Parents d’adultes handicapés : Préparer l’après-eux

L’on n’y pense pas beaucoup, nous, apparemment les bien portants… Mais ces mères et ces pères courage y pensent, eux, tous les jours, à chaque instant de leur vie en voyant leurs forces s’amenuiser et leurs enfants grandir devant eux. Inquiets, ces parents d’adultes handicapés ont décidé de briser le silence et de nous partager leur plus grande peur : l’après-eux, soit le jour où ils s’en iront en laissant derrière eux un adulte, encore enfant. En créant l’association Foyer résidents en situation de handicap (AFReSh), ils espèrent que leurs enfants seront entre de bonnes mains après leur départ.

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Emmanuel a 24 ans. Passionné de musique et d’informatique, il mène sa petite vie entouré de ses proches aimants. Mais pendant qu’il grandit, ses parents, eux, vieillissent. Corinne et Maxime Latreille ne sont pas les seuls parents d’enfants handicapés à s’inquiéter. “Depuis quelque temps, la vie est devenue bien difficile. Je l’ai ressenti, parce que je sens la vieillesse arriver, ma force commence à diminuer. Pour moi, si j’étais jeune, j’allais me battre comme je me suis toujours battue, c’est ma bataille”, nous confie Corinne Latreille. C’est après beaucoup d’hésitation qu’elle a décidé de nous contacter pour parler de ce sujet qui lui tient à coeur et qui reste “assez tabou à Maurice”. “Je pense que l’on devrait songer à mettre en place des foyers pour nos enfants porteurs d’un handicap”, nous dit-elle. Comme elle, d’autres parents ont décidé de franchir le pas.

Ainsi, c’est au domicile des Latreille, à Pointe-aux-Sables, que nous avons rencontré Clive Casse, père de Sébastien (31 ans), Danielle et Jean-Noël Pampusa, parents d’Olivier (25 ans) et Patrick Lamoureux père d’une jeune femme d’une vingtaine d’années. Ils ont décidé l’an dernier de se regrouper pour créer l’association AFReSh. “Nous débutons, nous n’avons pour l’heure rien”, précise Corinne Latreille. Rien, sauf la ferme envie de construire un avenir pour leurs enfants. “J’ai été très touchée par cette mère décédée et dont le fils trisomique, âgé d’une cinquantaine d’années, est décédé un mois après. Cela m’a touchée. Ces enfants ressentent les choses tellement plus intensément que nous”, confie Corinne Latreille.

En effet, à Maurice, ils sont nombreux à s’occuper seuls de leurs enfants. Entre quatre murs, ces parents, souvent retraités, continuent de mener leur bataille seuls. “Il y a plusieurs mères qui s’occupent seules de leurs enfants devenus adultes et qui continuent de leur donner le bain”, explique Clive Casse. Il souligne ainsi qu’il connaît personnellement deux mères de plus de 80 ans qui s’occupent seules de leurs enfants âgés d’une soixantaine d’années. Non que ce soit une corvée, mais c’est que leurs bras, leur corps ne le leur permettant plus. “Il faut quatre bras pour s’occuper de mon fils tous les matins, car avant que l’on se prépare, on doit d’abord le préparer, lui, avant pour voir s’il a tout ce qu’il faut”, confie Corinne Latreille. Une routine à laquelle la petite famille s’est habituée depuis 24 ans, mais les choses commencent à changer. “J’ai toujours voulu que mon fils Emmanuel fasse bien, et j’ai voulu lui donner toutes les chances possibles, mais, là, on est arrivés à un moment où l’on se dit qu’on n’a plus de force.”

“C’est un cri du coeur : il faut une prise de conscience au niveau du public et des autorités concernées.” Danielle et Jean-Noël Pampusa ont, eux aussi, les mêmes craintes et inquiétudes. Les parents nous parlent d’Olivier qui, “quand on est là, tout va bien, mais quand on n’est pas à côté de lui, c’est autre chose”. Enfant unique, Olivier n’a ni soeur ni frère. “On a de la chance, on a presque une vie normale. Olivier, à part son handicap, s’occupe et a une journée remplie. Il ne veut pas qu’on le dérange et avance à son propre rythme”, explique fièrement Jean-Noël Pampusa. “Tant qu’on est là, il n’y a pas de souci. Quand nous on ne sera plus là, qu’est-ce qu’il va devenir ? Il est enfant unique, j’ai un frère au Canada, mon époux aussi est enfant unique, qui va s’occuper de lui ? C’est une inquiétude”, lance Danielle Pampusa.

