Patrimoine : L’ancien tribunal de Souillac en lambeaux

— Arrmaan Shamachurn (SOS Patrimoine) : « L’ownership du tribunal n’est plus “vested  in the District Council”, mais plutôt au bureau de l’Attorney General »

“Être juge, c’est souvent être spectateur d’une chute, témoin des bassesses, explorateurs des limites, réceptacle du malheur…” Cette citation de Céline Roux témoigne de l’importance sacro-sainte des palais de justice au sein de quelconque société moderne. À Maurice, c’est de la chute de ces anciennes bâtisses empreintes d’histoire dont nous sommes témoins. Durant la semaine, des photos de l’ancien tribunal du district de Savanne à Souillac ont fait le tour des réseaux sociaux, au grand dam des amoureux du patrimoine, et sans doute des nombreux légistes qui y ont exercé. Enseveli par la mauvaise herbe, ce bâtiment jadis haut lieu d’autorité et de moralité tient aujourd’hui à peine debout. Frappé par un incendie en 2011, il est aujourd’hui frappé par la vieillesse et l’oubli. À l’heure où le bitume et le béton ont remplacé le bon bois et le fer forgé au nom de développement et de la modernité, il serait peut-être temps de regarder derrière soi, au nom de la décence et de la mémoire… Arrmaan Shamachurn, de SOS Patrimoine en Péril, tire la sonnette d’alarme, une énième fois.

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Ces bâtiments en bois, recouverts de bardeaux, disposaient de trois bureaux, un pour le magistrat, un
pour les avocats et un pour les greffiers, ainsi qu’une petite salle d’audience

“Quel dommage”, murmure-t-on en voyant ces images d’une tristesse imparable. Avec son allure de maison hantée, la Cour de Souillac est en totale décrépitude. Depuis bien des années. Et pourtant, comme l’indique un panneau flambant neuf — décalage total avec le bâtiment lui-même —, “ce bâtiment aux varangues ouvertes abrite la magistrature et reflète l’architecture coloniale d’autrefois. Une fontaine en fonte se trouvant dans le jardin est surmontée d’une tête de lion. Elle fut fabriquée il y a plus d’un siècle en Irlande. À l’époque, la fontaine était activée par une pompe à main. Elle fournit encore aujourd’hui de l’eau potable.”

Pour Arrmaan Shamachurn, de “Nou patrimoine, Nou richesse” et de SOS Patrimoine en Péril, le cas du tribunal de Souillac n’est malheureusement pas un cas isolé. “Au niveau de l’association SOS Patrimoine en Péril, ce n’est pas seulement le tribunal de Souillac qui nous préoccupe, mais l’état d’abandon de plusieurs anciens tribunaux. D’ailleurs, Le Mauricien avait publié un article en 2014 sur ce sujet (voir encadré). Cependant, selon une question déposée à l’Assemblée nationale, le ministère des Arts et du Patrimoine culturel, à travers le National Heritage Fund, a pris position contre la démolition de certains tribunaux, ce qui est encourageant, mais pas suffisant”, dit-il.

En effet, en novembre 2021, la députée Joanna Bérenger fait mention de l’état déplorable des palais de justice de Bambous, Moka, Mapou, Pamplemousses et Souillac, et d’un éventuel projet de réhabilitation. Le ministre des Arts et de la Culture, Avinash Teeluck, répondant alors “que by the National Heritage Fund (NHF), a parastatal body operating under the aegis of my Ministry, that the buildings housing the Bambous, Moka, Mapou, Souillac and the Pamplemousses District Courts are not listed as National Heritage under the National Heritage Fund Act. As such, the cultural significance of these buildings has not yet been assessed (…) Even though these five buildings are not listed as National Heritage, I am apprised that prior to any pulling down, reconstruction or restoration works thereat, advice of the NHF is sought.”  

 Les députés du N°13 informés

Une lueur d’espoir pour les militants du patrimoine, mais encore pas assez. “En ce qu’il s’agit de celui de Souillac, le ministre confirme que pour l’instant, il n’y a pas de projet de restauration”, dit Arrmaan Shamachurn. Il explique ainsi que “du coté de SOS Patrimoine, nous avons depuis plusieurs années essayé de convaincre les autorités, notamment le Conseil de District de Savanne, de considérer un projet d’un front de mer à Souillac qui aurait mis en chantier un historic track qui aurait compris plusieurs vestiges historiques dans cette région. Il faut noter que plusieurs habitants, les forces vives et même certains conseillers de village sont pour une restauration.” Il poursuit que “nous avons d’ailleurs eu une rencontre avec le Conseil en 2018 pour discuter de ce projet, mais on nous a fait comprendre que l’ownership du tribunal n’est plus vested  in the District Council, mais plutôt au bureau de l’Attorney-General. Il est bon de se rappeler que Maneesh Gobin était Attorney General et aussi député de la circonscription N°13.”

