Le Pr Wajid Ali Khan: « L’ophtalmologie, la seule branche où nous recevons autant de prières et de bénédictions »

Le professeur Wajid Ali Khan du Al-Shifa Trust Eye Hospital du Pakistan en était à sa cinquième visite à Maurice la semaine dernière. À cette occasion, son équipe et lui ont réalisé une cinquantaine d’interventions sur des patients mauriciens. Dans une interview accordée au Mauricien, il explique que ses visites dans l’île ont un but philanthropique : les malades sont opérés gratuitement. « L’ophtalmologie est une branche de la médecine qui est vraiment spéciale. Elle est la seule où vous recevez autant de prières et de bénédictions de la part des patients et ce, même si vous ne faites que votre travail », observe-t-il. C’est également pour lui l’occasion de partager ses expériences avec ses confrères mauriciens. « Ils nous secondent durant les opérations et nous en parlons par la suite. Ils reçoivent une formation sur le tas. Nous bénéficions aussi de leurs expériences. »
Parlez-nous de votre visite à Maurice ?
Nous venons du Al-Shifa Eye Hospital du Pakistan qui est un des hôpitaux les plus importants du pays. Le ministère mauricien de la Santé nous a approchés pour ce qui est des cas compliqués, comme la transplantation de la cornée ou de la chirurgie vitro-rétinienne sur des patients inopérables à Maurice. Notre équipe se compose de médecins spécialistes dans des branches spécifiques de l’ophtalmologie. L’idée est d’examiner les patients, les traiter et dans un même temps, partager nos expériences avec nos confrères mauriciens. Quand nous sommes arrivés, l’accueil, l’affection et le respect qu’on nous a témoignés nous ont donné l’envie d’y revenir. Et depuis cinq ans, nous oeuvrons à bâtir ce pont entre Mauriciens et Pakistanais.
Quelle évaluation faites-vous du travail effectué durant ces quatre dernières années par votre équipe et vous-même ?
Nous avons parcouru un long chemin depuis cinq ans. Nous avons traité environ 200 patients durant nos quatre dernières visites à Maurice. Et nous prévoyons (ndlr : l’entretien a eu lieu au courant de la semaine dernière) d’en traiter 50 nouveaux cette fois-ci. Nous avons consulté 1 500 patients durant les quatre dernières années et 500 cette fois-ci. Ce sont au total 2 000 personnes que nous aurons vues et qui autrement auraient eu à partir à l’étranger pour les mêmes soins.
Faites-vous un suivi des patients que vous avez opérés dans le passé ?
Quand nous revenons, nous voyons la plupart d’entre eux. Parmi, beaucoup se portent bien. C’est un processus, on ne peut pas les traiter une fois et les laisser comme ça. Il faut qu’on les voit à chaque fois qu’on revienne.
Comment les échanges avec vos confrères locaux se passent-ils ?
Nous essayons de partager nos expériences. Ils nous secondent durant les opérations et nous en parlons par la suite. Ils sont formés sur le tas. Nous bénéficions aussi de leurs expériences. Nous souhaitons également une collaboration plus formelle entre les institutions, d’où la signature de l’accord de principe entre le ministère de la Santé et le Al-Shifa Eye Hospital. À présent, les Mauriciens pourront venir au Pakistan dans le cadre de formations. L’accord prévoit aussi que des formateurs viennent à Maurice.
Avez-vous des collaborations similaires avec d’autres pays ?
Le Al-Shifa Eye Hospital et le King Khaled Eye Specialist Hospital de l’Arabie Saoudite sont les deux centres d’excellence dans cette région du monde qui compte 22 pays. Par conséquent, nous avons en outre la tâche de former des gens de ces pays qu’ils soient du Bangladesh, d’Irak, d’Égypte, d’Afghanistan, … Ils viennent souvent au Al-Shifa.
Allez-vous dans d’autres pays pour faire le même travail qu’à Maurice ?
Nous avons tellement de travail au Pakistan que nous ne pouvons pas nous déplacer fréquemment. Nous avons toutefois été très souvent en Afghanistan, une zone qui avait besoin de notre soutien, mais Maurice est spéciale pour nous.
Pourquoi ?
