Reportage : Au cœur du goulot d’étranglement de Tana

À Tana, capitale de Madagascar, avoir « un compas dans l’œil » demeure un atout non négligeable pour  se lancer dans le goulot d’étranglement du centre-ville, se faufiler entre les voitures, minibus, taxis-motos et charrettes tirées par des bœufs ou des hommes. La tâche demeure délicate face à l’absence totale de feux et panneaux de signalisation aux carrefours et aux fléaux des stationnements anarchiques sur les trottoirs et les rues envahis par une horde de marchands ambulants. Un élément saute aux yeux : les Tananariviens ont cette propension à  garder une attitude zen en dépit des circonstances.  Pas d’agressivité particulière, on ronge son frein parce que c’est comme ça et qu’on n’y peut rien.

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Il est 8h30, en jour de semaine. Au rond-point d’Anosy – cœur administratif d’Antanarivo, où se dresse, dans un socle de pierre, la stèle du « soldat inconnu », portant haut l’étendard malgache –, les véhicules circulent au pas. Comme dans toutes les grandes villes, ça grouille de partout et ça klaxonne tout le temps aux heures de pointe. Nul besoin d’épiloguer sur les moyens colossaux déployés, durant les JIOI 2023, par la gendarmerie malgache pour tenter de contenir les  embouteillages monstres qui ont paralysé le centre-ville et contraint de nombreux Tananariviens à recourir à leurs gambettes comme moyen de locomotion pour se rendre au travail ! Présents dans la capitale malgache pour couvrir cet événement sportif, les journalistes du groupe Le Mauricien Ltd en savent un peu.


Ces longs périples ont été l’occasion pour nous de vivre des scènes de vie auxquelles nous ne sommes pas habitués. Des policiers s’époumonant en permanence sur leur sifflet, tout en faisant de grands gestes pour gérer le trafic, par exemple. C’est la même rengaine toute la journée. Et quid de l’usage des feux tricolores ? On n’en voit presque pas au même titre que les panneaux de signalisation. Près de la gare, avenue de l’Indépendance, on y trouve d’anciens vestiges de feux tricolores et c’est tout.

Zéro panneaux et feux tricolores !
À en croire nos confrères de L’Express de Madagascar, c’est à la fin des années 1990 que les feux tricolores et lesdits panneaux ont disparu des carrefours de Tana, « éteints faute d’entretien et vandalisés faute de protection. » Sauf que la cause réelle de la suppression des feux de signalisation découlent de la décision des autorités malgaches de s’inspirer du  concept promu par le Néerlandais Johannes (1945-2008), responsable de l’autorité de la sécurité routière de sa région natale du Friesland. Pour apporter la démonstration du bien fondé de sa méthode dans les grandes villes qu’il a visitées, ce dernier allait jusqu’à remonter à pied le flux de la circulation, « confiant dans les capacités naturelles des conducteurs à s’adapter à un événement inattendu, plutôt que de s’en remettre aux feux de signalisation ou barrières physiques. »

Les automobilistes tananariviens semblent s’en être accommodés. De toute façon, il n’y a pas trop d’occasions pour rouler à vive allure, entre les embouteillages, les voitures vétustes et les nids de poules. C’est du moins ce que nous a confiés Frank, qui a été pour nous plus qu’un chauffeur, notre guide émérite de par sa grande connaissance de la ville. Au-delà de ses aptitudes à faire rentrer son van dans un mouchoir de poche, ce dernier a été d’un sens humoristique fort agréable qui nous a aidés à passer au mieux les longs trajets routiers auxquels nous avons été confrontés durant ces 15 jours. ll est d’avis que « la suppression des feux tricolores ont permis de fluidifier un peu plus le trafic. On s’est habitué à ce concept. »

Tuk-tuk, pousse-pousse et chars à bœufs
On ne sait pas, en revanche, s’il s’est accoutumé à la pollution atmosphérique totalement irrespirable des gaz de pots d’échappement mêlée aux nuages de poussière et des déblaiements de terre rouge soulevés par les  véhicules lourds. Certes, on y trouve de beaux véhicules style SUV ou 4×4 tout neufs conduits par les gens riches sur les routes, sauf que les 4×4 démesurés, les minibus déglingués et les vieilles voitures, dont un nombre incalculable de taxis des marques françaises Renault 4 ou Peugeot 106, constituent l’essentiel du parc automobile à Madagascar. Peu importe la pollution créée par ces anciens modèles peu compatibles avec des normes écologiques, l’essentiel demeure qu’ils arpentent tant bien que mal les raidillons de Tana en permettant à leurs propriétaires de gagner leur croûte.

Les choses se corsent au moment d’arpenter les grandes agglomérations investies par les marchands ambulants. La rue Farquhar, à Port-Louis, avec sa ribambelle de colporteurs travaillant à même le sol n’a rien de comparable au marasme qui prévaut dans certaines zones de Tana, où se frayer un passage en voiture relève bien souvent de l’exploit ! Les trottoirs et le rues étant envahis par la myriade de vendeurs en tous genres. Les touristes ayant l’intention de prendre le volant dans ces périmètres, où se côtoient tuk-tuk, pousse-pousse et chars à bœuf, ont intérêt à être des automobilistes chevronnés et très patients.

Les taxis-motos ont le vent en poupe
Les moyens de locomotions ancestraux (mentionnés plus haut) sont une bonne alternative aux taxis, sauf qu’on respire à fond les gaz d’échappement aux heures de pointe. Face à cette pollution et aux embouteillages monstres, les taxis-motos sont de plus en plus prisés par les voyageurs. « On se faufile dans les bouchons. Les taxis-motos font mieux que taxis et taxis-be (mini-bus). Certes, c’est plus cher que le transport en commun, 7,000 Ariary (Rs 70) en moyenne la course, mais c’est moins cher que le taxi classique et surtout plus rapide », confie un cadre d’une entreprise agro-alimentaire.

Forcément, les opérateurs voient d’un très mauvais œil cette nouvelle concurrence. Interdits sur le papier, les taxis-motos n’ont pas l’intention d’abandonner leur activité. « Nous avons un syndicat fort de 4,000 membres. C’est un métier qui nourrit nos familles et améliore le train-train quotidien des gens. Il y aura, certes, quelques PV infligés pour faire des exemples, mais on ne va pas se laisser faire », soutient un propriétaire de taxis-motos.
Il n’y a pas que les taxis-motos qui suscitent la rogne des opérateurs de transport à Tana.

Le projet de téléphérique, qui reliera cinq arrondissements de Tana, a connu un coup d’accélérateur en mars dernier, avec le début des travaux de construction de la première station sur les rives du lac Anosy, dans le quartier du stade de Mahamasina, du grand hôtel Carton et des principaux ministères. Pour les autorités malgaches, « c’est la meilleure méthode que l’on ait trouvé pour échapper aux embouteillages monstres dans la capitale », alors que la concurrence estime que c’est une folie qui signera leur arrêt de mort.

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