PORTRAIT: Dr Clotilde Mircher, spécialiste de la trisomie 21

La trisomie 21 est une maladie encore mal connue provoquée par l’existence de trois chromosomes au lieu de deux, chez un être humain. Ce troisième chromosome est une erreur au moment de la fécondation dont on ignore encore la cause. La seule certitude, c’est que plus l’âge de la mère avance, plus le risque d’avoir un enfant trisomique 21 augmente. La courbe est de 1 sur 2000 naissances à 20 ans et 1% des naissances à 40 ans. Le Dr Clotilde Mircher, qui vient de passer quelques jours à Maurice est généticienne et spécialiste de la trisomie 21. Voici un résumé de son parcours professionnel et son point de vue sur l’évolution du traitement de cette maladie.
C’est à la suite d’une série de rencontres professionnelles que le Dr Clotilde Mircher va se spécialiser dans la génétique. Après ses études de médecine, elle s’intéresse à l’étude de l’anesthésie générale et tombe sur les travaux d’un des enseignants de sa faculté qui vont la passionner : le Dr Jerôme Lejeune. C’est ce dernier qui, dans un article publié en 1959 avec deux collègues, donne un nom à la maladie connue depuis le 19ème siècle comme étant le syndrome de Down ou le « mongolisme ». Le Dr Lejeune révèle que cette maladie est causée par la présence d’un chromosome supplémentaire chez certains êtres humains. Le malade a trois chromosomes de la série 21 au lieu de deux. Le Dr Lejeune baptise cette maladie « tri » pour trois et « some » pour chromosomes : le terme trisomie 21 est inventé. Cette découverte va ouvrir tout un nouveau champ de recherche à la médecine et au traitement des handicapés mentaux. Clotide Mircher, alors nouvelle diplômée en médecine, est passionnée par cette rencontre avec le professeur Lejeune et décide de faire de la génétique sa spécialité, passe trois certificats et fait une année de recherche. Par la suite, le Dr Mircher obtiendra également un diplôme universitaire en neuropsychologie et termine – momentanément ? – ses études par un Master en philosophie pratique dédié aux médecins et aux soignants. Pourquoi ce master en philosophie ? « La médecine est actuellement confrontée à des choses de plus en plus compliquées en début ou en fin de vie sur le plan moral. C’est bien d’avoir des bagages philosophiques pour réfléchir sur ces questions. Ce master ne donne pas de réponses mais des outils pour réfléchir et bien poser les problèmes, ne pas rester dans le compassionnel qui nous pousse parfois a faire des choses que l’on regrette. Ce Master souligne un fait essentiel : l’orientation principale de la médecine et de soigner et d’accompagner jusqu’au bout quand on ne peut pas guérir, sans toucher à la vie. Face aux avancées de la médecine, ce concept qui date d’Hippocrate est beaucoup plus complexe aujourd’hui. » Mais revenons à la génétique. En 1996, deux ans après la mort du professeur Lejeune, sa famille crée une fondation portant son nom pour continuer ses travaux sur la trisomie 21. Un des principaux objectifs de cette fondation, la première de ce genre en France et dans le monde, est de recueillir des fonds pour soutenir la recherche sur le handicap mental et les médicaments adaptés. En 1997, le Dr Mircher est engagée par la fondation dont elle deviendra, par la suite, la secrétaire du conseil scientifique. En quoi consiste le travail d’une généticienne ? « Je pratique la génétique de façon un peu atypique. Je fais un peu de diagnostics mais surtout du suivi médical de patients qui ont un retard mental d’origine génétique que nous suivons toute la vie. Je m’occupe, plus précisément, des maladies génétiques qui touchent à l’intelligence. » Intelligence et trisomie 21 : ces deux termes sont compatibles, peuvent être associés ? « La découverte de la trisomie 21 a permis d’établir un diagnostic permettant de mieux suivre et de soigner les patients. Le handicap mental ne fait plus partie des maladies pas ou mal connues, qui font peur et dont on ne s’occupe pas. On sait aujourd’hui qu’un enfant trisomique ne parle pas bien, peut-être à cause d’un problème d’audition, qu’il a des troubles de comportement en raison de douleurs inconnues. Ne pouvant s’exprimer, ces patients subissaient des douleurs pouvant avoir des complications médicales qui aggravent leur handicap. » C’est sur tous ces aspects du handicap mental que travaille la petite équipe de la fondation Lejeune. « On progresse au sein de l’équipe qui travaille sur une population de quatre mille malades de trisomie 21, ce qui nous donne pas mal d’expérience et nous permet de progresser pour améliorer les soins. Il y a également les progrès des généticiens en termes de diagnostic. On soigne mieux et ça vaut la peine de faire de la recherche. Même si on ne prétend pas, pas encore, les guérir, on peut quand même s’attaquer au déficit intellectuel des malades et, depuis quatre, cinq ans, nous ne sommes plus les seuls à penser ainsi. Des laboratoires de recherches dans divers pays, travaillant pour de grosses entreprises pharmaceutiques sont en train de se lancer dans de vrais protocoles de recherches pour des médicaments. C’est un énorme progrès. Depuis trois quatre, ans, et c’est une grande nouveauté, la recherche teste des médicaments qui peuvent agir sur des blocages bio chimiques au niveau du cerveau, le siège de l’intelligence. »
