La commission de l’Emploi a accordé son autorisation à Laxmanbhai & Co (Mauritius) Ltd d’importer 350 travailleurs migrants qualifiés et non qualifiés à Rodrigues pour exécuter des travaux dans le cadre de la rénovation de l’hôtel Cotton Bay. Cette décision a créé un malaise dans l’île. Pour cause, des entrepreneurs locaux en construction sont au chômage pour la plupart, faute de projets. Les syndicats des employés des secteurs public et privé, respectivement, ainsi que l’opposition sont montés au créneau. Si la Commission de l’Emploi a depuis demandé aux chômeurs du secteur de la construction de se faire enregistrer, et que l’entrepreneur a lancé un appel à candidatures aux Rodriguais pour rejoindre le chantier de Pointe Cotton, il demeure que Laxmanbhai & Co (Mauritius) Ltd a la bénédiction de l’Assemblée régionale pour le recrutement d’un important contingent de main-d’oeuvre étrangère. Contacté par Week-End, le contracteur n’a pas voulu commenter cette affaire. Quant à Claude Wong So, commissaire à l’Emploi, son bureau nous a indiqué qu’il ne dérangerait pas celui-ci qui « est en congé personnel à Maurice »…
La rénovation de l’hôtel Cotton Bay sonnait comme une promesse d’emploi pour des Rodriguais qui peinent à se faire embaucher sur des chantiers de construction. Les maçons au chômage et les contracteurs de l’île croyaient pouvoir trouver du travail sur ce qui est considéré comme le chantier le plus important de Rodrigues actuellement. Mais une publication de l’Assemblée régionale allait avoir l’effet d’une douche froide.
Celle-ci stipule que « the Commission for Employment has conveyed it’s no objection to authorise a contractor to import some three hundred and fifty (350) expatriate staff from India, Nepal, COMESA and SADEC Countries for a 11 – month quota for the execution of refurbishment and extension of Cotton Bay Hotel in Rodrigues. The company has applied to the Ministry of Labour, Industrial Relations and Employment requesting permission to import employees in the grade of managerial, technical, supervisory, skilled and unskilled levels, with adequate work experience to be able to complete the refurbishment and extension of the hotel within the tight completion period of 11 months with the high standard of quality works required by the client. »
Pourtant, quelques jours auparavant, la Rodrigues Government Employees Association et la Rodrigues Private Industries and Allied Workers Union avaient envoyé une correspondance au Commissaire au Tourisme et à l’Emploi, Claude Wong So, lui demandant de donner l’opportunité aux Rodriguais qualifiés au chômage de travailler sur le site de Pointe Cotton. Ils seraient au nombre de 500, selon les syndicats.
Pas assez de main d’oeuvre qualifiée
« Il y a au moins une année de travail sur ce chantier. Beaucoup de Rodriguais s’y rendent pour demander du travail. Il ne faut pas oublier tous ces pères de famille ne travaillant pas parce qu’il n’y a plus de chantier, alors que celui de Cotton Bay est un des plus actifs de Rodrigues », déclarait Franchette Gaspard Pierre-Louis, ancienne adjointe au chef commissaire Serge Clair et Minority Leader à l’Assemblée régionale, qui intervenait en direct devant l’hôtel en rénovation, le 2 septembre dernier. Mais la récente décision de la Commission de l’Emploi d’accorder l’autorisation au contracteur Laxmanbhai & Co (Mauritius), chargé des travaux d’importer 350 travailleurs étrangers, a soulevé l’indignation de plus d’un professionnel de la construction à Rodrigues. Pour cause, faute de projets de construction en bâtiment, le chômage dans ce secteur est une réalité qui touche de nombreux Rodriguais.
