Patrimoine Nationale et Architectural : Sauvons Clarisse House de l’effondrement !

« Inspirons, s’il est possible, à la nation l’amour de l’architecture nationale », disait le célèbre écrivain Victor Hugo. Certains en sont manifestement dépourvus. Il n’y a pas que dans la capitale qu’on constate ce mépris pour ces édifices gravés dans la mémoire collective, si on se fie à l’état lamentable dans lequel se trouve actuellement la Clarisse House, sise à Vacoas, construite au 19e siècle par Edmond de Chazal. Le plancher en teck est pourri, le toit fuit.

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Le mur ne tient que pour la façade, alors que les portes et fenêtres sont totalement déglinguées. La toiture et ses bardeaux ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Un déclin qui risque de s’accentuer si les autorités ne se décident pas, dans les années à venir, à donner un coup de neuf au bâtiment qui, jadis, abritait la résidence du chef de l’État.

Vendredi 4 juin 2021. Le pays pleure la mort, survenue la veille, de l’ex-Premier ministre sir Anerood Jugnauth. Amis, proches, politiciens de tous bords, ambassadeurs et citoyens ordinaires affluent à la Clarisse House pour laisser un message de sympathie dans le livre de condoléances. C’est probablement la dernière fois que ce lieu chargé d’histoire accueille des gens en son sein. Contrairement à ses prédécesseurs, sir Anerood Jugnauth avait choisi de ne pas y résider après son intronisation en tant que PM en novembre 2014. C’est ce qu’avait affirmé au Parlement, le 13 juin 2017, son fils Pravind, qui l’avait succédé au plus haut sommet de l’État, six mois auparavant.

Pravind Jugnauth répondait à une question du député Shakeel Mohamed, sur un dîner privé faisant l’objet de controverses qu’avait organisé sir Anerood Jugnauth, le 23 décembre 2016, à la Clarisse House dans le cadre des fêtes de fin d’année, où il avait accueilli ses collègues de l’Assemblée nationale et d’autres invités personnels. Ceux et celles qui s’y étaient rendus le 4 juin 2021 pour les obsèques de SAJ ont forcément été stupéfaits de constater l’état lamentable dans lequel la maison de trouvait. Le PMO n’avait-il pas annoncé, en 2018, qu’un projet de réhabilitation était en cours d’élaboration ? Que nenni.

Faute de n’avoir pu avoir accès au site cette semaine, Week-End se réfère aux témoignages de certaines sources anonymes pour décrire ce triste spectacle. Aux prises avec des problèmes d’humidité et laissé sans entretien depuis son abandon, l’édifice subit au fil du temps une dégradation évidente. La toiture et ses bardeaux auront totalement disparu dans quelques années si l’État ne prend pas au plus vite le taureau par les cornes. Les meubles ont été sauvés de justesse et casés dans un hall, à en croire certaines sources.
Difficile de croire que cette ode au patrimoine mauricien a accueilli la résidence du Secrétaire Colonial et des Premiers ministres qui se sont succédé jusqu’en 2014 , ainsi que d’innombrables personnalités de renom. Un élément qui ne suffit pas à en assurer sa pérennité. Les personnes qui ont eu la chance d’arpenter les lieux ou de garder en mémoire les récits de leurs aïeux décrivent l’atmosphère qui y régnait de tellement singulière. Au temps où elle présidait SOS Patrimoine, Nelly Ardill est allée aux renseignements sur l’histoire de cette demeure. Elle évoque de façon toute particulière la vie confortable menée par la haute bourgeoisie, tant anglaise que mauricienne, de la fin du siècle dernier et du début de ce siècle, dans un cadre enchanteur et sous un climat exceptionnellement doux. Sauvez la Clarisse House de l’effondrement !