Les adultes handicapés c’est un peu un sujet tabou. Une histoire de famille presque. “A Maurice, c’est un peu comme cela qu’on fonctionne, et c’est tant mieux, dans un certain sens, car l’on se dit automatiquement que c’est la famille qui va s’occuper de notre enfant après notre départ”, nous confie Clive Casse. “L’après-nous est très important. J’ai trois enfants, dont l’aînée qui a fait ses études à l’étranger et est rentrée, tandis que la benjamine, elle, fait ses études à l’étranger et ne va peut-être pas revenir. C’est là que j’ai commencé à me poser des questions”, confie Clive Classe.

“Mais après ?” se demandent-ils tous. “C’est pour cela qu’il faut des foyers d’hébergement pour nos enfants, car j’ai l’impression que personne ne sait ce que les parents d’adultes handicapés vivent au quotidien. Et surtout, ce qu’ils vivent au fur et à mesure qu’ils vieillissent et que leurs enfants grandissent. Vous savez, nous parents, sommes prêts à tout pour leur bien-être. Nous sommes prêts à donner notre vie pour eux”, lance-t-elle.
Ainsi, lors d’une visite en France, Corinne Latreille rencontre un jeune homme trisomique comme son fils. Placé en foyer d’hébergement, le jeune homme s’épanouit et y a même fait des rencontres. “Dès qu’ils ont leur petit monde, leur petite bulle, ils vont bien”, ajoute Patrick Lamoureux. “Il avait deux personnes pour l’aider dans ses activités journalières, des ateliers de peinture, de sport. Il avait sa petite chambre qu’il avait décorée. Sa mère étant décédée, son père, déjà âgé, ne pouvait plus s’occuper de lui et surtout ne pouvait pas lui apporter cet épanouissement qu’il connaît maintenant au foyer avec ses amis”, raconte Corinne Latreille. D’ailleurs, pour la petite histoire, ce jeune homme s’est même trouvé une petite amie là-bas ! “Bien sûr, ils sont encore des enfants dans des corps d’adultes, ils ont des sentiments”, dit-elle.

A La Réunion aussi, de tels foyers subventionnés par l’Etat existent. D’ailleurs, l’Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) de La Réunion, qui s’occupent des Foyers d’accueil occupationnels (FAO) et des Foyers d’accueil médicalisés (FAM) depuis 1999, a accepté d’apporter son soutien à AFReSh par l’intermédiaire de son directeur Stéphane Pallard que Clive Casse a rencontré. “L’APAJH est même disposée à former le personnel qui serait amené à s’occuper de ces adultes, car la formation est extrêmement importante”, précise Clive Casse. “Les parents peuvent eux aussi souffler. Je pense qu’il faut sensibiliser le public à cet égard. Ainsi, nos enfants peuvent être placés en foyer. Il sera difficile de les laisser, mais il le faut pour leur propre bien. Ils doivent commencer à s’habituer : on a pris du retard. Il y a une maman de 85 ans qui s’occupait de son fils de 54 ans, et c’est elle qui lui donnait le bains. Elle n’avait pas d’aide et c’est difficile de compter sur les autres, mais maintenant son fils est à La Réunion et tous les deux vont bien.”

Un choix difficile, mais essentiel. “On veut que nos enfants soient heureux. C’est compliqué, car pendant que nous nous vieillissons, nous voyons notre petit bébé grandir. Ma fille est à la fois adulte et enfant et je vois qu’elle a envie de s’épanouir”, confie, pour sa part, Patrick Lamoureux. “Ils ont le droit de vivre après nous, ils ont aussi droit à cela.” “Et cela va peut-être choquer beaucoup de personnes, mais nous, parents d’enfants handicapés, nous savons ce que nous ressentons : l’on ne sait pas dans quelles conditions nos enfants vont vivre après nous “, conclut Clive Casse.

Ainsi, AFReSH souhaite que les gens prennent plus conscience de leur combat, et invite tous les autres parents vivant la même situation de venir les rejoindre.

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