PORTRAIT : Miette Cimiotti, centenaire coquette

Marguerite Marie Cimiotti, surnommée Miette par ses intimes, fête ces jours-ci le centième anniversaire de sa naissance. Portrait, très illustré, d’une vaillante et coquette centenaire dont la longévité serait due, selon sa fille, à l’adrénaline que provoque les parties de cartes et un petit grog tous les soirs avant le dîner.
Si Madame Cimiotti est sûre de l’année de sa naissance, elle ne l’est pas tout à fait de sa date exacte. Selon sa mère, elle serait née le 23 août, mais la déclaration à l’état civil a été faite le 23 novembre, avec comme date le 23 octobre. Pour faire simple, ses enfants ont décidé de célébrer trois fois son centenaire : le 23 août pour la famille et les proches, le 23 octobre pour l’état civil et la cérémonie officielle avec ministre, discours et cadeaux du gouvernement, et le 23 novembre pour les amis. Cette multiple célébration est du goût de la principale intéressée, qui aime bien les fêtes et les cadeaux.
La centenaire est donc née en 1913 à Port-Louis, dans le quartier de St-François Xavier, dans les environs de l’église du même nom. Son père, Georges Albert, était courtier maritime et sa mère, Rachel Mouna, s’occupait, comme la plupart des femmes de l’époque, de son ménage et de ses enfants. Monsieur Albert possédait une petite maison en bois et gagnait relativement bien sa vie en dépit des pénuries provoquées par la Première Guerre mondiale. Il meurt subitement en 1918 en laissant une veuve sans ressources et un enfant.
La santé de Marguerite Marie n’étant pas très bonne, on recommande à sa mère de quitter Port-Louis pour l’air plus frais des Plaines-Wilhems. Mme Albert vend sa petite maison de Port-Louis pour acheter une petite portion de terrain à la rue Wellington, à Quatre-Bornes. Comme c’était la coutume à l’époque, elle fait démonter poutre par poutre et planche par planche sa maison de St François pour la faire reconstruire à Quatre-Bornes. Mais une fois la maison reconstruite, la jeune veuve se retrouve pratiquement sans ressources. « Je me rappelle que, parfois, pour avoir quelque chose à manger, nous prenions le bus pour Rose-Hill et de là marchions jusqu’à Beau-Bassin pour aller chez des cousines de maman. Nous restions quelques jours chez elles et au retour elles nous donnaient des provisions. »
Mme Albert se met à faire de la couture pour gagner quelques sous pour ajouter à ceux que lui donnent sa famille. Tout en étant pauvre, elle insiste pour que sa fille fasse des études et prenne des leçons de piano. « La dame qui me donnait des leçons ne voulait pas que j’apprenne à jouer des romances à la mode. Elle insistait pour que j’apprenne des pages classiques. » Marguerite Marie, que tout le monde surnomme Miette, rate de près la petite bourse et doit continuer ses études a l’école Noël, à Rose-Hill. Elle termine ses études en décrochant un certificat d’Extra Teaching Assistant, qui lui permet d’enseigner dans les écoles primaires mais pas d’entrer dans l’establishment.
« Nous étions traités de la même manière qu’on traitait les employés de la zone franche dans les années 1970. On nous donnait des contrats d’une année seulement que l’on renouvelait l’année suivante afin de ne pas faire de nous des employés du gouvernement avec pension. » Miette travaille dans plusieurs écoles du gouvernement et à un moment ouvre une petite école dans sa maison de la rue Wellington. Parmi ses élèves, un certain Amédée Nagapen, qui deviendra une haute personnalité de l’église catholique mauricienne, et Jean Roland Delaître, qui fera carrière dans la politique, les sports et l’audiovisuel, qui deviendra ensuite directeur général de la MBC.