Les faits saillants
27 juin 1764 : Terre octroyée en concession à M. Gruchet Vaulbert, qui l’a transférée un mois plus tard à M. François André Darsay et M. Denis Dodin, lesquels l’ont revendue un jour après à M. Jacob.
1779 : La terre est acquise par M. Antoine Rivalz de Saint-Antoine, un ancêtre des familles de Chazal et Chevreau
1794 : La terre est achetée par M. André Nicolas
1824 : Terre achetée par Mme. Sophie Bigaignon
1867 : La maison qui s’y trouve aujourd’hui a été initialement construite par Edmond de Chazal, alors propriétaire de la sucrerie Saint Antoine, qui a acheté ce bien en 1867 en vue de sa retraite. Il appela la maison Clary House, (et non-Clarisse), d’après le prénom de sa femme, née Claire Rouillard. Le domaine avait alors une superficie de 5 arpents et 88 perches.
1876 : Edmond de Chazal connaît des déboires avec le pou à poche blanche et la sécheresse à Saint Antoine. Ses biens sont saisis par la Banque Commerciale qui se porte alors acquéreur de Clary House en 1876.
1883 : La Banque Commerciale, qui avait acheté donc cette maison lors de l’expropriation d’Edmond de Chazal en 1876, la revend à M. John Walter Girout et M. Samuel Bigaignon. Le bien passa la même année à M. Vincent Georges et ensuite à M. Henry Adam, qui l’a dénommé « Le Refuge ».
1886 : Aristide Regnard écrit une lettre à M. Henry Adam à Paris qui dit que « je crois que tu as bien fait de conserver « Le Refuge », et que tu devrais renoncer tout à fait à la ville où vous allez perdre tous les ans le bénéfice de votre séjour à la campagne, mais je ne partage pas, je te le dis franchement, ton idée d’établir une petite chapelle chez toi. »
Date inconnue : M. Henry Adam a vendu ce bien. Ce que nous savons, c’est que les militaires avaient fui la malaria qui faisait rage à Port-Louis et qu’ils achetèrent de l’Anglo-Ceylon à Vacoas 245 arpents en 1898 et 45 arpents en 1900 pour la construction des casernes toutes proches. Ces terres faisaient partie des domaines de Clairfonds et de Bonne Terre, et avaient été acquises par Highlands. Les militaires achetèrent donc à un certain moment « Le Refuge » en vue d’y loger le commandant des troupes. Ils nommèrent ce bien Headquarters House.
1922 : Le gouvernement mauricien acquit 22,87 arpents de la Headquarters House pour Rs 75 000 en vue d’y loger le Secrétaire Colonial. Cette maison fut la résidence de ce haut officiel jusqu’à l’indépendance.
Après 1968 : Après l’indépendance, la maison accueillit des visiteurs de marque jusqu’au moment où elle fut rénovée en vue de devenir la résidence officielle du Premier ministre. C’est alors que le nom de Clarisse House lui fut donné.
L’EX-QG DE LA CCC (1908) : Une réhabilitation couronnée de succès

Les édifices en pierre taillée datant de l’époque coloniale sont nombreux à sombrer dans l’oubli et tomber en ruines dans la capitale, au point où les murs de certaines de ces œuvres architecturales menacent de s’effondrer sous l’effet des fissures profondes. Encore heureux que certains propriétaires et entreprises familiales s’évertuent à orienter leurs dépenses vers la restauration d’édifices historiques mal entretenus, plutôt que vers des constructions neuves. En témoigne la démarche de la Chambre de Commerce Chinoise (CCC) d’investir Rs 30 millions dans la restauration d’un bâtiment centenaire sis à l’angle des rues Corderie et Royale, dont elle est propriétaire depuis 1910. Une restauration menée avec brio !

« Nous avions une lourde responsabilité devant l’Histoire. Il était hors de question qu’on soit les complices de la destruction de ce magnifique édifice qui a contribué à poser les jalons de l’émancipation de la communauté chinoise à Maurice », nous avait confié, en novembre 2022, Pascal Fok Kow, président de la CCC, à propos de la réfection du bâtiment niché sis à l’angle des rues Corderie et Royale, depuis 1908. 17 mois plus tard, force est de constater que les ouvriers contracteur L. C. Raffaut Building, désigné pour la restauration de l’édifice avec le soutien de Cheung Consulting Engineers Ltd, n’ont pas chômé. Si la restauration des pierres taillées a été une formalité pour le contracteur, il a fallu s’atteler à donner un second souffle aux structures en bois composant l’étage, à l’image des fenêtres et des portes.

Au coût de Rs 30 millions
Un travail titanesque, couronné de succès. Un plaisir pour les yeux. Les magnifiques balustres, les linteaux, les colonnes et montants de mur reproduisent de nouveau le style de l’époque coloniale mêlé d’une pointe de modernité. À en croire Pascal Fok Kow, « le bâtiment appartenait à des commerçants arabes avant que la CCC n’en fasse l’acquisition en 1910 pour y établir son quartier général, avant de déménager au 1er étage de la TN Tower, rue Saint-Georges, en 1993. L’édifice est loué à des commerçants, dont un célèbre magasin électronique, à partir de 1993 ». Sur le site de la Surtee Soonee Mussulman Society, il est écrit que « in 1897, they purchased the plot of land at the corner of Corderie and Remy Ollier Streets Port-Louis. Thereafter the name of Anjuman Himayat-Ul-Islam Society was changed into Surtee Soonee Mussulman Society. »

La vétusté du bâtiment devient une source de préoccupation pour les locataires et le propriétaire au milieu des années 2000. Ayant perdu sa police d’assurance, la CCC n’a alors d’autre choix que de fermer définitivement l’édifice qui, laissé sans entretien depuis son abandon, subit au fil du temps une dégradation évidente. Sauf que la CCC n’avait nullement l’intention de laisser mourir ce pan de l’Histoire. Un plan de sauvetage est orchestré en 2019 qui débouche, en 2021, sur l’octroi d’un contrat à L. C Raffaut Building pour la restauration au coût de Rs 30 millions.

Compte tenu du concept de la zone tampon décrétée autour de l’Aapravasi Ghat, la rénovation des bâtiments désuets situés dans les parages de Chinatown est soumise à certaines règles. Du coup, la CCC a dû suivre à la lettre les recommandations de l’UNESCO, qui interdit notamment la construction de bâtiments de plus d’un étage. « On avait l’ambition de construire un autre étage mais, bon gré mal gré, on s’est pliés aux règles. Les travaux au rez-de-chaussée sont quasiment terminés. Le chantier devrait être livré en juillet », soutient Pascal Fok Kow.

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