Pédocriminalité alléguée – Ibrahim Sorefan libéré sous caution : Interdiction de s’approcher d’un enfant, sans exception

La cour insiste que cela concerne aussi un mineur de sa famille L’orthophoniste accusé d’abus par des enfants en situation de handicap sera surveillé à distance par la police

Plus de 7 mois après avoir été accusé d’abus sexuels par 8 enfants de l’école des sourds, l’orthophoniste Ibrahim Sorefan, 24 ans, a recouvré la liberté, jeudi dernier, avec des conditions strictes qui y sont attachées. Les juges de la Cour suprême valident la décision de la Cour de district de Rose-Hill, en août dernier. Ibrahim Sorefan a été interdit d’exercer auprès des enfants, d’en approcher, y compris ceux de sa famille. Il n’a pas, non plus, le droit d’accéder à l’Internet. L’orthophoniste doit aussi produire un téléphone à la police pour l’installation d’un système de localisation et qu’il aura à garder sur lui.

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Les proches d’Ibrahim Sorefan ont exprimé leur soulagement après la remise en liberté conditionnelle du jeune homme. Se confiant sur les ondes d’une radio privée, vendredi matin, le père de l’orthophoniste se dit convaincu de l’innocence de son fils. De leur côté, en apprenant la nouvelle, deux des mamans, dont les fils font partie des enfants qui avaient porté plainte contre Ibrahim Sorefan, nous racontent qu’elles ont reçu un choc. «Mo pa kone ki mo pou panse, ki mo pou dir…», dit l’une d’elles. Toutefois, son fils, confie-t-elle, réagi autrement. «Quand je lui ai dit qu’Ibrahim est désormais en liberté, il m’a regardé et demandé : Ki sa’nn là sa Ibrahim là ? Je lui ai rappelé que c’était son orthophoniste à l’école. Il avait réellement oublié le nom de cette personne. Il va au collège maintenant. Il va mieux et je pense qu’il est passé à autre chose», explique la mère de l’enfant. L’autre maman concède que ce jour-là elle n’avait pas eu le courage d’annoncer la remise en liberté conditionnelle de l’ex-orthophoniste de son enfant à celui-ci. «Mon fils ne va plus à l’école des sourds. Il a réussi ses examens de PSAC, il est en Grade 7 dans un collège. C’est un grand soulagement pour moi», dit-elle.

En attendant son procès au Children’s Court, Ibrahim Sorefan n’a pas droit à une liberté sans conditions. Celles-ci sont strictes, certes, mais la justice et la société ne pourront compter que sur la bonne foi des proches de l’orthophoniste et sur l’engagement de celui-ci pour respecter les conditions attachées à sa liberté. Dans le cas de certaines d’entre elles, il n’y a aucun mécanisme de surveillance pour s’assurer que le présumé agresseur n’ait pas accès à, par exemple des sites pornographiques, voire des enfants.

Dans leur jugement, les juges Rita Teelock et Mohana Naïdoo imposent des restrictions sur l’accès à l’Internet. Ibrahim Sorefan n’a tout simplement pas le droit d’y entrer. «N’importe qui peut prêter son portable ou autre appareil à n’importe quelle personne qui voudrait aller en ligne pour voir n’importe quoi, comme un site pornographique par exemple. L’accès à des sites pédopornographiques est différent, puisqu’on est vite traçable et on connaît les conséquences. Au final, qui saura que ce n’est pas le propriétaire de l’appareil qui a surfé en ligne ?», observe une source qui tient à garder l’anonymat et qui travaille sur ce dossier depuis que l’affaire a éclaté en juin dernier. La Cour ordonne à Ibrahim Sorefan de n’avoir aucun contact avec un mineur, y compris ceux de sa famille. Et notre source de se demander, sceptique: «Qui contrôlera les visites et les fêtes familiales, avec des mineurs, chez la personne qui n’a pas le droit d’avoir accès à des enfants ?»