« Hubert finit par faire sa demande et il est autorisé à venir fréquenter quelques heures, une fois par semaine. Ils se fréquenteront en tout bien tout honneur pendant six ans, avant de se marier en 1939 »
Devenue une jolie jeune fille, Miette commence à attirer les regards des jeunes gens et certains commencent même à trouver des prétextes pour passer par la rue Wellington. Un beau dimanche au début des années 1930, elle va se promener à Beau-Bassin avec sa maman pour aller écouter l’attraction du moment : la radio de Monsieur Charles Jollivet. Un jeune employé des chemins de fer est venu lui aussi écouter les 78 jours que diffuse la radio. Il s’appelle Joseph Hubert Cimiotti, est bien de sa personne, a de bonnes manières et vient d’une bonne famille, dit Mme Albert, qui a pris ses renseignements. Hubert vient marche-marcher à la rue Wellington et laisse des mots doux dans les bambous pour Miette. Le texte de l’un d’entre eux, qui ressemble à un message codé, est devenu une légende dans la famille et se lisait comme suit : « Peut-être, mais combien difficile. »
Hubert finit par faire sa demande et il est autorisé à venir fréquenter quelques heures, une fois par semaine. Ils se fréquenteront en tout bien tout honneur pendant six ans, avant de se marier en 1939. Pourquoi tant de temps pour se marier ? « Parce qu’il fallait économiser pour faire la noce et recevoir nos invités. Il n’était pas question de ne pas faire un beau mariage. Comme je n’avais pas un emploi stable, on a dû surtout économiser sur le salaire de mon fiancé. On était pauvres mais on était heureux et on vivait assez bien. »
Le 8 décembre Miette et Hubert convolent en justes noces et s’installent avec Mme Albert à la rue Wellington où vont naître leurs six enfants : Gérard, Jean-Claude, Jacqueline, Christiane, Josiane et Ninette. Au départ, Hubert, qui est posté à la gare de Vacoas, puis à celle de Rose-Hill, va travailler à bicyclette, tandis que son épouse enseigne dans les écoles de la région toujours en tant qu’Extra Teaching Assistant. Puis Hubert est nommé Station Manager et doit aller travailler à la station de Roche-Bois, à celle de Cluny et celle de Petite-Rivière avant de revenir à Rose-Hill. Sa famille déménage pour le suivre parce que le Station Manager est tenu d’habiter à côté de la gare qui tombe sous sa responsabilité. Ces transferts qui ont lieu tous les trois ans obligent Miette à cesser de travailler pour se consacrer à l’éducation de ses enfants et à ces derniers à changer régulièrement d’école.
Tout petit, Gérard se découvre une passion pour la musique. « À, Noël on leur avait offert, à lui et à Jean-Claude, un petit harmonica. Jean-Claude a pris des jours et des jours pour tirer un son convenable de l’instrument, tandis que Gérard a su en jouer tout de suite. Depuis, il n’a pas arrêté. » Il faut dire que Miette avait son piano et en jouait pour les enfants. Si son mari aimait bien la musique, il détestait le désordre que faisaient les partitions et, un jour, il les a brûlées. « Ce jour-là j’ai fait une grosse colère et oubliant mes bonnes manières, j’ai juré sa maman. »
Hubert, qui aime bien son grog et le repos chez lui, n’aime ni les sorties ni les mondanités. « Moi j’aimais la musique, j’adorais danser, alors que lui ne savait pas et, en plus, il chantait faux. Parfois je lui demandais comment est-ce que j’ai pu t’épouser ? Mais on s’entendait bien. J’adorais aller au cinéma, pas lui. Pendant longtemps j’ai eu mes deux garçons comme accompagnateurs pour aller au cinéma ou aux fêtes de famille. » Si des deux garçons Gérard est facile à élever, Jean-Claude est un effronté qui fait les quatre cents coups. « Sa ti enn zanfan ki ti konn reponn, je vous dis. J’ai cassé plusieurs rotins bazar sur lui mais il répondait toujours. Les filles c’était plus facile, sauf Jacqueline, qui pouvait faire de grosses colères. Je crois que c’est parce qu’elle est née pendant la guerre. »
« Je crois que c’est ça qui la fait tenir : les cartes et son petit whisky tous les soirs »
Le temps passe, le pays change, connaît de grands changements politiques. La famille Cimiotti est résolument pour le PMSD et participe aux grandes manifestations autour de l’indépendance. Les enfants Cimiotti grandissent, trouvent du travail, Gérard entre comme commis aux assurances chez Blyth Brothers et Jean-Claude comme Assistant Surveyor au ministère des Terres. Jacqueline décroche une bourse du Commonwealth pour aller faire des études en Occupational Therapy en Grande-Bretagne, tandis que Christiane choisit d’émigrer en Australie. Exemple que suivra, quelques années plus tard, Josiane, tandis que Ninette choisira de rester à Maurice. Jean-Claude finira par aller s’établir en Australie après avoir travaillé comme Port Manager à Port-Louis.
