Développer la Blue Economy, oui, mais à quel prix ? Depuis un mois, alors que le pays et le monde entier font face à une flambée des cas de contamination et de décès dus au Covid, le gouvernement mauricien a proposé un projet de loi. Et pas des moindres. L’Offshore Petroleum Bill amené à remplacer la Petroleum Act et qui ambitionne de positionner l’île Maurice comme un “Regional Petroleum hub” dans la région, permettant ainsi l’exploration et l’exploitation pétrolière de notre Zone économique exclusive (ZEE), soit dans cet océan Indien sanctuaire pour mammifères marins, riche mais extrêmement fragile. Les écoactivistes ainsi que plusieurs membres du Parlement n’ont pas tardé à réagir.
“The object of this Bill is to repeal the Petroleum Act, a legislation which dates back to the year 1970, and replace it with a new and more appropriate regulatory regime for the conduct of petroleum activities in the seabed and subsoil areas of the maritime zones of Mauritius, such as the prospecting, exploration, retention and production of petroleum.” C’est ce qui est indiqué dans l’Explanatory Memorandum de l’Offshore Petroleum Bill daté du 15 octobre, soit dit en passant, deux semaines avant la tenue du haut sommet climatique, la COP26, et quelques semaines après la marche symbolique de Rezistans ek Alternativ dans la capitale. Avec la pandémie et la crise économique qui en découle, les États du monde semblent tous avoir oublié les bonnes résolutions pour une économie circulaire plus verte, moins dépendante des énergies fossiles, qui ont prouvé, finalement, qu’au-delà de gagner de l’argent, l’on y perdait plus : notre planète.
D’ailleurs, la semaine dernière s’est tenu le World Petroleum Congress au Texas, aux États-Unis, où les leaders mondiaux de pétrole se sont rencontrés pour rappeler que la transition énergétique de l’énergie fossile à une énergie plus verte doit se faire graduellement. “I understand that publicly admitting that oil and gas will play an essential and significant role during the transition and beyond will be hard for some”, a ainsi déclaré Amin Nasser, Chief Executive de Saudi Aramco et d’ajouter que “admitting this reality will be far easier than dealing with energy insecurity, rampant inflation and social unrest as the prices become intolerably high and seeing net zero commitments by countries start to unravel.”
«There is an opportunity for working petroleum systems to develop»
Ainsi, le monde ne serait pas encore prêt à changer ses vieilles habitudes, pourtant néfastes. Et à Maurice, malgré la levée de boucliers des experts en environnement mauriciens (voir réactions plus bas) contre ce projet de loi en inadéquation avec ce qui a été dit à la COP26 par hasard, il semblerait qu’avec la deuxième lecture du projet de loi au Parlement, durant la semaine, les choses pourraient passer à la vitesse supérieure. D’ailleurs, cette histoire ne date pas d’hier, car il avait été annoncé en octobre dernier que la compagnie française (Compagnie Générale de Géophysique) CGG — dont l’État a retenu les services, bien en amont de la présentation officielle du projet de loi cette année —a identifié quatre sites potentiels pour l’exploration pétrolière dans la ZEE mauricienne.
En effet, sur le site officiel du CGG, un article datant de 2019 parle déjà du potentiel que représente l’océan indien. “The best indication that a marine frontier region has exploration potential is the presence of continental crust, where there is an opportunity for working petroleum systems to develop in thick sedimentary basins. In this setting, the best chance for continental crust is the occurrence of micro-continents. Legacy geophysical and geological data suggest that oceanic crust is pervasive throughout the West Indian Ocean, forming the Comoros and Glorioso Islands, Mauritius and much of the submarine ridge between Mauritius and the Seychelles.”
Une découverte de taille. “Further hints to the existence of continental crust come from more recent geophysical and geological data. Studies on refraction seismic and gravity data in 2013 indicate that the continental platform on which the main Seychelles Islands are located may extend further to the west and south-west. To the south, evidence is also building for Mauritius, with gravity survey analysis indicating an anomalously thick crust of 25-30 km compared to the 5-10 km thick surrounding oceanic crust. This was supported by a geological study that showed that zircons found on Mauritius were of continental origin with varying ages of 660-1971 Ma.” Des technicités pour le commun des mortels, mais qui démontrent clairement que l’intérêt est bel et bien là, et que Maurice est bien partie pour intégrer le cercle des pays producteurs pétroliers.
Exploiter les ressources dans la zone de gestion conjointe (JMA)
Par ailleurs, dans un article du Point Afrique, l’on parle même de “la nouvelle géopolitique de l’océan Indien”, avec “la découverte d’un gisement considérable de gaz exploitable dans le canal du Mozambique. Cette découverte constitue une opportunité de développement, mais aussi un risque sans précédent. Le gisement est évalué en 2012 à 441,1 mille milliards de mètres cubes de gaz naturel et 13,77 milliards de barils de gaz naturel liquide, soit l’équivalent des réserves de la mer du Nord ou du golfe Persique. Il est identifié à Madagascar et aux Seychelles, tandis qu’au Mozambique et en Tanzanie il est déjà en phase de production.” Avec la pandémie, les États tentent d’extraire là où ils peuvent, du profit pour se relever de la crise Covid.