Depuis quelques années, grâce aux progrès de la recherche et de la médecine, le regard des médecins pour les malades de trisomie 21 a changé, note le Dr Mircher. « Avant, les soigner paraissait trop difficile, inaccessible. Mais heureusement, les mentalités changent et on se rend compte qu’on peut, aujourd’hui, un peu mieux connaître les mécanismes génétiques et biochimiques qui sont derrière le handicap et, dans certains cas, on peut intervenir dessus. Depuis une dizaine d’années, on a repris l’espérance dans ce secteur. Elle est provoquée par une meilleure connaissance des maladies génétiques, ce qui permet parfois d’imaginer une thérapie appropriée. » Est-ce que le regard de la société a suivi cette même évolution ? « En France, le regard a un petit peu changé, on a eu une loi d’intégration scolaire pour les personnes handicapées, ce qui leur permet de vivre d’une façon un peu plus positive et plus normale. Ce changement de regard est dû a une démystification de l’ignorance qui accompagne cette maladie. Il y a eu tout un mouvement d’intégration, de prise en charge qui fait que les parents se sentent plus soutenus. Mais quelquefois, dans le processus de l’intégration, on va un peu trop loin en oubliant que l’enfant a un handicap. Le mettre dans une classe ordinaire peut conduire au blocage. Il faut donner à l’enfant les possibilités de développer ses possibilités, mais en même temps on ne peut pas tirer sur la plante pour qu’elle pousse plus vite. » Au cours de son séjour à Maurice, le Dr Mircher a donné une conférence médicale, a rencontré le personnel et les parents des élèves de l’APEIM et se dit impressionné par le travail de cette institution. « Ici, comme en France, on se rend compte que ceux qui font bouger les choses sont les parents de malades qui se regroupent en association. C’est le meilleur moteur pour créer des structures adaptées aux malades, d’autant plus que la prise en charge d’une personne handicapée, qui manque d’autonomie et a besoin d’aide de manière quotidienne, coûte chère. » Qu’avez-vous dit aux parents d’enfants atteints de trisomie 21 ? « Que même si actuellement on ne guérit pas la trisomie 21, il y a quand même de vrais efforts thérapeutiques et on fait beaucoup de progrès. Les jeunes gens trisomiques qui ont aujourd’hui 20 ans sont beaucoup plus autonomes que ceux qui sont âgés de 40 ans et ceux qui naissent aujourd’hui le seront plus encore. Après, il reste la maladie elle-même, qui est très variable d’un individu à un autre. Il ne faut pas que les parents se disent qu’ils sont responsables et culpabilisent, si leurs enfants ne sont plus aussi autonomes qu’ils ne le souhaiteraient. Chaque malade supporte la trisomie 21 de façon différente et quelquefois le handicap est très lourd et on ne sait pas pourquoi et quelquefois les enfants sont très autonomes, presque naturellement, et on ne sait pourquoi, non plus. Il y a des facteurs qu’on ne connaît pas encore qui font que le handicap est plus lourd. » Mais souligne fortement le Dr Mircher il ne faut pas oublier une chose fondamentale. « Comme tous les êtres humains une personne atteinte de la trisomie 21 est unique. Un enfant trisomique ne doit pas être comme çi ou comme ça, selon les normes. C’est un enfant unique au monde, qui est atteint d’une maladie. Il faut apprendre à découvrir derrière l’étiquette trisomie 21 que l’enfant est un être unique. Et ça les parents finissent par le savoir, ce qui leur permet de l’éduquer, de le faire devenir un adulte le plus mûr, le plus responsable et le plus autonome possible. Mais il reste le handicap mental qui est très dur à accepter. Surtout pour les malades qui sont un peu plus autonomes et se rendent bien compte de leurs différences. Ils se demandent pourquoi ils sont trisomiques et posent parfois des questions quasiment métaphysiques auxquelles, malgré mes études en philosophie, je n’ai pas de réponse. » Pour terminer le Dr Clotilde Mircher met l’accent sur un autre point important. « Le handicap mental rend les personnes moins autonomes avec, quelquefois, des problèmes de langage et de communication, ce qui fait que ce n’est pas toujours facile de les aborder. Donc, elles ne sont pas toujours bien considérées. On oublie facilement que ce sont des personnes humaines qui ont droit à la même dignité que les autres. Le professeur Jérôme Lejeune disait :  » Avec beaucoup d’amour de leurs parents, un milieu affectueux et sécurisant, ils vont s’épanouir et donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est pareil pour tous les êtres humains. » Catégorie dont font partie, à part entière, ceux qui ont la malchance d’avoir un chromosome de trop dans leur organisme.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -