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RENCONTRE AVEC DES FEMMES DE CRÉMATOIRE, BELLE-MARE : La pauvreté ne les aura pas

Quand les femmes que nous avons rencontrées se sont installées — illégalement à l’époque — avec leur famille respective sur les terres de l’État à Belle-Mare, elles expliquent avoir fait ce choix dans l’optique d’un avenir meilleur. Malgré leur condition de précarité, elles ont refusé de croiser les bras et de se complaire dans l’assistanat. Une fois leur situation régularisée, elles ont, pour deux d’entre elles, remplacé la tôle de leur maison par du béton et se sont débrouillées pour scolariser leurs enfants.
Quiconque débarque au coeur du lieudit la rue Crématoire, à Belle-Mare, ne peut rater la maison de Sylvette Louis. Sur le toit de la demeure à étage, une statue de la Sainte Vierge Marie observe les mortels sous une ombrelle bariolée. Est-il nécessaire de préciser que Sylvette Louis est une fervente catholique ? Deux chapelets démesurées ornent le mur de son salon attestent sa foi. «Je les ai achetées en Inde», dit Sylvette Louis, 51 ans, en s’esclaffant, car c’est ainsi qu’elle réagit quand ces énormes chapelets suscitent la surprise des visiteurs. «Il m’arrive de voyager, je vais en pèlerinage et en vacances. J’ai été en Angleterre», confie cette dernière en gardant son sourire.
Il y a 15 ans, Sylvette n’aurait jamais imaginé un jour qu’elle parlerait de voyages à l’étranger. À cette époque, elle vivait encore dans des conditions précaires, dans une pièce en tôle.«Mon père habitait ici à Crématoire. C’est lui qui m’a encouragée à construire une maison-là». L’endroit appartient à l’État. Comme d’autres familles avant eux, les Louis décident de prendre possession d’une parcelle de terrain et érigent une maisonnette, devenue depuis une demeure confortable. «Ma maison est une de mes plus grandes fierté», confie, non sans émotion, Sylvette.
À 49 ans, Patricia Gopal ne se lasse pas d’apprendre. Elle fait partie de ceux qui croient fermement en l’éducation. Mais Patricia n’a pas été à l’école. Quand elle arrive à Belle-Mare, il y a plus de dix ans sans rien ou presque, elle n’envisageait pas une seconde qu’elle collectionnerait des certificats en cours divers. C’est sans détour qu’elle confie sa légitime fierté d’être détentrice de pas moins de 15 certificats !
«Auparavant, j’habitais à Quatre-Bornes avec mes trois enfants et mon mari. Nous vivions dans une maison en tôle sur un terrain à bail. Je travaillais comme bonne chez un particulier et je versais quasiment tout mon salaire au bénéficiaire du bail pour que ma famille et moi puissions vivre sur ce terrain-là ! J’en avais plus qu’assez de cette situation. Un jour, un de mes proches m’a conseillée de tenter ma chance à Crématoire. Lerla linn bar teren pou mwa», explique Patricia. Et de continuer : «Nous avons démoli notre maison de Quatre-Bornes et réutilisé le même matériel pour la reconstruire à Belle-Mare.»Aujourd’hui, la petite chambre en tôle s’est agrandie, elle a fait de la place à d’autres pièces, dont un grand salon en dur
Lorsque les autorités légalisent la situation des occupants de la rue Crématoire, les deux femmes, épaulées par leur conjoints, saisissent l’occasion pour améliorer leurs conditions de vie ! «On a attendu que le gouvernement de l’époque nous donne un contrat à bail avant de démarrer la construction de la maison en béton», explique Sylvette Louis. Mais le prix à payer pour sortirde la pauvreté n’est pas moindre. Pour ne pas se laisser happer par la spirale de la pauvreté et rester en marge du progrès, les deux habitantes de Crématoire ont, disent-elles, retroussé leurs manches, se sont soumises aux sacrifices pour faire de l’éducation de leurs enfants et la construction de leur maison leurs priorités. Pour cela, il leur a fallu faire preuve de volonté.
«Pa pou aste lenz pou lane, pou aste blok»
«Kan mo trouv fam ki ena lasante pass zot letan asize, zwe loto, mo sagrin… Mo ti pou kontan ena lasante pou mo travay !»confie Patricia Gopal. Cette dernière explique qu’elle souffre d’une série de complications qui l’amènent régulièrement à l’hôpital. Elle raconte que la dernière fois où elle a été hospitalisée, elle a été admise aux soins intensifs. C’était il y a quelque temps, elle pouvait à peine marcher. Mais elle avait fait l’effort de se rendre à son examen de fleuriste, qu’elle a réussi d’ailleurs.
«Voir la pluie s’infiltrer dans ma maison et couler sur mes enfants quand ils étaient petits m’a davantage motivée à viser un logement décent. Mo dir ki mo bizin koumans aste blok pou mo pa bizin al kasyet kan siklonn !»raconte Patricia. Pour atteindre son but, elle confie comment elle s’y est prise. «Mon mari, un ancien maçon, ne travaillait plus à cause de soucis à la colonne vertébrale. Il percevait une aide sociale. Il en était de même pour deux de mes quatre enfants, épileptiques. Cet argent servait non seulement aux besoins de la famille, mais à chaque fois que je pouvais, surtout à la fin de l’année au moment du bonus de la sécurité sociale, je mettais une somme de côté pour acheter des matériaux. Mo ti fini dir bann zanfan pa pou aste lenz pou lane, pou aste blok ! Et quand on a été régularisés, on a bénéficié de facilités pour la dalle.»