Aux Seychelles, en 2018, l’on annonçait déjà ce nouveau projet où figurait le nom de Maurice, comme le rapportait la Seychelles News Agency en 2018 : “Une nouvelle étude visant à explorer les réserves potentielles de pétrole devrait débuter dans une zone gérée conjointement par les Seychelles et Maurice. Patrick Joseph, directeur général de PetroSeychelles, a déclaré mardi à la SNA que les deux pays souhaitaient exploiter les ressources potentielles pouvant être présentes dans la zone de gestion conjointe (JMA). «Pour y parvenir, nous devons savoir ce qu’il y a à cet emplacement. Ceci peut être réalisé en effectuant des levés sismiques dans un premier temps et en forant plus tard. Le meilleur moyen d’obtenir ces données acquises consiste à mener une enquête auprès de plusieurs clients dans le cadre duquel un sous-traitant en systèmes sismiques procède à celle-ci à ses frais et vend les données à plusieurs parties intéressées ».”
Et d’ailleurs, ce n’est pas la première fois que les journaux en parlent. Pour rappel, en 2018, plusieurs citoyens, dont le collectif citoyen “Say No To Petroleum Hub”, s’étaient mobilisés pour dire “non!” à la construction d’un port pétrolier à Albion. Malgré les mobilisations, il avait été annoncé l’an dernier que l’étude de faisabilité par un Joint Working Group comprenant la State Trading Corporation, l’Indian Oil Corporation Ltd et le Mangalore Refinery and Petrochemicals Ltd a été complétée et transmise au IOCL et au MRPL pour les signatures.
Affaire à suivre…
Rezistans ek Alternativ
« On invite le Premier ministre à souscrire au traité de non-prolifération des énergies fossiles »
Rezistans ek Alternativ avait organisé il y a quelques semaines une marche symbolique dans la capitale pour tirer la sonnette d’alarme sur ce projet de loi. Nous publions ci-dessous quelques parties du communiqué émis par le parti sur sa page Facebook, en réaction aux débats parlementaires durant la semaine :
« Rezistans ek Alternativ a appris avec effroi la présentation du projet de loi The Offshore Petroleum Bill à l’Assemblé nationale le mardi 7 décembre par nul autre que le Premier ministre Pravind Jugnauth. Il aurait fallu un mois après le tollé que l’annonce de cette loi a suscité ; après la manifestation symbolique de Rezistans ek Alternativ à Port-Louis ; de la COP26 sur le climat, pour que Pravind Jugnauth fasse encore une fois fi de tout bon sens et revienne avec une loi privilégiant la mort sur la vie. Une loi permettant le forage et l’exploitation du pétrole dans les eaux territoriales mauriciennes (…)
Alors que le monde s’oriente de plus en plus vers la reconnaissance des crimes contre la nature, les écosystèmes et la planète, Pravind Jugnauth décide de faire la République de Maurice aller à contre-courant de la sauvegarde de la vie. L’exploitation des gisements de pétrole qu’elle soit sur terre ou sur mer constitue une grave atteinte à la vie. Non seulement les forages se font en détruisant les écosystèmes pour l’extraction du produit pétrolier, mais l’utilisation de ce produit sous n’importe quelle forme est aujourd’hui universellement reconnue comme principal émetteur de gaz à effet de serre (…) Il est tout à fait lâche et inopportun que Pravind Jugnauth vienne proposer ce projet de loi aux enjeux capitaux pour notre société et la planète alors que la population mauricienne est préoccupée à survivre à une situation sanitaire sans précédente. Rezistans ek Alternativ invite le Premier ministre a au contraire souscrire au traité de non-prolifération des énergies fossiles (https://fossilfueltreaty.org/) comme les plusieurs milliers d’individus, de cités et d’organisations comme Rezistans ek Alternativ l’ont déjà fait.
