Depuis trois semaines, une nouvelle marque a fait son entrée sur le marché du fast food mauricien : So French. Il s’agit d’une nouvelle entreprise locale qui introduit à Maurice un concept français : la sandwicherie. Autrement dit, un assortiment de sandwiches — qui n’ont rien à voir avec les pains fourrés locaux — de salades et de desserts pour un déjeuner rapide, savoureux, calorique, économique et surtout livré sur place. Portrait de Bruno Fanchette, le promoteur de So French.
Comme beaucoup de jeunes de la génération des années 70, Bruno Fanchette ne faisait pas grand-chose à l’école ce qui causait le désespoir de son père Régis, qui avait fait ses études à Oxford, était directeur de l’Office du Tourisme et qui était une des valeurs sûres de la littérature mauricienne. Quand en 1977, Régis Fanchette obtient un poste dans une organisation touristique internationale basée en Espagne, il emmène son fils dans ses bagages. « Pas pour me faire faire du tourisme ou apprendre l’espagnol, mais pour me faire passer mon bac, ce que je vais finir par faire, de justesse, à Paris », raconte le concerné. Après son bac, et sur les conseils de son père, Bruno se lance dans un cursus hôtelier : il suit plusieurs stages en entreprise avant de décrocher un BTS, en 1985. Après une année d’interruption de ses études pour aller faire son service militaire parce que Bruno a également la nationalité française. Entre-temps il avait rencontré Marie-Paule Nalmlétamby, la fille d’amis de ses parents qui faisait ses études de médecine en France, et l’avait épousée. Diplômé et marié, Bruno commence une carrière dans l’hôtellerie qui va lui permettre de travailler pour plusieurs groupes connus en France, dont le Pullman qui ouvre le PLM Azur à Choisy en 1985 et lui offre un poste de directeur. « Je voulais revenir à Maurice, d’abord pour faire plaisir à mon père, ensuite pour permettre à mes enfants, Amélia et Rodolphe, de découvrir Maurice et finalement parce que l’idée me plaisait bien. J’ai fait partie de l’équipe qui a ouvert l’hôtel, c’était une expérience intéressante mais au bout de deux ans et demi je suis retourné en France. A l’époque, les cadres mauriciens avaient un salaire très inférieur à ceux de leurs homologues étrangers dans l’hôtellerie. Je faisais le travail de directeur mais touchais moins et était moins bien considéré que mon collègue français. » Bruno rentre en Europe et va loger à Bruxelles chez sa mère Aimée, qui avait, entre-temps épousé l’ambassadeur de Maurice en Belgique, le poète Raymond Chasles. Après six mois de chômage, Bruno est engagé par une grosse boîte européenne, spécialisée dans la restauration collective et s’installe à Rouen, où vient le rejoindre sa petite famille. « Je suis passé de l’hôtellerie de loisirs, avec le PLM Azur, à la restauration collective pour faire de la gestion et du management. C’était intéressant, je suis resté huit ans dans la même boîte qui m’amènera de Rouen, à Paris, mais vers la fin, j’ai commencé à vouloir faire autre chose que de passer ma vie dans des réunions où l’on discute des plans menus et où l’on négocie les prix des produits du matin au soir. » Après la restauration collective, Bruno se retrouve à Sea France, une compagnie maritime qui assure la desserte Douvres/Calais, pour être responsable de la restauration sur trois bateaux traversant plusieurs fois la Manche par jour. Il y reste deux ans et demi avant d’être contacté par un cabinet de recrutement pour un poste de directeur dans le groupe hôtelier Envergure afin de gérer un petite chaîne de restauration implantée dans plusieurs régions de France. « J’ai bien aimé ce job qui m’a permis de développer la chaîne ; puis le groupe a décidé de vendre au début de 2003 et j’ai été employé pour m’occuper d’un autre groupe de restauration établi dans des pays européens. » Il y reste quatre ans en tournant sur l’Europe puis le groupe démange et Bruno se retrouve dans un bureau, à Paris. « Mais pas n’importe où à Paris : dans le quartier de la Défense. Je commençais à déprimer dans l’univers de béton de la Défense et je me suis dit qu’il était temps que je quitte le salariat pour me mettre à mon compte. J’ai négocié un départ avec indemnités, en 2004, et je suis revenu à Maurice pour prospecter le marché. Je voulais avoir une petite boutique-hôtel de charme, mais je me suis vite rendu compte que pour réaliser ce projet, il fallait des moyens financiers, un terrain et le soutien d’une compagnie derrière, tout ce que je n’avais pas. J’ai regardé ce qu’il y avait à reprendre, des petits hôtels ou restaurants, les possibilités de travail. Mais je ne me sentais pas prêt, je suis donc retourné en France. »
« Je crois que les Mauriciens sont fatigués de la malbouffe et veulent mieux se nourrir à l’heure du déjeuner. »