Entre-temps, grâce au soutien de Caritas et de volontaires, Patricia Gopal arrive à faire face aux moments difficiles quand l’argent commence à manquer pour assurer la scolarité des enfants ou faire bouillir la marmite. «Vous savez, on m’a tendu la main. Mais c’était pour me mettre debout. J’ai toujours refusé de me cloîtrer dans l’assistanat. De mon côté, j’ai fait des efforts. J’ai pris part à tous les cours qu’offraient les différents ministères dans la région ou même à Quartier-Militaire. Gras a sa bann formasion-la, monn apran komann fer gato, panie ek minn. Mo gayn enn ti kas pou zanfan ek lakaz.»
Même si ses deux premiers enfants n’ont pas brillé académiquement, Patricia concède qu’elle ne s’est épargné aucun effort pour scolariser tous ses enfants. Et ce, quitte à «récupérer de vieux sacs d’école, raccommoder les uniformes faute de pouvoir en acheter des neufs.»Après ses études au Lycée Polytechnique de Flacq, son fils, âgé de 23 ans est aujourd’hui technicien auprès d’une firme de construction. Et sa benjamine, 12 ans, est en Form 1 (mainstream) dans un collège confessionnel catholique. «Ma dernière qui était à l’école de Belle-Mare travaillait très bien. J’ai voulu qu’elle ait toutes ses chances de réussir. Je l’ai inscrite à l’école dela RCEA de St-Julien. Avec, entre autres, l’aide de mon fils qui travaillait déjà, j’ai payé un transport scolaire pour qu’elle puisse aller à l’école là-bas. Son enseignante qui a reconnu mes efforts, lui a même donné des leçons particulières gratuitement», confie Patricia.
Elle ouvre l’unique préprimaire du quartier
Pendant que ses enfants s’en sortaient bien à l’école, Sylvette Louis est interpellée, dit-elle, par l’incapacité à lire et écrire des autres enfants de son quartier. C’était, il y a dix ans.«Zot pa mem kone ki gos ki drwat, kouma ekrir zot non »Sylvette ne travaillait pas. Son mari, maçon, gagnait bien sa vie quand les contrats tombaient. Avec Patricia Gopal et une autre volontaire, elle lance un projet de soutien scolaire, lequel fonctionnera pendant quelques mois seulement. C’est chez elle, sur la terrasse de sa maison en tôle, que des enfants en difficulté scolaire sont accueillis. «Mais on a réalisé que les enfants étaient gênés, ils avaient honte de ne pas savoir lire et écrire. Alors ils s’en allaient graduellement. L’idée de faire une école maternelle m’est alors venue.»
Dans le quartier et ses environs, il n’y a pas d’école préprimaire. Ce projet ne pouvait qu’être bénéfique pour toutes les parties. Régularisée, Sylvette entreprend la construction de sa maison avant d’ouvrir son école maternelle sur place. Dans un premier temps, elle assure les activités de son établissement avec l’aide de Patricia. Mais les règlements devenus plus stricts et les femmes ne disposant pas de qualifications, Sylvette cède la responsabilité de l’école à sa fille, formée à l’enseignement et emploie deux puéricultrices. Il y a peu, la fille de Sylvette a été embauchée par un collège confessionnel de Quatre-Bornes. Cette dernière a dû reprendre la gestion de son école, mais n’encadre pas les petits.
Également mère d’une fille de 11 ans, Sylvette peut compter sur ses trois autres enfants, lesquels travaillent, pour l’aider à boucler les fins de mois. Si elle avait croisé les bras et s’était contentée du minimum, elle n’aurait pas été à l’abri du besoin. Elle dit voir loin et s’active à ouvrir une école maternelle, hors de chez elle, dans son quartier. «Une école, voire une garderie, pouvant accueillir plus d’enfants !» dit-elle. Actuellement, son école accueille 20 enfants, dont ceux soutenus par la National Empowerment Foundation.
À la rue Crématoire, les maisons en tôle ou en béton s’agrandissent. Si l’occupation des terres est interdite, en revanche, les jeunes adultes ont annexé des pièces aux maisons de leurs parents.«Il y a un problème aigu de logement. La cherté du loyer encourage l’extension sans planification des maisons», expliquent Sylvette Louis et Patricia Gopal. Il y a aussi des familles qui, disent-elles, pour diverses raisons, sont restées dans les mêmes conditions précaires qu’il y a 10-15 ans.
Madeleine Marié, elle n’a pu remplacer la tôle de sa maison par du béton. Mais elle a agrandi celle-ci et a aménagé un bel espace vert. Pour l’instant, la quadragénaire qui est suivie pour la décalcification de ses os accorde la priorité à l’éducation de ses deux filles, collégiennes. «Une de mes filles est en HSC, rien que ses leçons coûtent Rs 1 500 par mois», dit-elle. Contrainte à ne plus travailler depuis l’année dernière, Madeleine, compte essentiellement sur le revenu de son conjoint, aide-maçon, pour subvenir aux besoins de sa famille. Comme Patricia, elle a aussi suivi des cours en artisanat et en crochet, lesquels lui ont permis de se faire une clientèle dans la région. Son fils aîné ayant trouvé de l’emploi dans une usine, l’espoir d’une maison en dur a germé

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