PÈRE LAVAL: Sa « retraite préparatoire » en Angleterre avant d’arriver à Maurice

Lorsqu’en 1841, le Père Laval, sans esprit de retour, quitte sa Normandie pour Maurice, il séjourne d’abord environ trois semaines en Angleterre. Une période peu évoquée dans les ouvrages consacrés au Bienheureux, mais sur laquelle nous éclaire le père Bernard Hym, responsable du pèlerinage de Sainte-Croix. En attendant le bateau pour venir à Maurice, le prêtre missionnaire français y vivra un cheminement tant spirituel que physique. « Ce dépouillement de lui-même qu’il a vécu à Londres est quelque chose qui l’a spirituellement préparé à ce qu’il allait trouver ici à Maurice », estime le père Hym. Cette attente « a aiguisé son amour pour les Mauriciens ». Le Père Laval parlait pour sa part de « retraite préparatoire » à ce ministère qu’il allait exercer auprès de ses chers Noirs.
« Le Père Laval a transité par l’Angleterre parce qu’à cette époque, les Anglais étaient propriétaires de Maurice. Il n’était pas question qu’on vienne en bateau de la France », indique le père Hym, d’origine parisienne, exerçant dans le pays depuis 24 ans.
Jacques Désiré Laval a 38 ans lorsque Mgr Collier lui demande de se consacrer entièrement aux Africains de Maurice récemment sortis de l’esclavage.
S’il y a très peu de choses qui se passent lors de son séjour à Londres, en revanche, le père Hym y voit quelque chose de passionnant. « Il y a un cheminement spirituel et en même temps physique parce que pendant ces trois semaines, au moins, matin et soir, il faisait une heure et demie de marche à l’aller et une heure et demie de marche au retour. Il faisait à peu près six heures de prières le matin et trois heures l’après-midi. Sa journée était bien remplie et il disait : “Je fais cela comme une retraite préparatoire à la Pentecôte pour ceux vers qui je suis envoyé”. »
Ce temps d’attente du Tanjore pour mettre le cap sur Maurice « a aiguisé son amour pour les Mauriciens. Cette attente de les voir mûrissait en lui. Il disait : “Je meurs d’impatience d’être avec mes Noirs à Maurice” », souligne le père Hym. Au vrai, cette soif de travailler auprès de ces derniers aura été nourrie par les expériences de sa vie, par un besoin de se rattraper après s’être dévié de sa vie spirituelle. « Quand il était médecin, il pensait que son dévouement auprès des malades était ce que le Seigneur lui demandait. Et puis, quand enfin il décide de devenir prêtre après une chute de cheval où il a failli mourir, pour lui c’est du non au tout. Il décide qu’il va être missionnaire en Chine. Il entre chez les Lazaristes et devient missionnaire en Chine. Son directeur spirituel lui dit : “Tu as 32 ans, tu vas partir en Chine ? Retourne dans ton diocèse, tu feras du bon travail”. Et, de fait, en deux ans, il a transformé sa paroisse à Pinterville. » Pour Bernard Hym, ce besoin profondément ressenti du Père Laval de se rendre ailleurs, de se dévouer en mission, découle de la conscience que « pendant un temps il avait abandonné la religion et qu’il avait donné un mauvais témoignage. Il ressent donc le besoin de se rattraper ».
Abandon total
S’y ajoute par ailleurs cette constante impression chez Jacques Désiré Laval qu’il n’en fait pas assez. « Il continue d’être persuadé qu’il n’a rien fait à Pinterville alors qu’il a transformé sa paroisse. Et, il dit : “puisque je ne fais rien, ce serait bien… Là bas, au moins, (NdlR : Maurice), je pourrai faire quelque chose. Et, quand il sera ici, il fait beaucoup et il dira encore qu’il ne fait rien ! »
Ce qui est par ailleurs intéressant de ce séjour du Père Laval à Londres, c’est qu’on peut y découvrir cette facette de sa personne qui ne deviendra que plus patente lors de l’exercice de son ministère à Maurice. Jusqu’à l’avant-veille de son départ, il demeure sans linge de rechange. Et, « dans le bateau, il est malade, et est sur le point de mourir. Mais, il est tellement peu préoccupé de lui-même. Il parle des autres, est davantage préoccupé pour eux. C’est quelqu’un qui va servir mais qui n’existe pas dans sa manière d’être. Vraiment, c’est un abandon total. Je trouve que ce dépouillement de lui-même qu’il a vécu à Londres est quelque chose qui l’a spirituellement ouvert à ce qu’il allait trouver ici à Maurice », observe le père Hym.