C’est l’accueil qui nous a été réservé à notre arrivée à Maurice et votre bon système de santé qui nous ont incités à y revenir. Le système à Maurice est très bien organisé, le personnel performant… Tout marche automatiquement. Il ne nous suffit que d’y venir et faire notre travail. Nous ne subissons aucune pression. Nous travaillons sans problème. Par ailleurs, la tâche énorme de travail que nous avons au Pakistan et l’administration de l’hôpital ne nous permettent pas de faire des voyages fréquents à l’étranger.
Votre travail à Maurice est-il purement philanthropique ?
Lorsqu’un médecin du Al-Shifa Eye Hospital effectue le déplacement afin de traiter un patient, il ne réclame rien. Même au Pakistan, l’hôpital prodigue des soins et des traitements gratuitement à l’intention de ceux qui n’ont pas les moyens. L’ophtalmologie est une branche de la médecine vraiment spéciale. Il n’y en a pas d’autres où vous recevez autant de prières et de bénédictions de la part des patients et ce même si vous ne faites que votre travail.
Pourquoi ?
Je me mets à la place du patient qui ne peut pas voir. Que se passe-t-il ? Il trouve en l’ophtalmologue une personne qui le soulage de ses maux en lui permettant de recouvrer la vue. De même, la transplantation de la cornée est un domaine spécial. En effet, et le patient et vous savent que cela provient d’un don, un très grand sacrifice, et ce sentiment qui les unit est très fort, c’est un lien entre les hommes. C’est ce qui rend la transplantation si spéciale. Et le médecin a la responsabilité de répondre aux souhaits du donneur et à l’attente du patient. « The doctor materialises the wish of a dead person. »
Quelles sont les maladies fréquentes chez les jeunes enfants et les personnes âgées ?
D’abord, au sein de la population, en général, la plupart des patients sont diabétiques, ce qui constitue une des causes de la cécité dans le monde et à Maurice. Les jeunes de 15-20 ans sont touchés par le Kératocône, une maladie dégénérative de l’oeil causée par moments par des allergies. L’avant des yeux se courbant plus que la normale, la vision baisse. Et à cet âge, les études peuvent en être sensiblement affectées avec des répercussions sur la carrière du jeune. Heureusement, un nouveau traitement, le Corneal cross linking, permet de stopper la maladie à ses débuts. De ce fait, le patient n’a pas besoin de recourir à une transplantation de la cornée. Nous envisageons l’introduction de ce traitement à Maurice. Je l’ai évoquée au ministère de la Santé, qui partage ce souhait. Nous pouvons former des médecins ici.
Chez les enfants, le strabisme — un oeil regarde vers l’intérieur et l’autre vers l’extérieur — peut être fréquent. De ce fait, un des deux yeux devient plus faible. En même temps, esthétiquement, c’est pas très joli.
Les enfants peuvent aussi avoir la cataracte même si cette maladie touche surtout les personnes âgées. Il est très important de soigner les enfants qui naissent avec la cataracte le plus tôt possible afin qu’ils recouvrent une bonne vision rapidement.
Quelles sont les causes de la cataracte chez l’enfant ?
La cataracte chez l’enfant peut être liée à une infection que la maman a contractée lorsqu’elle était enceinte. Des médicaments pris par la femme enceinte peuvent aussi affecter le foetus.
Le traitement de la cataracte est-il le même que pour les personnes âgées ?
Oui, on enlève la lentille naturelle et on la remplace par une artificielle.
Est-ce qu’un enfant peut développer la cataracte secondaire ?
Oui, cela peut arriver à n’importe qui mais il est très facile de la traiter au laser.
Malgré les nombreuses avancées en ophtalmologie, certaines maladies n’ont toujours pas de traitements, n’est-ce pas ?
Oui, tout à fait. Il y a par exemple la rétinite pigmentaire. Dans un premier temps, les patients ne voient pas la nuit. La progression de cette perte de vision nocturne est liée à l’âge. Par la suite un rétrécissement du champ visuel apparaît pendant la journée. Et lorsque le patient atteint ses 25-30 ans, il peut devenir aveugle. Des chercheurs ont tenté d’isoler le gène responsable de ce problème. Mais jusqu’à présent, aucun traitement n’a pu être développé. Espérons qu’avec la thérapie génique, cette maladie pourra être traitée.
Par ailleurs, il existe aussi d’autres maladies génétiques de naissance ou qui sont développées plus tard. Certaines sont liées au diabète et à l’hypertension. Diagnostiquées relativement tôt, elles sont curables. Toutefois, dans le cas d’une personne diabétique qui aurait perdu la vue en raison des complications liées à cette maladie, on ne peut pas la traiter.
