PORTRAIT : Un sheik d’origine américaine

L’ONG musulmane Reformus a organisé, le week-end dernier au SVICC à Pailles, la deuxième édition de LiveIslam. Ces deux jours de réflexion, de partage et de discussions sur divers aspects de l’islam bénéficiait de la présence de plusieurs conférenciers internationaux. Parmi, le sheik Yusuf Estes, présenté comme étant « l’une des plus grandes personnalités du monde musulman du 21e siècle », dont voici le portrait.
Avec ses longs cheveux et sa barbe blanche, le sheik Yusuf Estes a l’apparence d’un prophète sorti tout droit d’une gravure d’époque ou d’un film. Mais s’il cultive ce look particulier, le sheik est aussi un homme conscient des avantages de la technologie : il se fait suivre par un cameraman qui filme toutes ses interventions. Même les interviews qu’il donne à la presse écrite. Né en 1944 dans l’Ohio et élevé au Texas dans une famille protestante, très religieuse, Wayne Estes Teal manifeste très tôt des dons pour la musique, comme ses parents. Il joue de la musique dans les églises de sa communauté religieuse que ses parents fréquentent et fait des études dans cette discipline.
Après ses études, il travaille comme professeur de musique tout en faisant des tournées à travers les États-Unis au sein d’un groupe musical religieux. Au cours des années 1970, il achète des magasins spécialisés dans la vente d’instruments de musique puis devient un prédicateur chrétien. En même temps, il tâte la politique tout en animant une émission musicale à la télévision. Quelle était votre style musical ? « C’était essentiellement de la musique texane, c’est-à-dire de la country, des traditionnels du western et des gospels : de la musique jouée dans les églises. »
Que pensait Wayne Estes Teal de l’islam et des musulmans à l’époque. « Je ne savais pas ce qu’était l’islam en dehors de ce la télévision américaine en disait. Je ne savais même pas qu’il y avait des musulmans aux États-Unis et au Texas, état très conservateur. On était encore plus fermés sur ces questions. On pensait que les musulmans étaient tous des terroristes, des détourneurs d’avion et des kidnappeurs de passagers à la fin des années 1970. »
Mais alors comment Wayne est devenu Yusuf, comment est-ce que le Texan a découvert l’islam ? « Curieusement, c’est en essayant de convertir un musulman, un ami de mon père, au christianisme que j’ai découvert l’islam. Nous étions dans les années 1980 et je pensais que LA religion était le christianisme et qu’il fallait y convertir les gens que l’on aimait ou estimait. Mon père faisait des affaires avec ce musulman prénommé Mohamed et comme je le trouvais tellement sympathique, je m’étais mis en tête de le convertir au christianisme. Mais en voyageant avec lui à travers le pays pour des affaires, je l’ai vu pratiquer sa religion, faire les cinq prières du jour, le jeûne, nous étions en période de Ramadan. J’ai commencé à lui poser des questions sur sa religion. Mes amis prédicateurs chrétiens parlaient de la parole de Dieu le dimanche et toute la semaine buvaient, fumaient, regardaient les femmes. Mohamed, lui, avait le même comportement tous les jours de la vie. »
Le sheik Estes est intarissable sur cette période de sa vie, les anecdotes et les détails qui l’ont poussé à mieux connaître la religion de Mohamed. Il le fait en modulant sa voix, en changeant de ton, en ménageant ses effets pour retenir l’attention de son interlocuteur. Comme le font les prédicateurs américains. « À un certain moment, Mohamed m’a dit une chose qui m’a profondément interpellé et changé le cours de ma vie : ce qui est important ce ne sont pas les relations que tu as avec tes proches ou ton voisinage, ce qui est important c’est la relation que tu as avec ton créateur, c’est ça qui compte. « 
C’est en 1991 que Wayne Estes Teal se convertit à l’islam et prend le prénom de Yusuf. « Depuis, je suis toujours en train d’apprendre et de mieux comprendre le message de l’islam. L’islam m’apporte la réponse à de nombreuses questions que je me posais depuis toujours. » En quelques années, Yusuf Estes est devenu une voix écoutée dans le monde des musulmans qui vivent aux États-Unis. Il sert comme imam pour les prisonniers musulmans se trouvant dans les prisons fédérales américaines, a créé plusieurs sites web, donne des causeries, participe à des émissions de télévision spécialisées dans les programmes sur l’islam et crée la chaîne satellitaire Guide us tv, qui diffuse en continu des programmes islamiques.
