PROSTITUTION JUVÉNILE : L’État ne peut faire le suivi des victimes réhabilitées

Qu’adviendra-t-il des trois adolescentes âgées de 14 à 17 ans exploitées par un réseau de prostitution démantelé par la police ? La question interpelle dans la mesure où l’État ne dispose pas de structures spécialisées pour la prise en charge des victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales ! Une des filles a été «placée en lieu sûr» par la Child Development Unit. Avec son antécédent, il aurait été impossible de l’intégrer au shelter du ministère du Développement de l’Enfant où elle pourrait troubler les autres pensionnaires et donner du fil à retordre au personnel. Quant aux deux autres, elles sont dans leur cellule familiale respective, ce qui ne garantit pas un encadrement sans faille. Si la réhabilitation des mineurs  exploités sexuellement se fait malgré les lacunes dans les services, la réintégration sociale est une étape qui échappe aux autorités. Pour cause, faute de after care service, le suivi des victimes «réhabilitées» ne peut se faire.
Avec le récent démantèlement d’un réseau de prostitution impliquant trois mineures à Cité La Cure, l’on ne peut se voiler la face sur l’existence  de l’exploitation sexuelle des adolescentes à des fins commerciales. La prostitution des mineures n’est pas toujours organisée et elle n’est pas toujours visible. Mais elle est bien réelle dans certains contextes et environnements. Toutefois, qu’elle soit volontaire ou sous la contrainte, la prostitution juvénile est davantage une réalité dans des poches de pauvreté ou dans des régions comptant de nombreux foyers économiquement fragile.
Le cas de  Cité La Cure est loin d’être isolé. Si le sort des présumés proxénètes qui opéraient dans cette région est désormais entre les mains de la justice, en revanche, celui des adolescentes qui ont dévoilé le fonctionnement du réseau et qui en ont été victimes reste incertain. En effet, si des structures et des programmes ont été prévus pour la prise en charge des mineurs agrssés et exploités sexuellement, il demeure qu’une fois cet encadrement terminé, ceux-ci ne sont sujets à aucun suivi particulier. Il y a quelques jours encore, des habitants de Cité La Cure se posaient des questions sur l’avenir des trois adolescentes. «Ki pou ariv zot apré ?»
Choqués, voire bouleversés, par cette affaire qui n’a cessé de faire l’actualité durant la semaine, des résidents de la région rencontrés se disent sceptiques quant au futur des filles. Si l’une d’elle, âgée de 15 ans — en l’occurrence la fille de H.S, une présumée proxénète — a été «placée en lieu sûr» par la Child Development Unit, cependant, les deux autres adolescentes de 14 et 17 ans n’ont pas été retirées de leur famille respective. «Leurs parents n’étaient pas au courant qu’elles se prostituaient. Dans ce cas, nous estimons qu’elles ne sont pas en danger et peuvent rester avec leur famille. Si leurs parents étaient liés au réseau, elles auraient été mises en placement ailleurs», explique une source proche du ministère du Développement de l’Enfant.
Toutefois, si les autorités ont fait le choix de faire confiance aux parents, c’est non seulement parce que ceux-ci ont affirmé ignorer que leurs enfants se prostituaient et seraient dignes de confiance ! Mais parce que le ministère n’est pas en mesure de placer ces deux filles dans une structure de réhabilitation. Pour cause, ce genre de service spécialisé visant à réhabiliter des mineurs agressés sexuellement à des fins commerciales ou pas est inexistant à Maurice ! Le seul service opérant dans cette optique est le Drop-in Centrede Bell Village. Celui-ci n’est pas résidentiel. Ce détail n’est pas le seul handicap du centre, lequel appartient à la Mauritius Family Planning and Welfare Association (MFPWA) et dont la gestion revient au ministère du Développement de l’Enfant.
Des filles «beyond control»
Le Drop-in Centre souffre d’un manque criard de ressources humaines spécialisées pour traiter les cas d’enfants agressés sexuellement ! Actuellement, c’est le Program Officer du centre qui fait office de Social Worker. De janvier à juin dernier, le centre de Bell Village a enregistré 178 cas de mineurs agressés sexuellement. Et selon la directrice de la MFPWA, Vidya Charan, le Drop-in Centre ne dispose que d’un psychologue à plein temps. Donc, pour ce qui est de suivi, hors Drop-in Centre, après les 18 ans de la victime il n’en existe pas.
Selon nos renseignements et les témoignages recueillis à Cité La Cure, les adolescentes du réseau sont des filles «beyond control.» C’est d’ailleurs pour cette raison que l’une d’elles aurait eu le crâne rasé par sa mère ! «Komyé fwa enn tifi so mama inn al tir li kot H. ? Zot alé vini dan sa lakaz la», confie une résidente de la cité. D’autres racontent aussi que l’adolescente de 15 ans, fille de la présumée proxénète H.S., a changé de comportement dès ses 11 ans. «Après avoir fini le primaire, elle n’allait plus à l’école !» confient ceux qui la connaissent, jeudi denier, le jour de la reconstitution des faits chez l’adolescente.