Hormis une caution de Rs 35,000, une reconnaissance de dettes de Rs 250 000, de se rapporter trois fois par semaine au poste de police de sa localité, Ibrahim Sorefan ne doit pas changer d’adresse sans avertir la Cour. Il  lui est interdit de quitter le pays. Il sera surveillé à distance par la police. La Cour lui a ordonné de «submit a mobile phone to the relevant police department for either (a) the GPS system to be activated thereon or (b) a tracking tool/app/device to be installed on the said mobile phone by the police. The said mobile phone is to physically remain with the Applicant at all times and the relevant mobile number is to be provided to the police and should remain switched on for the Applicant to be reachable at all times.” Il a été sommé de «not approach and/or engage in any sort of communication whatsoever with any person, other than the authorities (and his employer, if the need should arise in relation to his employment), in connection with the present case either in person or by means of any technology or mobile phone or desktop/mobile application/s or social media platform, including but not limited to email, whatsapp, facebook, messenger, google, twitter, inter alia.»

Ibrahim Sorefan avait retrouvé la liberté plus tôt, soit en août dernier. Mais le Directeur des Poursuites Publiques avait fait appel contre la décision émise par la magistrate Deepti Bismohun et l’orthophoniste a été reconduit en cellule. Les juges Rita Teelock et Mohana Naïdoo estiment que cette dernière n’avait, alors, pas appliqué des conditions plus sévères: «We find that the learned Magistrate carried out the exercise of “weighing the interests of society against the right of the defendant or detainee to his liberty and the prejudice he is likely to suffer if he is detained in custody” (section 4(2) Bail Act) and thereafter she proceeded to impose appropriate conditions to ensure that the respondent appears at his trial and does not interfere with the course of justice. Even though we are of the view that more stringent conditions could have been imposed, this is not sufficient by itself for this motion paper to succeed on this particular point. In any event this is easily cured by this Court imposing a few additional conditions which we propose to do.»

Elles poursuivent: «We also find that although the prima facie evidence on record sheds light on the strength of the evidence available with regard to the offences, this is not a ground in itself for refusing bail in the present matter as it is only one of the considerations to be taken into account by the Court.» Ibrahim Sorefan a été interdit de s’approcher directement ou indirectement du personnel de l’école des sourds, et de travailler avec des enfants.

Une affaire particulière

Cette affaire de pédocriminalité en milieu scolaire spécialisé est à ce jour la première où de nombreux enfants – plus d’une vingtaine, dont une fillette de 5 ans, selon nos informations – ont formulé les mêmes accusations à l’encontre d’un membre du personnel. Ibrahim Sorefan fait face à 8 accusations provisoires. Huit enfants ont consigné une déposition à la police, ce qui reste un nombre important dans un tel cas criminel. Filles et garçons, les enfants ont raconté aux enquêteurs, psychologues et à leurs proches que le suspect les ont fait voir des vidéos à caractère pornographique pendant les thérapies. Ibrahim Sorefan travaillait avec les enfants individuellement. Il y aurait eu des attouchements. C’est l’attitude d’un élève de l’école qui a attiré l’attention d’une enseignante, au mois de juin 2022. L’enfant, voyant l’orthophoniste venu chercher un élève en classe pour une session, s’est caché sous la table. Il a alors expliqué son geste à l’enseignante…

Son recrutement soutenu par le board de l’école

Ibrahim Sorefan n’a exercé que pendant un mois seulement à l’école des sourds de Beau-Bassin. Et ce, sans avoir été au préalable enregistré auprès de la Special Education Needs Authority (SENA). À l’époque, tous les regards étaient braqués vers cette autorité pour comprendre pourquoi Ibrahim Sorefan, contrairement à tous les membres du personnel d’une école pour enfants à besoins spéciaux, avait échappé aux procédures. «La réponse devrait venir du côté du conseil d’administration de l’école», nous confie une autre source en évoquant un lien de parenté entre le suspect et un membre du conseil d’administration. «Dans le cas d’Ibrahim Sorefan, les parents d’élèves ne savaient même pas qu’il avait été recruté. D’habitude, ils sont formellement avertis quand il y a un recrutement», ajoute cette source.