Peut-on dire que vous êtes un prédicateur islamique ? « Je refuse cette définition. En islam les prédicateurs sont les imams, les molahs, ceux qui récitent les versets du Coran dans les mosquées. Ce sont les vrais prédicateurs. Moi, je fais partie des gens qui veulent découvrir la vérité, qui prennent le temps voulu pour le faire et partager leurs découvertes avec les autres. Je me tiens à l’écart des gens qui disent détenir la vérité et qui forcent les autres à les écouter, à les suivre. »
Si pas mal de sites internet soulignent le bon travail de Yusuf Estes pour la propagation de l’islam, d’autres, assez nombreux, critiquent ce qu’il fait et mettent en garde contre lui et le présentent comme un personnage controversé. Comment réagit-il à ces critiques ? « Je n’ai rien à dire contre les gens qui me critiquent ou m’attaquent en disant des choses qui ne sont pas vraies. Ils sont libres de dire ce qu’ils veulent. En répondant à ces attaques, je vais faire de la publicité à ceux qui me critiquent et c’est ce qu’ils veulent. Cela ne m’intéresse pas. »
Le sheik Estes a été élu « personnalité la plus influente du monde musulman » en 2012 à Dubaï.  » Comment fait-on pour obtenir ce titre ? « J’ai reçu un e-mail m’annonçant que j’avais obtenu ce titre. J’ai cru que c’était une plaisanterie et j’ai effacé l’e-mail. Ils m’ont envoyé un deuxième pour confirmer le premier -email et m’ont téléphoné. Finalement, j’ai accepté le prix qui m’a été attribué parce que j’avais donné une conférence qui avait été appréciée. À cette conférence un auditeur, non musulman, qui m’avait posé une question difficile sur l’islam. Il a été tellement satisfait de ma réponse qu’il s’est converti sur le champ. C’est pour cette raison que le prix en argent m’avait été attribué et j’ai demandé qu’il soit donné à ma chaîne de télévision. »
Dans le texte de présentation de la conférence de Reformus, il est écrit que le sheik Estes propage un « islam simple et direct » et veut », corriger « les mauvaises compréhensions concernant l’islam ». L’islam serait-elle une religion compliquée ? « Non, l’islam n’est pas compliqué, mais il arrive que des traductions du Coran soient mal faites et apportent de mauvaises compréhensions ou des confusions, ce qui est regrettable. Je travaille sur le web aux États-Unis surtout avec des personnes qui utilisent l’anglais comme deuxième langue. Pour ces personnes, il faut utiliser une langue simple et directe pour leur permettre de bien comprendre le message sans donner lieu à de mauvaises compréhensions ou des confusions. C’est dans ce contexte que j’ai parlé de langage simple et direct. Mais ce problème de compréhension n’existe pas seulement que dans le monde non musulman. Il y a des mauvaises compréhensions de l’islam parmi les musulmans. »
Comment est-ce que les spécialistes de l’islam réagissent à ce genre de déclarations venant d’un nouveau converti ? « Certains d’entre eux me disent que j’ai raison, d’autres, lorsque je suis à l’étranger, me demandent de quitter tout de suite leur pays et de ne pas y remettre les pieds. Mais ceux qui comprennent m’écoutent, discutent avec moi et m’encouragent à continuer en disant que je fais un travail salutaire pour éviter les mauvaises interprétations et compréhensions de l’islam, ce qui est courant aux États-Unis et dans le monde occidental. Je parcours le monde pour propager le message universel de l’islam, c’est ce que je suis venu faire à Maurice à l’invitation de Reformus. »

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