Ce désir de rencontrer enfin ses nouveaux fidèles ne fait que grandir lorsque le Tanjore, après 100 jours de traversée, entre en rade de Port-Louis le 13 septembre 1841. En effet, observant comme d’autres le “lundi cordonnier”, l’officier de santé qui doit visiter le navire, qui est arrivé vers 15 heures, remet son inspection au lendemain. « Le Père Laval reste tout l’après-midi en face de Port-Louis, ce qui fait encore grandir son désir de servir. Ce n’est que le lendemain, le 14, qu’il débarque à Trou-Fanfaron et, comme c’est le jour de la fête de l’exaltation de la Sainte Croix, il dit à l’évêque, Mgr Collier : « Mgr, quel beau jour pour prendre possession de votre vicariat, quel bon augure pour nos travaux ». Et, les croix ne manqueront pas pour le prêtre nouvellement débarqué…
Jacques Désiré Laval est tout seul pour s’occuper des 80 000 anciens esclaves qui sont à travers toute l’île. « Il ne pourra courir partout, c’est pas vrai. Le sacristain et secrétaire de la Fabrique de la Cathédrale, Alphonse Lavoipierre, l’aide à rencontrer le personnel de l’église, d’anciens esclaves. Parmi le personnel, il y en a qui ne sont pas mariés, certains ne sont pas baptisés et c’est ainsi qu’il va faire son travail. » Le personnel fait connaître sa présence et ils sont de plus en plus nombreux à venir le voir. « Il a l’intelligence de dire “des gens qui viennent de sortir de l’esclavage ne seront jamais rentrés dans la cure de la Cathédrale. Il se fait construire un petit go down à côté, il fait ouvrir une porte et à longueur de journée il va recevoir des gens et dès qu’ils commencent à être trop nombreux, il forme un estropié qui va devenir le premier catéchiste des gens. C’est lui qui reçoit dans la petite salle à côté de la cure et le soir le Père Laval complète ».
La prison se vide
Quant aux prisonniers, selon le père Hym, personne ne voulait s’en occuper. « Laval accepte de s’en occuper. Le dimanche, il fait un peu de catéchèse. À partir du moment où il leur a donné l’Évangile, qu’il leur a fait comprendre que le Christ est venu pour eux aussi, il y a une chose qui se passe, la prison de plus en plus se vide des créoles parce qu’ils ont trouvé une espérance, quelqu’un qui les aime, qui les respecte. Et ils trouvent leur propre dignité ». Et, les personnes qu’il a ainsi formées deviennent elles-mêmes les formateurs de leurs frères. Ce qui a pour conséquence, « des maisons à travers l’île qui vont être trop petites pour accueillir les gens et qu’on transformera finalement en petites chapelles. On a une île Maurice qui va se couvrir de chapelles non pas parce que le Père Laval aimait les chapelles mais parce que les communautés grandissaient et avaient besoin de lieux pour se rassembler ». La messe était alors très irrégulière, le Père Laval ayant passé cinq ans à s’occuper tout seul des Noirs. Par la suite, est arrivé un prêtre en 1846, un autre en 1847, et un père et un frère en 1848.
Ces chapelles permettaient aux gens de se rassembler, prier ensemble et de se préparer aux sacrements. Rien que dans la capitale, on dénombrait ainsi 16 lieux de culte de la mission de Noirs.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -