité et du manque de confiance de nombreux Mauriciens dans les vainqueurs des élections de juin 1982. Cette retraite professionnelle imposée marqua au fer rouge Kaneti et sa famille – comme toutes les familles des hauts fonctionnaires qui en furent les victimes. Mais en dépit de cette blessure qu’il avait subie alors qu’il était à la fleur de l’âge, Kaneti s’était refait une vie et trouvé des occupations diverses et variées pour s’occuper. Avec Champa, sa complice des bons et des mauvais jours, il fut un père attentionné pour ses deux enfants aux caractères trempés, pour dire le moins ; un gr and-père affectueux pour ses petits-enfants et un bon vivant aimant et provoquant la discussion, parfois jusqu’à la provocation, pour ses nombreux amis.
J’aimerais conclure cet obituaire/hommage à Kaneti Banymandhub, homme qui croyait aux forces de l’esprit, par ces deux lignes qu’il emprunta à Charles Dickens pour terminer The Ubiquitous Royal, livre dont je recommande la lecture : “ I now do a far, far better work than I have ever done. I now go to a far, far better rest than I have ever known.”

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