Frappé par un incendie en 2011, il est aujourd’hui
frappé par la vieillesse et l’oubli

Arrmaan Shamachurn a pourtant essayé, mais en vain. “En mon nom personnel, j’ai aussi envoyé un mail en 2020 aux trois députés de la circonscription, mais là aussi j’attends toujours une réponse. Nous sommes aussi au courant que le mouvement Aret Kokin Nou Laplaz avait aussi proposé la restauration du tribunal sous le concept d’un géopark, concept qu’ils avaient proposé dans le cadre des consultations pour la National Land Development Strategy. Nous avions aussi prévu deux workshops, le premier avec les habitants de Souillac pour discuter du projet de Waterfront de Souillac et le second avec plusieurs organes gouvernementaux, parmi l’administration du judiciaire pour leur proposer des solutions possibles aux différents bâtiments historiques sous leurs responsabilités, mais nous n’avons jusqu’ici pas pu y faire suite à cause des différentes restrictions sanitaires”, dit-il.

Trafic de biens culturels

Par ailleurs, après l’incendie de 2011, l’ancien tribunal déjà dans un sale état s’est détérioré. “Suite à l’incendie, le tribunal de Souillac a été laissé à l’abandon et nous sommes inquiets que certains veuillent profiter de son état pour achever sa démolition comme cela a été le cas pour l’ancien poste de police de Rivière Noire ou celui de Tyack/Rivière-des-Anguilles qui figure ironiquement toujours sur la liste de National Heritage, et plusieurs autres bâtiments qui sont d’un trait de stylo catégorisés comme beyond economic repair ou même des public hasard, et en sus ils ne bénéficient pas du statut de National Heritage”, explique-t-il. De plus, ajoute Arrmaan Shamachurn, “dans ce processus d’abandon, il y a aussi eu la disparition d’une fontaine d’une valeur inestimable. Au niveau de l’association, nous avons même fait une demande officielle au Prime Minister’s Office pour considérer la mise en place d’une commission d’enquête sur un possible trafic des biens culturels, qui allait certainement traiter des situations pareilles, mais nous avons été informés que le dossier a été référé au ministère des Arts et du Patrimoine culturel depuis mai 2022.”

Triste spectacle…

Cependant, Arrmaan Shamachurn et les autres amoureux du patrimoine et du village de Souillac gardent espoir. “Même si le tribunal de Souillac est dans un état de décrépitude très avancé, grâce à l’incompétence de certaines personnes, nous sommes d’avis qu’avec l’apport de la technologie comme le 3D mapping/scanning, l’intelligence artificielle, etc., nous pouvons reconstituer le tribunal, et par la suite le restaurer pour le bien des habitants de Souillac. Mais encore une fois, cela doit être dans le cadre d’un projet global pour l’ensemble de cette région. Si demain on prend la décision de démolir le tribunal et plusieurs de ses annexes et les replacer par des blocs en béton, c’est tout un atout que nous allons gâcher”, conclut-il.   

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Ils ne baissent pas les bras, et surtout pas la garde

Arrmaan Shamachurn nous fait part qu’au cours de ces deniers mois, SOS Patrimoine a redoublé d’efforts en attendant les Assises du Patrimoine, annoncées depuis février 2020. Il a aussi essayé “en vain d’alerter les autorités sur la nécessité” de :

– faire un inventaire national du patrimoine

– développer une risk management strategy, surtout pour les édifices en bois qui sont à risque des incendies ou des effets du climat

– d’avoir une approche globale vis-à-vis du patrimoine où les vestiges historiques sont plutôt des ressources pour un secteur économique culturel

– donner des “fiscal incentives” aux propriétaires des structures à valeur historique, y compris les organes publics, comme les local governments, le judiciaire, les ministères, la police, etc.  

À bon entendeur…

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Ces bâtiments en bois, recouverts de bardeaux…

Dans un article du Mauricien de 2014, l’on évoquait déjà l’urgence de restaurer ces palais de justice d’une valeur inestimable. “C’est avec peine que les amoureux du patrimoine, et tout autre Mauricien tenant à cœur l’histoire de son village, de son pays, notent l’abandon dans lequel sont laissés ces bâtiments. Des bâtiments qui ont tous une histoire à raconter. En effet, elles datent des débuts de la juridiction des districts avec l’enrôlement des magistrats à partir du 1er janvier 1852, explique Raymond D’Unienville, avocat et féru d’histoire. Ces bâtiments en bois, recouverts de bardeaux, disposaient de trois bureaux, un pour le magistrat, un pour les avocats et un pour les greffiers, ainsi qu’une petite salle d’audience. La création des cours de district relève de la décision de l’administration britannique de transférer les cours de première instance de Port-Louis, où siégeaient les juges de paix et la Cour d’appel, aujourd’hui devenue la Cour suprême, dans des cours de district pour les affaires civiles et criminelles, cela, en raison du fait qu’il fallait voyager de longues distances pour se rendre à Port-Louis. Avec la création des cours de district, toutes les affaires civiles et criminelles pouvaient être traitées sur un plan régional. Les bâtisses, héritage de l’architecture propre à l’ère coloniale, faisaient la beauté de tout un village, les habitants étaient fiers de leur patrimoine.”

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