Questions à Virginie Bissessur, psychologue clinicienne et directrice de Pédostop : «Nous  sommes persuadés que les enfants disent la vérité»

— Pédostop a suivi cette affaire de près. Comment réagissez-vous après la libération conditionnelle d’Ibrahim Sorefan pour allégations d’abus sexuel sur plusieurs enfants en situation de handicap ?

En effet, Pédostop a suivi et accompagné certaines familles depuis le début de cette affaire. Nous sommes dans un pays de droit, une démocratie. Ibrahim Sorefan n’a pas encore été jugé coupable, il est légitime qu’il exerce ses droits. Cependant, à Pédostop, nous sommes persuadés que les enfants disent la vérité et que toutes ces petites victimes ne peuvent mentir. Elles doivent être écoutées par la justice.

— Comment expliquer à un enfant encore traumatisé qui a, d’une part, eu le courage de dénoncer un adulte et, d’autre part, eu à faire face aux enquêtes et procédures pénibles, que son présumé agresseur est à nouveau en liberté ?
C’est très délicat, car les procédures judiciaires sont déjà difficiles à comprendre pour un adulte et pour un enfant, c’est encore plus compliqué. Le travail de nos avocats est justement d’accompagner les enfants et leurs familles et de leur expliquer les différentes étapes de l’enquête, puis du procès. Les victimes d’abus sont aussi suivis par les psychologues affiliés à l’association, afin de les aider à donner du sens à ce chaos autour d’eux depuis qu’elles ont dénoncé leur agresseur.

— Est-ce que l’enfant ne risque pas de perdre confiance en la justice, ne comprenant pas comment celle-ci fonctionne ?
Tout à fait, dans la tête d’un enfant, c’est un raccourci facile à faire. À l’école ou à la maison, quand ils font une bêtise, les enfants sont sanctionnés immédiatement. Il faut leur faire comprendre que le temps de la justice n’est pas le temps ordinaire dans lequel nous vivons. En attendant, nous devons faire de notre mieux avec les familles pour les aider à gérer cette frustration.

— A partir de là, comment accompagner et encadrer cet enfant dans son quotidien ?
Pédostop a apporté un soutien psychologique ainsi que légal aux jeunes victimes, mais le plus gros travail est fait par les familles. Ces mères-courage qui ne baissent pas les bras et qui réclament justice pour leurs enfants, je les salue, car elles ont écouté leurs enfants et cru en eux. Elles ont frappé à toutes les portes, afin d’aider leurs enfants. Elles sont attentives au quotidien aux émotions de leurs enfants qu’elles essaient d’accompagner et de contenir au mieux. Gérer un enfant traumatisé, ce n’est pas facile. En plus de cela, il faut que les mères gèrent leur propre souffrance, toute la colère qu’elles peuvent ressentir. Mais elles font tout pour que la vie reprenne le plus normalement pour les enfants, qui ont besoin du réconfort dans la routine : aller à l’école, jouer avec leurs amis, faire de activités… être tout simplement un enfant.

— Est-ce que le trauma d’une victime d’abus sexuel peut amplifier si celle-ci se rend compte que son agresseur est en liberté, conditionnelle ou non ?
Oui, cela peut arriver. Le fait de savoir que cette personne est libre et peut potentiellement re-apparaître dans sa vie génère du stress à toute victime. Le sentiment de perpétuelle insécurité refera surface, cette impression d’être en danger constant, de devoir être en mode hypervigilance… On sait combien cela est épuisant sur la santé mentale de n’importe quel être humain.

Sabrina Quirin

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