« Il n’y a pas beaucoup de chantiers en ce moment. Celui de l’hôtel Mourouk est toujours en cours et il y a déjà des travailleurs étrangers qui sont sur place. Avant il y avait des projets de génie civil qui nous garantissaient du travail… », explique un contracteur rodriguais. Cependant, ce dernier concède que si « Rodrigues ne dispose pas de suffisamment de main-d’œuvre qualifiée et pas du tout dans certains domaines en construction, en revanche, le pays peut fournir assez d’unskilled workers aux chantiers. Que les compagnies de construction font venir du personnel qualifié d’ailleurs ou de Maurice, cela ne pose pas de problème. » D’autre part, face à l’absence de débouchés dans le secteur, de nombreux maçons, ainsi que des contracteurs sont venus tenter leur chance à Maurice. « Sinon, certains de mes collègues et moi-même faisons le va-et-vient entre Rodrigues et Maurice. Mo ena klian dan Moris ki fer mwa kone kan ena travay. Malheureusement, il y a des Rodriguais qui ne trouvent pas de travail à Maurice et qui finissent anba laboutik », dit-il.
Où les loger ?
« Dans cette affaire, ce n’est pas le fait de recruter des travailleurs étrangers qui dérange. Mais le fait que la Commission ait pris la décision de donner son aval pour le recrutement de la main-d’oeuvre étrangère sans avoir respecté les procédures de base », martèle Daniel Baptiste, ancien Commissaire à l’Emploi. « Nous ne sommes pas contre l’arrivée de travailleurs étrangers, d’ailleurs, il y en avait lorsque nous étions au gouvernement. Aujourd’hui, la migration circulaire est une tendance mondiale et nous parlons d’échange de connaissance », ajoute-t-il. Et de poursuivre : « Avant, quand les compagnies de construction déposaient leurs demandes pour importer des travailleurs migrants à la Commission de l’Emploi, une liste de demandeurs d’emploi dans les domaines recherchés leur était remise. En parallèle, on diffusait des annonces dans les médias, y compris la radio, pour le recrutement du personnel de chantier. Mais cette fois, la compagnie a soumis sa demande directement au Commissaire lequel a agréé sans appliquer les procédures ! » Selon l’ex-Commissaire, « il y a au moins 2 000 unskilled workers enregistrés à Rodrigues. Si le contracteur doit recruter 200 aides, il n’y a pas lieu d’importer la main-d’oeuvre non qualifiée ! »
Daniel Baptiste explique que la commission de l’Emploi ainsi que la compagnie de construction ont occulté un aspect fondamental concernant l’arrivée d’un important contingent de main-d’oeuvre étrangère, notamment l’hébergement. « Il n’y a pas de logement qui pourrait accueillir 300 travailleurs étrangers à Rodrigues ! Quand ces derniers viennent à Rodrigues, ils doivent être hébergés correctement. Toutefois, actuellement, il y en a qui vivent dans des conditions qui ne sont pas en conformité avec la loi. Ils sont arrivés dans l’île sans que le bureau du travail et les officiers de la Santé et de la Sécurité ne soient informés. Ce n’est que lorsque j’ai posé une question à ce sujet à l’Assemblée que le chef commissaire, qui disait ne pas être au courant de cette situation, a pris connaissance de ce problème. Par la suite, une enquête a été initiée. Et c’est là qu’ils ont découvert qu’effectivement ces travailleurs étrangers n’étaient pas hébergés dans des conditions correctes. Il y a environ 70 travailleurs étrangers en ce moment à Rodrigues », dit ce dernier.
Du travail pour 90 maçons locaux
Et de se demander : « Si on compte faire venir plus de 300 autres, est-ce que la Commission a fait un état des lieux des hébergements existants afin que ces derniers puissent vivre dans des conditions en règle avec la loi ? » Autre problématique, selon lui, c’est le nombre de Health and Safety Officers pour faire le suivi après l’installation des travailleurs migrants. « Contrairement à Maurice où le ministère du Travail dispose d’un département pour suivre les dossiers des travailleurs migrants, notamment leur contrat d’embauche, avec les conditions sur les chantiers à Rodrigues, il n’y a que deux Health and Safety Officers ! Ce qui est bien loin d’être suffisant », dit-il.
