PRÉPRIMAIRE: Des opinions divergentes sur la scolarité obligatoire des 3-5 ans

Le projet du gouvernement de rendre obligatoire la scolarité au préprimaire à partir de l’an prochain suscite des réactions diverses parmi les professionnels de l’éducation, y compris chez les spécialistes de la petite enfance, allant du « non » catégorique au « oui » nuancé. Ceux qui affichent la prudence à ce sujet craignent un bourrage de crâne dès le jeune âge d’autant que des enseignants du primaire, qui applaudissent cette mesure, y voient là le remède à l’échec au CPE…
Contrairement à la situation anarchique qui régnait dans le secteur du préscolaire jusqu’à la fin des années 90 et aux pratiques abusives qui y avaient cours, faute de réglementation, il y a désormais beaucoup d’ordre et un contrôle systématique des autorités. Des providers du service reconnaissent eux-mêmes que le temps de « ti lekol dan garaz » est révolu. De même, grâce aux normes établies, personne ne peut prétendre au titre de « puériculteur/puéricultrice » ou directeur d’établissement préscolaire sans avoir suivi obligatoirement la formation appropriée et sans avoir satisfait les exigences des autorités.
Le taux de scolarisation aussi a connu une nette amélioration durant ces vingt dernières années. À fin mars 2011, l’on comptait 97 % d’enfants du groupe 3-6 ans scolarisés et le pays a de quoi être fier de ce taux très élevé comparativement aux autres Etats du continent africain. Un nombre infime d’enfants reste en dehors du circuit en dépit du soutien gouvernemental à hauteur de Rs 200 aux parents pour la scolarité.
Il convient de souligner que la loi interdit l’admission d’enfants ayant moins de trois ans dans les classes maternelles publiques et privées, qui sont tenues de s’aligner sur le curriculum proposé par le ministère de l’Éducation ; cette instance voudrait s’assurer que tout le monde emprunte la même voie s’agissant des compétences de base que devrait acquérir tout enfant à l’entrée au primaire.
Un certain nombre de parents n’envoient leurs enfants à la maternelle que lorsqu’ils ont atteint l’âge de 4 ans et certains enfants ne découvrent l’univers scolaire qu’à l’entrée au primaire, soit à compter de six ans.
« To ensure that no single child is denied his opportunity for early self-development, pre-primary education will be made compulsory for the age group 3-5 », indique le gouvernement au sujet de cette mesure inscrite dans le discours-programme présenté en début de semaine. D’après les données statistiques officielles, il devrait y avoir environ 60 000 enfants âgés de 3-5 ans dans les écoles maternelles publique et privée l’an prochain.
Personne ne disconvient que le passage à la maternelle est en effet crucial pour l’acquisition des compétences de l’enfant et pourtant les avis divergent quant à cette intention du gouvernement de préconiser la « compulsory education » entre 3 et 5 ans.
Ceux qui approuvent cette mesure, dont quelques directrices d’écoles, soutiennent que les enfants de 3 ans sont déjà bien attentionnés à tout ce qui se passe dans leur environnement quotidien et de ce fait, sont prêts, selon eux, à entrer dans l’univers de l’école d’abord pour renforcer cet éveil et ensuite pour qu’il y ait socialisation. « C’est une bonne chose », dit sans hésitation Maryline, responsable d’une école de Rose-Hill, « Pourquoi attendre plus longtemps alors qu’avant trois ans beaucoup sont développés physiquement et sont conscients de bon nombre de choses. L’école est le lieu par excellence pour la socialisation de l’enfant. Le plus tôt on lui permet de développer des relations sociales mieux c’est pour son adaptation dans la communauté », croit Maryline. Avec plus de vingt-cinq années de métier, Gilda qui est responsable d’une école à Baie-du-Tombeau, est d’avis que l’arrivée en maternelle à l’âge de quatre ans est « quelque peu tardive ». Elle explique que l’année des 3 ans de l’enfant est généralement une période d’adaptation et d’observations et que l’école commence vraiment à travailler avec lui le programme de préparation pour son entrée au primaire, à partir de guidelines du ministère, lorsqu’il atteint 4 ans. « C’est bon que ce soit obligatoire dès l’âge de 3 ans car cela nous permet de passer plus de temps avec lui. Il a plus de confiance en lui-même et la préparation pour le primaire se fait à son rythme. Le plus de compétences qu’il peut acquérir durant les trois années du préscolaire lui sera bénéfique par la suite », affirme cette puéricultrice de Baie-du-Tombeau.
La mise en oeuvre de cette « pre-primary compulsory education for the age group 3-5 » devrait passer par la présentation d’un projet de loi y relatif comme ce fut le cas en 1990 quand le gouvernement d’alors avait opté pour une primary compulsory education (à l’époque où Armoogum Parsuramen était ministre de l’Education) et en 2004, lors de l’avènement de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans (sous l’ère d’Obeegadoo).