Pendant des années, toute la famille, avec ses nouveaux membres et leurs enfants, a pour point focal la maison de la rue Wellington où les époux Cimiotti vivent une retraite paisible. Surtout M. Cimiotti, très casanier et n’aimant pas quitter sa maison. Ce n’est pas le cas de son épouse, qui a découvert une nouvelle passion : les jeux de cartes. Avec des groupes d’amis, elle sort plusieurs fois par semaine, dans l’après-midi pour aller jouer au boca et au romi pour de l’argent. Jouait-elle beaucoup ? « Pas du tout. Je jouais mon argent, celui de ma pension de vieillesse. D’ailleurs, il faut que je vous raconte que la pension de vieillesse m’a fait changer de parti politique. »
Comment ça ? « Dans ma famille on a toujours voté PMSD, c’est une tradition et puis, à partir de 2005, j’ai changé pour Ramgoolam. » Qu’est-ce qui explique ce changement de parti politique ? « Mais enfin, vous ne vous rappelez pas ? En 2005, les autres partis ont voulu couper la pension de vieillesse. Vous vous rendez compte ! Si on avait coupé ma pension de vieillesse, avec quoi est-ce que j’aurais pu jouer aux cartes ? Alors, depuis ça moi, je vote Ramgoolam ! » Est-ce que vous jouez toute votre pension de vieillesse ? « Je ne suis pas une grande jougadeuse, mais j’aime bien jouer aux cartes. Je ne joue que deux ou trois cents roupies. »
Sa fille Jacqueline, qui assiste à la conversation, corrige les propos de sa mère. « Bien qu’elle affirme qu’elle ne jouait que quelques centaines de roupies, c’est plus en termes de milliers qu’il faut parler. Maman a, jusqu’aujourd’hui, des groupes d’amis qui ont la même passion qu’elle pour les cartes. Ils viennent la chercher pour des parties à Vacoas, Mont Roches, Quatre-Bornes et Albion. C’est son seul plaisir depuis que papa est mort en 1994. Je crois que c’est ça qui la fait tenir : les cartes et son petit whisky le soir. » Parce qu’en plus de jouer notre centenaire boit ? « Mais je ne bois pas pour me saouler. Avant je prenais un petit grog, maintenant je prends un p’tit whisky tous les soirs. Un petit whisky que je coupe avec du Sprite, ce qui fait hurler le mari de Jacqueline, qui dit que j’insulte le whisky ! »
En sus de ses cartes et de son petit grog, notre centenaire a pas mal voyagé. « Je suis allée plus de douze fois en Australie pour aller voir les enfants et les petits-enfants, et il m’est même arrivé de travailler pour avoir un peu de pocket money. Après la mort de mon mari, mes enfants m’ont dit de venir habiter avec eux en Australie, je n’ai pas voulu parce qu’il fait trop froid pour moi là-bas. Et puis, j’ai mes habitudes — les parties de cartes ! — et ma maison. »
Mme Cimiotti n’habite plus la maison en bois démontée à Port-Louis et remontée à Quatre-Bornes, mais un petit pavillon qui a été construit dans la cour et qu’elle occupera jusqu’à sa mort. Un petit pavillon dans lequel elle vit très bien, entourée de ses bonnes qui s’occupent d’elle et la préparent pour qu’elle aille jouer ses parties de cartes, et ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants n’arrêtent pas de passer voir Mam, comme ils l’appellent. C’est dans ce pavillon que nous l’avons rencontrée au début du mois d’octobre pour faire son portrait. Détail piquant : Miette Cimiotti a exigé qu’on lui mette un peu de rouge à lèvres et ses petits anneaux pendants avant d’accepter de se faire photographier. Comme quoi, on peut être centenaire sans pour cela cesser d’être coquette.

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