Après un bref séjour à Rouen, il est contacté par une compagnie maritime, la Méridionale, qui est basée à Marseille et dessert la Corse et la Sardaigne, qui lui propose un poste de directeur de la restauration pour tout revoir dans les trois bateaux existants et lancer un nouveau pour 2011. « C’était passionnant et j’avais carte blanche. J’ai refait la décoration, les menus, le service des trois bateaux et préparé le lancement du neuf avec 800 passagers. C’était très prenant, mais quelque chose en moi était en train de mûrir. Je me disais que je ne pouvais pas continuer à travailler pour les autres, à travailler en France, à Marseille parce que ma famille était restée à Rouen et j’allais la rejoindre tous les weeks-ends parce qu’on on n’avait pas les moyens d’aller vivre à Marseille. En juin 2011, je pète un plomb et je vais voir mon boss pour lui dire que j’en ai marre, que j’ai envie de lever le pied et surtout de faire quelque chose à moi. Il est très compréhensif et on négocie pour que je reste jusqu’en mars 2012, jusqu’au lancement du bateau. Je voulais revenir à Maurice et j’ai commencé, des juin 2011, à travailler sur un projet pour le faire. Au départ, je voulais ouvrir une sandwicherie avec pignon sur rue. » Je suis sûr que s’il était encore là, Régis Fanchette aurait dit à son fils : Avoir fait ces études, ce parcours professionnel européen pour venir vendre du pain fourré à Port-Louis ? « Je lui aurais répondu la suivante : je suis pragmatique, je sais que je n’ai pas les moyens de mes ambitions en ce qui concerne l’hôtellerie. Il me fallait trouver un créneau qui me permette de lancer un business avec de la marge sans beaucoup investir afin de faire des économies pour réaliser le projet initial : un petit hôtel sympa ou une maison d’hôte. Une sandwicherie à la française — et pas une fabrique de pains fourrés à la mauricienne—, était la chose à faire. Mais j’ai vu le prix des loyers à Port-Louis ou ailleurs : c’était des milliers de roupies pour quelques mètres carrés dans un food court entouré d’autres produits de restauration rapide. Sans compter le prix du pas de porte. » Bruno effectue plusieurs séjours à Maurice pour voir et réfléchir et décide de prendre un local dans une zone industrielle et de faire une cuisine-laboratoire qui lui permette d’aller distribuer son produit directement chez le client. « En attendant de trouver le local, je commence à rencontrer les fournisseurs et je tombe sur le propriétaire de mon local actuel qui me propose en pleine zone industrielle, une cuisine et deux bureaux à aménager. J’avais trouvé ce que je cherchais, j’ai aménagé le local, recruté et formé le personnel et il y a trois semaines So French a commencé ses activités. »
« Nous venons démontrer qu’il est possible de bien manger rapidement, avec de bons produits, des prix compétitifs et, qui plus est, le tout livré sur place. »
C’est quoi So French ? « C’est une sandwicherie, saladerie avec des petits déserts, donc un repas complet. Un pain fourré classique à Maurice, c’est un ingrédient ou deux dans un pain maison ou un bout de baguette. Moi, je propose un pain fait spécialement, à la demande, avec au moins quatre ou cinq ingrédients et de première qualité. C’est un concept français sous le label : classe-croûte. Aux classiques sandwiches et salades françaises ou italienne, j’ai ajouté une touche mauricienne avec de la sauce curry, des épices de vindaye dans une autre sauce. Le tout est fait sur place avec des produits frais et livrés dans des emballages spécialement conçus à cet effet et à des prix compétitifs. » Les débuts de la nouvelle compagnie, qui a nécessité un investissement de plus de Rs 2 millions, sont positifs selon son propriétaire et les commandes commencent à augmenter. « Je crois que ça va marcher parce que nous proposons un produit différent, de qualité. Je crois que les Mauriciens sont fatigués de la malbouffe et veulent mieux se nourrir à l’heure du déjeuner. Ici, quand on veut bien manger, c’est très cher et parfois même trop cher par rapport à ce qu’il y a dans l’assiette. Nous venons démontrer qu’il est possible de bien manger rapidement, avec de bons produits, des prix compétitifs et, qui plus est, le tout livré sur place. » Est-ce qu’il n’est pas stressant d’être seul après avoir toujours travaillé dans la sécurité — tout au moins financière — d’un grand groupe ? « Je n’ai jamais été aussi sûr de moi que quand j’ai lancé So French. Autant j’avais des doutes sur mes capacités quand j’ai accepté de diriger des départements dans les groupes, autant là je suis calme, sûr de moi, serein. Je sais que je suis enfin arrivé au but. Et puis, j’aimerais souligner que j’ai la chance d’avoir une femme compréhensive qui accepte mes coups de tête et mon besoin de changement. Elle m’a laissé vivre ma carrière tout comme je lui ai laissée vivre la sienne. Comme j’étais assez mobile, on ne pouvait pas déménager tous les deux ans. Mais maintenant que je suis rentré définitivement à Maurice et que je travaille pour mon compte, je pense que la famille va venir me rejoindre dans quelques temps. D’ici là, peut être que j »aurais commencé à travailler sur le projet d’hôtel de charme ou la maison d’hôte que j’ai rêve d’ouvrir. »
PORTRAIT : Bruno Fanchette, un Mauricien « So French »
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