«Très vite, elle était devenue la copine de sa maman. Elles sortaient ensemble et sa mère se mettait à son niveau. La maman était redevenue l’adolescente qu’elle n’a pas été, parce qu’elle est tombée enceinte très tôt. Sa fille faisait ce qu’elle voulait. Personne ne pouvait exercer de l’autorité sur elle, même qu’à quelques reprises son père, qui est séparé de H., est venu la retirer de la maison non sans force. Il lui reprochait ses fréquentations, de fumer. Quand elle était contrainte de partir vivre chez son père, elle ne restait pas longtemps là-bas. Elle rentrait rapidement chez sa mère.»
Dans la rue où vit l’adolescente avec sa mère et d’autres membres de la famille de cette dernière, on a encore du mal à croire que H.S. était trempée dans un réseau de prostitution et qu’elle exploitait des mineures, dont sa propre enfant. «Nou koné ki zot ti pé sorti boukou. Parfwa trouv dimoun vini, mé nou pa ti krwar ki ban zafer koumsa ti pé déroulé !» raconte une habitante du quartier. Interloquée, cette dernière confie encore : «Fer sagrin ! Fami H. bann dimoun korek. Li tousel koumsa !» Elle explique qu’à maintes reprises la CDU s’est présentée chez la famille.
Du côté du ministère responsable de cette unité, on confirme les dires de cette personne. Dénoncée par un appel anonyme, H.S. aurait plusieurs fois échappé à la CDU. La femme avait aussi refusé que la CDU lui prenne sa fille. Finalement, munie d’une Emergency Protection Order et accompagnée par la Brigade des Mineurs, la CDU a pu prendre l’adolescente. Selon nos informations celle-ci, prise en charge certes par la CDU, a été placée ailleurs qu’au shelter de l’Etat. Sexuellement active, elle aurait certainement eu une mauvaise influence sur les autres pensionnaires de l’abri, structure qui accueille de très jeunes enfants aussi bien que des adolescents. Visiblement, le ministère de l’Enfant n’a pas voulu prendre de risque en plaçant un élément potentiellement perturbateur dans son shelter. Comme cela a été le cas par le passé, l’adolescente a été envoyée dans un «lieu sûr.»
Réintégration après 18 ans, un vrai casse-tête
«Faute de centre de réhabilitation et de réintégration spécialisé, la CDU place habituellement les filles qui ont été dans le trafic humain dans un autre abri privé», confie une source proche de la CDU. L’abri privé n’est pas pour autant spécialisé. D’ailleurs, le personnel s’est souvent vu confronter à des situations où il a eu à faire appel la police pour calmer des filles rebelles et agressives. Hormis cet abri privé, le ministère compte sur l’appui des centres gérés par des organisations non-gouvernementales. Notre source explique que le protocole appliqué dans des cas liés à la prostitution comprend la thérapie psychologique et l’accompagnement de la victime à différents niveaux : scolaire, formation. Toutefois, le vrai casse-tête pour les autorités survient lorsque la victime atteint l’âge de 18 ans et qu’elle n’a plus sa place dans un abri pour mineurs.
«Nous avons dans le passé eu de régulières discussions sur le after-care service. La CDU est consciente que cette étape est plus qu’importante dans le processus de la réintégration sociale de la victime. Mais ce service indispensable est une lacune qui, malheureusement, fait la faiblesse de la CDU. En fait, il y aurait dû avoir une unité spéciale attachée à la CDU pour être responsable du after-care service. Mais, encore une fois, il faudrait que le gouvernement décaisse un budget pour la création de ce service. Et recruter des personnes engagées sensibles à la cause des enfants», explique notre source.
À la fin du séjour d’une victime d’exploitation sexuelle en centre d’accueil, la CDU doit trouver un membre de sa famille qui serait disposé à l’héberger. «C’est un véritable problème ! Quand la victime réhabilitée ne peut retourner chez elle, il nous faut trouver un oncle, une tante, quelqu’un qui peut l’accueillir. Après ? Plus rien La CDU ne fait pas de suivi», nous dit encore cette dernière. Des jeunes qui tombent dans la précarité après leur placement en structure, il en existe. Sans encadrement, les filles sont exposées aux mêmes fléaux qui les ont conduites en centres d’accueil. «Elles tombent enceinte rapidement», constate Mary Jolicoeur, travailleuse sociale à Barkly, Beau-Bassin. Et cette dernière de citer le cas de cette jeune fille de 18 ans mère de deux enfants. «Pour la protéger de la prostitution, les services de l’enfance l’avait retirée de sa famille à l’âge de 10 ans. Quand elle est revenue, elle a vécu dans le même environnement qu’autrefois.» Les garçons, souligne-t-elle, ne sont pas en reste.

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