Aux membres de l’opposition parlementaire, il est de votre devoir de vous opposer à cette loi en prenant position contre l’utilisation des énergies fossiles. Aussi pour envoyer un signal fort au gouvernement et au monde pour isoler le MSM sur cette politique de la mort il est de votre devoir de souscrire vous aussi à ce traité de non-prolifération des énergies fossiles (https://fossilfueltreaty.org/). Ne pas faire cela vous rangera du côté de ces passéistes qui, même face à la destruction de notre planète, demeure insensible et continue de privilégier une politique de la mort. »
Adi Teelock
(Platform Moris Lanvironnman) : « Le gouvernement n’a pas à cœur le combat contre le changement climatique »
« Dans son summing-up des débats, le Premier ministre a vainement tenté d’expliquer que l’extraction du pétrole en mer qu’autorise la nouvelle loi n’est pas en contradiction avec les engagements de Maurice contenus dans la Nationally Determined Contribution (NDC) dans le cadre de la COP26. Il a simplement fait une déclaration pour dire que “net-zero emissions” ne veut pas dire arrêt de l’utilisation des énergies fossiles sans aucunement faire la démonstration que les mesures d’atténuation promises dans la NDC et au-delà vont contre-balancer les émissions de gaz à effet de serre (GES) additionnelles dont Maurice sera responsable suite à l’extraction pétrolière. Il est fort probable au contraire que l’exploration sous-marine et l’extraction de pétrole auront un impact doublement négatif, car également nuisible aux puits (absorbeurs) de carbone marins, par exemple le gigantesque herbier marin de Saya de Malha. Comme l’a si justement dit le UN Special Rapporteur on Toxics and Human Rights, Marcos Orenella, cette loi est en contradiction directe avec toutes les actions climat de Maurice. En énumérant les petits pays insulaires qui ont dans le passé décidé de faire de l’extraction pétrolière sur leur territoire — remontant aussi loin que 1978 ! –, il a démontré qu’il est en fait à court d’arguments. Car comment peut-il, après avoir déclaré que nous sommes, en 2021, en urgence climatique s’appuyer sur des décisions prises en 1978 ou même il y a dix ans pour justifier sa décision présente ? Faire, en 2021, du pétrole un axe majeur de diversification économique — car il y a aussi la transformation du port en Petroleum Bunkering Hub — est à contresens de l’action climatique. Quant à l’utilisation de l’exemple de la prospection sismique par Shell au large de la côte orientale sud-africaine dans une aire essentielle de reproduction et d’alimentation pour les baleines et autres espèces marines, le Premier ministre, ou ses conseillers, a fait preuve d’une totale méconnaissance de l’extrême nocivité de cette méthode de prospection pour ces espèces. Ce qui n’augure rien de bon pour l’avenir. »
Shaama Sandoyea
(écoactiviste et biologiste marine) « Ce projet de loi est une injustice envers les îles, la planète ! »
« Ce project de loi voté au Parlement est un des pires projets de loi que ce gouvernement ait pu présenter, parce que, déjà, on a vécu une marée noire l’an dernier… donc, on comprend à quel point l’huile, le pétrole est néfaste pour l’environnement, la planète, mais également pour la santé des gens. Et malheureusement, on voit clairement que le gouvernement ne comprend pas cela et il est insensible vis-à-vis de la souffrance des Mauriciens et des gens qui ont perdu leur gagne-pain, et des gens qui souffrent encore de cela et moi ce que je trouve encore plus dangereux, c’est que quand on parle de la crise climatique, de la crise écologique, ce n’est pas là un choix. Ce n’est pas comme si l’on avait le choix de se réveiller un jour et de décider de s’occuper de la crise climatique. Non, ce n’est pas cela !
La crise climatique est une urgence et qui demande qu’on la traite comme une urgence. On ne peut pas aller à la COP26 pour demander des fonds et le lendemain, on va continuer à faire du pétrole, continuer à exploiter ce qu’il y a dans nos mers, dans nos océans, qui restent un espace public. Il n’est pas uniquement question d’extraire du pétrole des eaux mauriciennes, mais cet océan nous appartient aussi, et c’est un océan que nous partageons avec les Rodriguais, Réunionnais, Malgaches et Seychellois. Et on ne peut pas prendre de telles décisions, sans réaliser que c’est une communauté de pêcheurs qui connaît plus que ceux assis au Parlement qui est concernée. De plus, l’on sait que l’océan Indien est un des océans les moins protégés de la planète, en termes de sécurité et qui est le plus exploité pour la pêche, car le gouvernement a signé des accords de pêche au thon dans nos mers. Ce qui fait que nous sommes dans une situation de surexploitation des espèces dans l’océan Indien avec, notamment quatre espèces de thon qui sont en voie de disparition.
Nous avons aussi un déclin dans la population des requins dans l’océan Indien qui reste un sanctuaire pour les mammifères avec beaucoup de baleines. Il y a aussi le point Saya de Malha, entre les Seychelles et Maurice, qui est un point chaud et riche en biodiversité, avec beaucoup de coraux, d’herbiers marins, de poissons, de baleines qui passent par là-bas. Donc, l’océan Indien est un océan extrêmement riche en ressources, mais au lieu de le préserver, on essaie de l’exploiter et d’aller en plus y chercher du pétrole ! C’est du n’importe quoi. Et même si le gouvernement a effectivement le vote majoritaire au Parlement, cela ne veut pas dire qu’il représente le peuple, car les générations à venir n’ont pas eu leur mot à dire et cela est déplorable, sachant que personne ne nous a écoutés, nous les activistes et écologistes qui avons crié pour dire “non”, car ces choses-là sont contre la science. Et le pire c’est que là, ce n’est qu’un projet de loi, et que le gouvernement a l’ambition de créer un Bunkering Hub près du port et pour exploiter les fonds marins. Ce projet de loi est une injustice envers les îles, la planète ! Depuis deux ans, Fridays For Mauritius milite pour des actions plus écologiques, mais en vain. »