Depuis la sortie en live des membres de l’OPR, dont la Minority Leader, Fanchette Gaspard Pierre-Louis et l’ancien commissaire Daniel baptiste, les réactions n’ont pas tardé à pleuvoir. À commencer par la Commission de l’Emploi qui a lancé un appel au public par le biais d’un communiqué, lundi dernier. En effet, celle-ci s’est investie dans la mise à jour de ses données et a demandé aux chercheurs d’emploi « surtout dans secteur construction ki actuellement enan enn grand demande » (écrit-elle dans son communiqué) de s’enregistrer à son bureau à Camp-du-Roi. Les concernés ont jusqu’au 14 du mois pour s’inscrire. De son côté, la compagnie de construction s’est aussi lancée dans une campagne de recrutement à Rodrigues. Dans une annonce qu’elle a publiée, elle dit rechercher 90 maçons, 70 charpentiers en bâtiment, 70 menuisiers, 20 soudeurs, 10 électriciens, 10 plombiers et autres. Les intéressés ont jusqu’au 18 septembre pour soumettre leur candidature au bureau de la compagnie à Terre-Rouge, Rodrigues.
« La commission de l’Emploi et la compagnie rectifient le tir, mais un peu tard. L’autorisation d’importer la main-d’oeuvre étrangère a déjà été donnée », avance Daniel Baptiste. De son côté, Franchette Gaspard Pierre-Louis dénonce : « Alors que des Rodriguais ne travaillent pas, il n’est pas normal que la Commission du Tourisme et de l’Emploi s’intéresse davantage au secteur touristique et non à l’emploi ! »
Le serpent qui se mord la queue
La nouvelle problématique qu’est le recours à la main-d’oeuvre étrangère dans la construction et le chômage dans ce secteur à Rodrigues, c’est le serpent qui se mord la queue. La construction n’étant pas toujours un secteur dynamique et l’île étant trop petite, les perspectives d’emploi sont limitées. Et quand des projets doivent sortir de terre, des entreprises, explique un contracteur rodriguais, sont contraintes de faire appel à des Mauriciens et des étrangers. « Elles n’ont pas le choix, d’autant que des Mauriciens travaillent déjà sur des chantiers chez eux », dit-il. Un de ses collègues qui a appris les rudiments de la construction à Maurice précise même : « On peut trouver des aides-maçons, mais ils n’ont pas assez d’expérience. »
Et de poursuivre en analysant : « Les jeunes qui sont formés aux métiers qui dépendent de la construction, rénovation et entretien en bâtiment prennent de l’emploi dans les départements du gouvernement. Ils sont assurés de travailler. Donc, la question de formation ne pose pas de problème. Il y a aussi ceux qui ont fait des études plus poussées en ingénierie et qui ont pu trouver de l’emploi auprès des compagnies de construction basées à Rodrigues. Quand il n’y a pas de travail pour les contracteurs ou des aides-maçons, ces derniers se lancent dans l’agroalimentaire ou l’élevage. » Quelques chanceux sont contactés par des particuliers pour la construction de leurs maisons.
D’autre part, des contracteurs de Rodrigues concèdent qu’ils ne disposent pas de la logistique nécessaire pour entreprendre des projets d’envergure proposés par le gouvernement régional dans des appels d’offres. « Ce sont des compagnies de Maurice qui décrochent les contrats. La plupart du temps ce sont les mêmes. Elles prennent les projets et ensuite font appel à nous comme sous-traitants. Lorsque nous, Rodriguais, arrivons à obtenir un contrat, nous avons des difficultés à effectuer des tests de contrôle qualité sur les matériaux parce que l’île n’a pas de laboratoire. Nous devons compter sur celui d’une compagnie de construction implantée à Rodrigues », explique un des entrepreneurs.