Jeff Manal est l’un de ceux qui affichent la prudence par rapport à la nouvelle mesure. En effet, ce Pedagogical manager à SOS Children Villages craint que le droit de parents à l’option ne soit bafoué. « Si c’est pour donner accès à tous les enfants indistinctement à l’éducation préscolaire de qualité il n’y a aucun problème », dit Jeff Manal. « La politique sociale n’est pas tout. La maternelle comme son nom l’indique est là pour prendre le relais des parents et de la famille en ce qu’il s’agit du “maternage”. Il faut donc prendre aussi en considération le droit des parents à l’option d’envoyer ou non leur enfant dans un centre d’apprentissage à trois ans. Est-ce qu’on peut forcer un parent à le faire s’il considère que son enfant n’est pas encore prêt », se demande Jeff Manal, qui intervient dans cet article en tant que travailleur social dans le milieu de la petite enfance et non de par son titre de conseiller pédagogique au SOS Village.
Par ailleurs, certains spécialistes dont Jimmy Harmon, Head of Department Applied Pedagogies à l’Institut Cardinal Jean Margéot (ICJM), appréhendent l’avancement de l’apprentissage des matières purement académiques à une étape précoce en raison de cette irritation des décideurs et des politiciens face au taux d’échec élevé au CPE qui perdure et à l’illettrisme des milliers d’enfants après six années de scolarité au primaire et l’obsession à améliorer la performance par n’importe quel moyen. « Quand j’écoute les arguments donnés par certains syndicalistes du primaire pour soutenir cette décision gouvernementale de rendre le préprimaire obligatoire à partir de 3 ans je me dis qu’on fait fausse route et qu’il y a danger pour l’enfant et pour l’école en général. Ces personnes parlent déjà d’améliorer la performance pour le primaire. Il ne faut pas oublier qu’on est dans un “examination-oriented system” et il y a un risque qu’on tombe dans les travers du bourrage de crâne » prévient Jimmy Harmon.
Sylvette Paris-Davy, spécialiste de la petite enfance et directrice des écoles Bethléem, prononce pour sa part un « non » catégorique à cette décision gouvernementale. « Cette question d’obligation me gêne beaucoup et je ne suis pas d’accord avec cette idée », réagit-elle. « Le plus important est de sensibiliser les parents à l’importance de l’école et leur faire comprendre que c’est un milieu de vie qui répond aux besoins et au développement de l’enfant tout en cultivant ce qu’il a appris chez lui dans sa famille. Aller à la maternelle doit être un plaisir et il faut que ce plaisir soit vécu à la fois par l’enfant et par ses parents au lieu de lui dire “tu es obligé d’aller à l’école”. Je suis pour la pédagogie différenciée et je respecte le rythme d’apprentissage de chaque enfant. Si l’enfant n’est pas prêt pour le milieu scolaire et s’il passe son temps à pleurer je ne crois pas que cela favorisera son apprentissage », dit la spécialiste pour expliquer son désaccord.
Pour quelques observateurs bien attentifs du secteur éducatif, cette mesure touchant le préscolaire s’ajoute à la liste de décisions qu’ils qualifient de « cosmétiques » prises par Vasant Bunwaree. Ils citent en exemple le Enhancement Programme, l’évaluation nationale en Form III, les retouches au CPE au lieu des changements fondamentaux dans le parcours primaire. Ils se demandent si le ministre de l’Éducation n’est pas en train de préparer son catalogue de projets qu’il fera valoir à la Conférence des Ministres de l’Éducation du Commonwealth qui se tiendra du 27 au 31 août à Maurice. Une cinquantaine de ministres de l’Éducation du Commonwealth y sont attendus.
Par ailleurs, les pays signataires de la Déclaration mondiale sur l’Éducation pour Tous (EPT) en 2015 — y compris le gouvernement mauricien — adoptée lors de la Conférence mondiale sur l’Education à Jomtien (Thaïlande) en 1990, ont encore trois ans pour mettre en oeuvre les programmes nécessaires afin d’atteindre cet objectif de EPT. Dans ce contexte, il y a effectivement une tendance depuis ces dernières années dans certains pays vers la scolarité obligatoire au préprimaire mais cette initiative fait débat au niveau international. Dans les pays développés, les experts de la petite enfance insistent sur la notion de liberté des parents de choisir en raison des caractéristiques de cette tranche d’âge, jugée très spéciale et très sensible. « La scolarisation implique un cadre institutionnel qui est souvent très rigide. Or, la Early Childhood Education doit fonctionner dans un cadre flexible et qui laisse une large place à la créativité et à l’épanouissement global de l’enfant tout en tenant compte des dimensions culturelles et des valeurs et traditions familiales », disent les opposants à la scolarité obligatoire à compter de 3 ans.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -