PLAGES PUBLIQUES : Diminution au profit des “petits copains”

 88 : tel est le nombre de plages publiques dont peuvent jouir gratuitement Mauriciens et touristes. Si le nombre paraît énorme, il faut savoir que le pays ne compte qu’environ 40 km de plages publiques pour plus de 300 km du littoral accaparé par bungalows et hôtels. Or, le gouvernement se targue d’avoir récemment offert une dizaine de plages publiques aux Mauriciens. Ce, alors que ces plages publiques nouvellement proclamées (39 arpents et 16 perches) sont considérées comme des plages de 2e grade, notamment des zones côtières inappropriées car parsemées de déchets et à proximité des embouchures.
Le rétrécissement graduel des plages publiques provoque la colère et la frustration des Mauriciens qui voient là le signe qu’on restreint l’accès à l’un des rares loisirs qu’il leur reste. D’autant que la Beach Authority (BA) multiplie la délivrance de permis aux plagistes avec, pour conséquence, transats et parasols sortant de sable, zones de baignades étriquées, au profit d’activités nautiques.
Parallèlement, certaines portions de plages ont été déproclamées sans que le public ne soit au courant. C’est le cas à Trou aux Biches où 248 m2 de plage publique ont été déproclamés et alloués aux Sungkur pour un projet de restauration familiale. Si les écologistes et simples citoyens mauriciens dénoncent ces découpages au profit du “développement”, le gouvernement, lui, fait fi des protestations. Cela, sous prétexte qu’il s’agit “d’une politique de démocratisation” de l’économie. Aujourd’hui, les pique-niqueurs sont parqués dans des espaces de plus en plus restreints, nos plus belles plages – si pas prises par les hôtels – étant accaparées par des petits commerces “favorisés” par les autorités. “Ces emplacements commerciaux sont nécessaires”, défend la BA qui voit là un moyen de se faire plus d’argent. En dépit de la polémique entourant l’accaparement de nos plages, Subhash Seeruttun persiste et signe: “Il y aura encore plus de bâtiments qui seront construits sur nos plages.” Ce qui, selon lui, permettra à la BA de louer ces bâtiments et de générer quelque Rs 2-3 millions annuellement.
Pas de possibilité de contester la déproclamation d’une plage publique
Analysant la situation, l’océanographe et ingénieur en environnement, Vassen Kauppaymuthoo rappelle que Maurice a été une ancienne colonie française et que historiquement, les pas géométriques décrétés découlent de l’arrêté Decaën de 1804, comme c’est le cas dans d’autres pays. Cependant, dit-il, contrairement aux autres pays, comme c’est le cas à La Réunion, les pas géométriques sont restés accessibles, soit du domaine public. “Ces terres sont inaliénables, inprescriptibles d’après l’article 538 du Code civil. On ne peut pas louer ou vendre ou privatiser, car cela fait partie du domaine public maritime”, dit-il. S’il existe des lois mauriciennes permettant aux autorités de louer les pas géométriques et au gouvernement de déproclamer et proclamer les plages publiques, le procédé utilisé est contestable, dit-il.
En effet, toute proclamation ou déproclamation de plages publiques se fait au gré du ministre des Terres et du Logement qui informe simplement la population de sa décision à travers une notice dans la Government Gazette. “C’est uniquement un processus administratif/politique par lequel le ministre déproclame une plage publique sans aucune consultation au préalable avec la population, soit sans laisser au citoyen la possibilité de contester cette décision”, observe Vassen Kauppaymoothoo. Et de citer en exemple le cas de Trou aux Biches où une partie de la plage publique, même exiguë, a été déproclamée et offerte à un promoteur. 
À l’étranger, respect de l’intérêt public de la plage
“C’est le contraire qui se fait à l’étranger”, fait ressortir l’océanographe. “En France et en Corse, il existe le Conservatioire du Littoral qui reprend et rachète toutes les concessions qui ont été données sur le domaine public dans le passé. Cela, en vue de conserver le littoral pour qu’il ne soit pas obstrué”, dit-il. Citant les plages du Brésil en exemple, il explique qu’à Rio, également, la plage fait partie du domaine public. “Or, les autorités ont créé, après les plages, un passage piéton, ensuite vient la route, et ce n’est que de l’autre côté de la route que l’on trouve les hôtels”, dit-il. Ce schéma a été adopté par de nombreux pays qui respectent l’aspect d’intérêt public de la plage et la liberté de circulation dans le domaine public, fait ressortir Vassen Kauppaymoothoo. Selon lui, à travers la déproclamation d’une partie de la plage de Trou aux Biches dans le but d’y ériger un restaurant, par exemple, le gouvernement vient montrer qu’il n’a pas compris certains des enjeux environnementaux du pays. Et de rappeler que les constructions sur les plages – outre l’incompatibilité hygiénique de convertir des toilettes publiques en restaurant – causent de sérieux problèmes d’ordre écologique.
“Les constructions, surtout dans un espace limité, contribuent à déstabiliser le sable et accentuent le phénomène de l’érosion”, dit-il. Et de faire ressortir qu’en plus, à Trou aux Biches, il n’existe aucun réseau de tout à l’égout. “Que se passera-t-il pour les eaux usées?”, demande-t-il, soulignant, par-là même, que la section 24 de l’Environnement Protection Act préconise que toute construction de nature sensible doit disposer d’une EIA Licence. Pour l’ingénieur en Environnement, l’État devrait annuler ce type de construction et enlever toutes les constructions ou business installés sur nos plages, et donner la place pour que les Mauriciens puissent profiter d’un des rares trésors qu’il nous reste et pour lequel il faut se battre.
Bataille nationale
Si les habitants du Nord et les écologistes ont déterré la hache de guerre à travers la première mobilisation citoyenne, tenue dimanche dernier à Trou aux Biches, pour dénoncer l’octroi de ce terrain de 248 m2 au Pandit Sungkur, la bataille est nationale. Le syndicaliste Jack Bizlall rappelle que, de par notre statut de pays démocratique, les plages appartiennent à tous les Mauriciens et qu’elles ne peuvent être bradées au profit d’un seul individu. Estimant que “Trou aux Biches est le symbole de l’accaparement de nos plages”, le syndicaliste fait ressortir que “la guerre est déclarée; il faut dissoudre la Beach Authority.” Tenant également le PM pour responsable de la situation qui prévaut, Jack Bizlall envisage d’envoyer une lettre à Navin Ramgoolam, cette semaine.
Georges Ah Yan, porte-parole de la Platform pou Sov nou Lapaz, abonde dans le même sens. Il fait ressortir qu’”outre le manque de transparence de l’octroi des terrains à bail pour que des petits copains établissent leur business sur le littoral, la BA fait également preuve de malhonnêteté.” Selon lui, “en laissant des bâtiments déjà construits dans le passé sur nos plages à l’abandon, et en construisant de nouvelles infrastructures et ensuite venir dire que les anciens bâtiments tombent en ruine et doivent être rénovés car ils représentent des eyesores, la BA est en train de leurrer la population au profit des petits copains.” “Demin, pou ena bâtiment lor bâtiment, public pa pou ena plass pou alé, et nou zenfan pa pou conne la mer. Pire, touris pa pou vini ek nou leconomie pou en danze. Gouvernma bizin fer attention”, dit Georges Ah Yan. Ainsi, face à la situation, les contestataires appellent à la solidarité de la population pour dénoncer la dilapidation des terres et des plages publiques. Des manifestations nationales seront prochainement organisées.

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