De la même manière, pour ceux atteints du syndrome de Stevens-Johnson, la cornée et l’avant des yeux deviennent secs au point où la surface de l’oeil devient comme une peau et ils perdent la vue.
Ce sont des maladies qu’on ne peut traiter à ce jour.
Y a-t-il moyen de rendre la vue à un aveugle ?
Nous sommes très limités en termes de connaissance à ce jour. Pour de nombreuses maladies, on n’a pas encore trouvé de remède.
Est-il important de consulter sur une base régulière ?
Oui, surtout dans certains cas comme par exemple si le sujet est diabétique. Je mets de nouveau l’accent dessus car le diabète est problème d’ordre mondial y compris à Maurice. Si la maladie est héréditaire, les membres de la famille doivent consulter régulièrement. Ils doivent diminuer leur consommation de sucre, faire du sport et réaliser un examen des yeux une fois par an car il est possible de traiter les problèmes relatifs très tôt.
Le glaucome est une autre maladie héréditaire…
En effet. C’est une des causes majeures de cécité dans le monde et c’est irréversible. Si le diagnostic d’une personne indique qu’il a perdu 75 % de sa vue, l’on ne peut que tenter de sauvegarder les 25 % restants. Par conséquent, il est très important que les membres d’une famille dans laquelle un glaucome a été diagnostiqué sur un des siens consultent régulièrement l’ophtalmologue. Il est conseillé de se faire consulter au moins une fois par an à partir de 40 ans.
En ce qu’il s’agit de la dégénérescence maculaire, est-elle liée à l’âge ?
Oui, effectivement. C’est un problème de vieillesse et avec la hausse du niveau de vie à travers le monde et encore plus dans les sociétés affluentes, il y aura de plus en plus de patients qui développeront ce problème. La dégénérescence maculaire est le résultat de la détérioration d’une petite zone de la rétine qui se situe au fond de l’oeil. Elle entraîne progressivement la perte de la vision centrale.
Avec la dégénérescence maculaire, de nouveaux vaisseaux sanguins dans la choroïde sous la rétine commencent à se former. Des fois, il y a des saignements ou une cicatrisation et vous perdez la vision qui vous permet de lire ou de reconnaître une personne ou une chose même si vous ne devenez pas aveugle parce que vous pouvez encore avancer.
La dégénérescence maculaire peut-elle entraîner la cécité ?
Si une personne affirme ne plus pouvoir lire, oui, cela peut entraîner la cécité. Elle pourra toujours marcher mais sans distinguer les détails. Heureusement, un traitement permettant d’arrêter ce processus existe. Il s’agit d’une injection faite dans l’oeil et ce traitement est disponible à Maurice.
Quel est le rôle du personnel paramédical ?
C’est l’épine dorsale d’un hôpital. Le rôle du médecin est important mais il ne peut pas travailler sans le personnel paramédical. Une bonne équipe paramédicale fait gagner beaucoup de temps au médecin. Ainsi, au lieu de traiter deux patients par jour, il peut en traiter cinq voire dix. Nous avons constaté qu’à Maurice, l’équipe paramédicale est de haut niveau. L’organisation mondiale de la Santé (OMS) préconise quatre membres paramédicaux pour un médecin, ce qui est assez difficile à réaliser dans la plupart des cas.
Il y a un suivi médical chez le patient. Qu’en est-il de l’accompagnement psychologique ?
C’est un aspect très important. Quand une personne souffre, elle est traumatisée. Nous traitons souvent la dimension médicale et la plupart du temps, nous ne répondons pas à l’aspect psychologique. Souvent avec la somme de travail que nous avons, même si nous souhaitons apporter un soutien psychologique aux patients, il devient très difficile de le faire. Je pense qu’il est important d’avoir du personnel qualifié pour accompagner et rassurer le patient. Cela contribue beaucoup au processus de guérison. Il donne de la force au patient qui lutte contre la maladie pour guérir plus vite que ceux qui n’ont pas de soutien psychologique.
Avez-vous un message aux Mauriciens ?
Mon équipe et moi-même remercions le ministère mauricien de la Santé et le gouvernement pour leur accueil. Nous sommes venus à Maurice avec un message d’amitié et nous rentrons chez nous avec le même message de la part des Mauriciens. Nous souhaitons que ce lien se renforce et nous sommes heureux de voir le développement dans le pays malgré la récession. Maurice est un pays stable et qui progresse.

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